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lundi 17 février 2014

Comment la CNCCFP s’est tiré une balle dans le pied

La Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (CNCCFP) est sortie de l’anonymat l’année dernière lorsqu’elle a refusé de valider le compte de campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2012 ; décision validée ensuite par le Conseil Constitutionnel. Le grief porte sur la réintégration dans les comptes de campagne de dépenses supplémentaires, notamment la totalité du coût d’un meeting à Villepinte que la commission souhaite réintégrer entièrement, alors que le mandataire financier de Nicolas Sarkozy avait pris en compte 50% au titre d’une dépense électorale. Cette réintégration a provoqué un dépassement du plafond de dépense, ce qui signifie que le candidat ne peut plus prétendre au remboursement public. La CNCCFP justifie cette réintégration en invoquant la nécessité de faire une distinction entre l’activité d’un élu et ses activités de campagne en tant que candidat à sa réélection.
Sur le principe, l’idée de lutter contre le fait pour un homme politique en place de bénéficier de budget discrétionnaire (les frais de cabinet en particulier) attaché à sa fonction et utilisable dans un but électoral semble totalement justifiée puisque cela lui octroie un avantage financier important vis-à-vis de ces concurrents. Pour autant en pratique aucune distinction objective ne peut être faite entre une activité publique et une activité électorale d’un élu. En effet, à partir de quel moment ou pour quelle décision un élu est-il en campagne pour sa réélection ? 
Nous n’avons pas aujourd’hui de critère permettant de faire cette distinction ; et l’objectif de distinguer pratique de mandat et pratique électorale semble inatteignable, puisque la science politique a bien démontré depuis des décennies l’imbrication entre politics et policy. La définition réglementaire des dates de la campagne électorale n’est pas suffisante puisqu’en 2012 pour les deux principaux candidats, l’un s’est déclaré candidat bien avant le début de la campagne officielle et l’autre une fois cette campagne ouverte. 

Mais au-delà de l’impossibilité d’appliquer ce principe, on peut anticiper que cette décision de la CNCCFP va avoir au moins trois conséquences importantes sur la question de l’argent en politique. Le premier effet est celui d’une politisation à venir de la CNCCFP. En effet, comme la commission joue un rôle post-électoral de plus en plus important, en particulier en termes financiers pour les candidats, elle va faire l’objet d’un intérêt croissant de la part des hommes politiques. Il faut donc s’attendre à un développement des pressions, de toute nature, sur la commission et en particulier lors des nominations en son sein. De plus, les recours auprès de la CNCCFP et des juges vont se multiplier au nom de cette question des activités des élus. La question a déjà été soulevée à la suite de déplacements de ministres dans un certain nombre de municipalités.

Le deuxième effet est que cette décision va accroitre l’incertitude autour des comptes de campagne. En effet, l’activité de réformation des comptes par la CNCCFP commission (la réformation d’un compte par la CNCCFP correspond à une modification des sommes prises définitivement en compte) crée une incertitude très forte pour les candidats, d’autant plus forte que l’enjeu est important : il peut aller de l’absence de remboursement public à l’annulation de l’élection débouchant éventuellement sur une inéligibilité pour le candidat concerné. Cette incertitude provient du fait que le législateur n’a pas voulu définir a priori ce qu’est une dépense électorale. Si cette décision peut apparaître de bon sens car une telle définition parait impossible en pratique, elle a donné un pouvoir important à la commission et aux juges administratifs qui traitent des litiges en leur laissant le soin de faire le tri entre ce qui relève de la dépense électorale parmi l’ensemble des dépenses présentées par les candidats. 
Par exemple, en 2007, la commission avait pris concernant le compte de campagne de Ségolène Royal la décision suivante : « Considérant que, parmi les dépenses exposées au compte de campagne, figure une somme de 51 659 euros de frais de maquillage et de coiffure ; que s'agissant de dépenses habituellement de nature personnelle et imputées au compte pour un montant manifestement excessif, il sera fait une juste appréciation de la contribution de ces dépenses à la campagne électorale en ramenant cette somme au tiers de son montant, soit 17 220 euros ». Sur une telle décision, on peut s’interroger premièrement sur sa pertinence (un candidat mal coiffé ou mal maquillé peut-il remporter une élection ?) et sur le choix de réduire la dépense au tiers (pourquoi un tiers et pas la moitié ?). Les exemples sont nombreux (et parfois comiques sur les frais de coiffure, de pressing, et sur la capacité du régulateur à distinguer la composante électorale parmi les frais de déplacement ou de repas) sur ce que la commission considère ou non comme une dépense électorale et dans quelles proportions ? Le résultat de cette incertitude est que les comptes de campagne et donc les stratégies de dépenses et de collecte sont constitués de telle manière à conserver une marge de manœuvre, notamment vis-à-vis du plafond de dépense, en cas de réformation trop important des comptes par la commission. Dans tous les cas, il est possible que la sincérité des comptes soit affectée par cette incertitude. Et, d’ors et déjà, les candidats aux élections municipales semblent avoir du mal à obtenir des prêts de la part des banques pour financer leur campagne du fait de cette incertitude plus forte.

La troisième conséquence concerne la question du statut de l’élu candidat à sa réélection. Si la décision de la CNCCFP concerne l’élection présidentielle, il faudra que cette logique s’applique également à toutes les autres élections nationales ou locales. On pense en particulier, dans la perspective des prochaines élections municipales, aux activités des maires sortants. Cela signifie que la commission, pour rester cohérente avec sa décision, va devoir vérifier toutes les activités des élus lors de campagnes locales, qu’il s’agisse de campagne de réélection au même poste ou de campagne d’hommes politiques qui cumulent ou cherchent à cumuler. Par exemple, comment prendre en compte l’activité électorale d’un conseiller général candidat à une élection municipale ? Autant dire que la commission va avoir du travail. Mais comme elle ne possède pas les moyens d’une telle politique, le risque pour elle est grand d’une perte de légitimité et de crédibilité.

Il est à craindre qu’au final, face à une norme réglementaire très instable, les décisions de la CNCCFP vont faire l’objet d’une lecture de plus en plus politique, ce qui nuira à son travail et à l’objectif plus global de transparence et de moralisation du financement politique.


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