Tous les témoins de la débâcle des socialistes aux élections
européennes peuvent légitimement se demander si le socialisme, comme idéal de
société, s’essouffle. De nombreux sympathisants socialistes semblent résignés,
et des contestations de rue sont croissantes depuis trois ans dans toute
l’Europe, à l’image des indignados
espagnols.
Si on regarde hors Europe, cependant, des idées socialistes se développent – à
défaut de voir se développer les partis
socialistes. En particulier, le projet pilote « Pay it forward » (paye plus tard) est en train de s’imposer
aux Etats-Unis, pays pourtant culturellement hostile au socialisme.
L’année dernière, le parlement de l’Oregon a approuvé un
projet pilote proposé par le parti des familles travailleuses (Working Families Party) pour financer
l’instruction secondaire et universitaire, le Pay it forward. Son fonctionnement est très simple : les
étudiants ont droit à étudier gratuitement s’ils s’engagent à payer 3% de leurs
futurs revenus à un fond public d’éducation, pendant 24 ans.
Le succès de ce dispositif a fait des émules. Il y a à peine
un mois, c’est au tour de la chambre des représentants du Connecticut à
approuver un nouveau projet pilote. Au même moment, un des candidats à la
gouvernance de la Californie annonce son intention d’explorer ce projet dans
son Etat. Nous en sommes qu’au début, mais la tendance semble aller vers une
adoption à grande échelle de ce dispositif.
En quoi ce projet
est-il socialiste ?
Le projet créé de l’impôt volontaire, proportionnel au
revenu, pour les dépenses publiques en éducation. Ceux qui ont bénéficié de
l’éducation gratuite, payent en retour en fonction de leur succès économique. En
un mot, les chômeurs ne payent rien, les millionnaires payent plus que s’ils
avaient étudié à Harvard.
En outre que ce simple effet redistributif, il y a une
dimension plus fondamentale. Avec un tel système, l’Etat de l’Oregon décide de
partager légalement avec les citoyens la responsabilité de leurs succès et
leurs insuccès économiques. Chaque citoyen n’est donc plus entièrement
responsable de ce qu’il devient – principe qui est à la base de l’idéologie
libérale – mais cette responsabilité est désormais partagée, comme le veut
l’idéologie socialiste. Pour chaque échec, tous en payeront les conséquences
et, pour chaque succès, tous en bénéficieront.
De fait, la façon dont on est instruit détermine notre
avenir. Mais pour la première fois, l’éducation publique se reconnaît légalement
responsable de l’avenir de ses étudiants.
En quoi cela diffère
de notre système d’éducation public ?
Une première différence réside dans la contribution de ceux
qui n’ont pas bénéficié d’une forte instruction. Dans un système public
traditionnel, le citoyen non scolarisé paye, par ses impôts, le système
d’éducation. En soi, cela peut se justifier avec l’idée que l’instruction est,
en général, un bien collectif. Cependant, l’incapacité du système éducatif de
garantir une véritable égalité des chances et sa propension à reproduire les
élites ont été largement attestées dans les études sur la question. Cela
signifie que le système punit deux fois les citoyens désavantagés : il
leur barre le chemin de la réussite scolaire et il leur demande de financer le
système éducatif. Le Pay it forward
garantit au contraire une parfaite gratuité scolaire, sans demander à ceux qui
n’en ont pas bénéficié d’y contribuer financièrement.
Une deuxième différence est que, dans le système public
européen, les plus riches peuvent échapper au financement du système éducatif,
alors qu’ils en ont largement bénéficié. Il suffit pour cela de partir
travailler là où les salaires sont plus élevés et les impôts plus faibles.
Cette concurrence fiscale et éducative conduit de nombreux pays à investir dans
l’offre de salaires élevés pour attirer les travailleurs les plus compétents,
plutôt que de les former eux-mêmes et risquer, ainsi, de les perdre. Par
conséquent, les inégalités de revenus se développent et le financement de
l’éducation publique se dégrade.
Face à ce problème, le Pay
it forward est basé non pas sur l’impôt – qui dépend du lieu de résidence –
mais sur un engagement qui vaut comme contrat privé entre un citoyen et son Etat,
garanti par l’Institut du droit international. Les citoyens de l’Oregon qui
bénéficieront des meilleurs revenus ailleurs, auront l’obligation légale de
rendre ce qu’ils doivent à leur institution d’origine tous les ans. Ceci rend
la « fuite des cerveaux » un événement heureux pour la communauté,
comme il devrait l’être si l’on prend au sérieux la valeur internationaliste du
socialisme.
Il est difficile de déterminer aujourd’hui la valeur
économique de ce dispositif. Mais sa valeur en terme de solidarité et égalité
est indéniable. Et si les politiques socialistes ne viennent pas toujours des
partis socialistes, ces derniers pourraient néanmoins y trouver une source
d’inspiration.