A la suite de la défaite du PS aux dernières élections municipales, nous avons assisté à un changement de Premier Ministre et de gouvernement. Ces changements ont donné lieu tant à une opération de communication gouvernementale, autour du terme de « gouvernement de combat », qu’à une activité intense de commentaires. Les éléments mis en avant et les questions tournées autour de l’absence, ou non, d’un véritable renouveau parmi les ministres, de la taille du gouvernement de son caractère resserré ou non, et sur le refus d'Europe-Ecologie/Les Verts (EELV) de participer se traduisant par l’absence de cette composante aux côtés du PS et du PRG.
Pour y voir un peu plus clair, pour se libérer des éléments de communication et prendre de la profondeur vis-à-vis des commentaires, cette note propose de mettre en perspective le gouvernement Valls avec les pratiques gouvernementales de la 5ème république. Nous nous concentrons en particulier sur cinq aspects du nouveau gouvernement : sa taille, le rapport entre les ministres et les ministres sous tutelle, la place du parti leader de la coalition gouvernementale, l’expérience accumulée de ses membres et la proportion de députés en son sein.
Concernant la taille, il apparaît que le gouvernement de Manuel Valls se situe nettement en dessous de la moyenne au moment des investitures, y compris avec les nominations des 14 secrétaires d’État qui ont suivi le discours d'investiture du Premier Ministre quasiment une semaine après la nomination des ministres. Ce gouvernement comporte 4 ministres de moins que la moyenne de l’ensemble des gouvernements de la 5ème. Avec 30 membres, il est le 12e gouvernement le plus petit de la 5e République, mais il est l’un des plus petits à gauche, et même plus précisément le 2e le plus petit après le gouvernement Jospin. En effet, les gouvernements de gauche sont en moyenne nettement plus grands que les gouvernements de droite. Donc concernant la taille, c’est surtout par rapport à la pratique des coalitions de gauche que se distingue Manuel Valls, plutôt que vis-à-vis de la pratique générale.
Si l’on distingue les ministres (ministres d’État et ministres) des sous-ministres (ministres délégués, ministres auprès, secrétaires d’État et hauts commissaires), il est possible de scruter leur répartition au sein des gouvernements. La répartition dans le gouvernement de Manuel Valls est très équilibrée, les ministres représentant 53% des membres à un niveau équivalent des gouvernements de Jean-Marc Ayrault, Lionel Jospin et Pierre Mauroy. Si la conséquence est que le nouveau gouvernement se situe dans la moyenne, il se distingue des autres gouvernements de François Mitterrand, qui comportaient une proportion plus grande de sous-ministres.
Regardons ensuite le ratio du nombre de ministres du principal parti de gouvernements (celui du Premier ministre) rapporté au nombre de ministres issus des partis soutiens de la coalition au pouvoir. Pour seulement deux cas dans l'histoire de la 5e République, le parti du Premier ministre ne détenait pas la majorité des portefeuilles (rapport inférieur à 1). Le premier est celui du gouvernement de Jacques Chirac sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing (1974-1976). Étant donné l'appartenance à différents partis du Président et du Premier ministre, cela ne semble guère étonnant. Plus surprenant, sous le gouvernement d'Edouard Balladur (1993-1995), les ministres issus de l'UDF et du Parti Républicain avaient une légère majorité de portefeuilles par rapport à leur partenaire du RPR. Dans tous les autres cas, le parti du Premier Ministre détient la majorité des ministères.
Dans le gouvernement de Manuel Valls, le PS est très largement majoritaire avec un rapport de 6,5 ministres PS pour 1 ministre non PS, le PRG en l’occurrence. Cela le place en-dessous de la moyenne, mais aussi en-dessous du gouvernement Ayrault ; et ce, malgré le départ des ministres EELV. Les deux se situent très loin des principaux gouvernements quasiment mono-partisans du quinquennat de Jacques Chirac, mais aussi du gouvernement Fillon 3. Pour rappel, ce gouvernement sonnait le glas de la volonté d' « ouverture » qui avait marqué les gouvernements Fillon 1 et 2, face à l'impopularité croissante de l'exécutif. Le PS, au sein du gouvernement de Manuel Valls, est moins hégémonique que dans tous les gouvernements de François Mitterrand, en particulier durant son second septennat. À deux exceptions près : les deux derniers gouvernements de Pierre Mauroy, qui comportaient une part importante de communistes, et dont le gouvernement de Manuel Valls est assez proche (rapport de 6 contre 6.5), et le gouvernement de Lionel Jospin qui rassemblait plus de partis (communistes, PS, PRG, écologistes). Le départ des écologistes du gouvernement ne s’est donc pas traduit par un renforcement de la domination du parti leader, le PS, du moins sur le plan comptable.
En ce qui concerne la proportion de députés, c’est-à-dire de membre élus dans la législature en cours, le gouvernement de Manuel Valls, encore une fois, se situe très près de la moyenne : 67% des membres sont issus de l’Assemblée nationale contre 66% en moyenne. Dit autrement et de manière traditionnelle, tant à gauche qu’à droite, le gouvernement de Manuel Valls s’appuie largement sur les députés de sa majorité afin d’obtenir une assise parlementaire (il est à noter qu’un certain nombres des ministres proviennent du Sénat).
Dernière caractéristique explorée, l'expérience préalable des ministres, mesurée par le nombre de postes ministériels occupés par chaque ministre antérieurement à sa nomination. Là encore, le gouvernement de Manuel Valls se situe dans la moyenne. Comme pour la part des députés, cette mesure peut servir d'indicateur de l'indépendance des ministres vis-à-vis du chef de l'exécutif, que ce soit le Premier ministre ou le Président. En effet, un ministre expérimenté aura ses propres appuis politiques, alors qu'un ministre « d'ouverture » sera entièrement dépendant du bon vouloir du chef de l'exécutif pour rester en poste. On peut également supposer que cette expérience est profitable quant à la gestion publique et à la coordination interministérielle.
En conclusion, sur les cinq caractéristiques que nous avons détaillées, le gouvernement de Manuel Valls se situe largement dans la moyenne des précédents gouvernements, même si du fait de sa taille il se différencie plutôt des dimensions habituelles des gouvernements de gauche. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un gouvernement de rupture quant à ses propriétés. Pour autant, ces informations ne nous permettent pas d’envisager la fortune future de ce gouvernement en ce qui concerne sa popularité future, sa capacité à obtenir un soutien politique à l’Assemblée Nationale, ou sa durée. En effet, le format du gouvernement et les choix de l'exécutif concernant les ministres n'ont quasiment aucune influence sur ces éléments de résultat.
Abel François et Emiliano Grossman
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