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mardi 11 novembre 2014

Obama et la "cohabitation" : à l'Ouest rien de nouveau

Les élections de mi-parcours aux Etats-Unis ont été amplement commentées aux Etats-Unis et aussi en France. Obama serait désormais fortement affaibli selon les titres de plusieurs journaux. Comme en France, on suppose que la cohabitation empêcherait le président de mettre en place son projet politique, de réaliser ses promesses électorales. Nous avons discuté ailleurs que même en France la notion de cohabitation mériterait une définition plus inspirée des faits. Le problème est qu'on tend, dans les deux cas, à assimiler différentes définitions de la cohabitation sans vraiment vérifier les conséquences effectives de cette situation sur la production législative.
Pour commencer, aux Etats-Unis, on parle de “gouvernement divisé” (divided government), plutôt que de cohabitation. Cela désigne la situation où la majorité présidentielle est différente de celle qui contrôle une des deux chambres du Congrès américain, le Sénat ou la Chambre des Représentants. Et le fait est que les Etats-Unis étaient déjà en situation de gouvernement divisé depuis janvier 2011, c'est à dire depuis les élections de mi-parcours de 2010, où les Démocrates avaient perdu le contrôle de la Chambre des représentants. Ils ne sont pas parvenus à reprendre la majorité dans cette chambre au moment de la réélection de Barack Obama en novembre 2012. Lors de l'élection de la Chambre des représentants, qui eut lieu en même temps que l'élection présidentielle, les Républicains ont gardé la majorité, malgré la perte de huit sièges. En effet, les électeurs américains ont l'habitude de “diviser” leurs votes (split voting), en votant souvent pour un président d'un parti et pour un représentant ou un sénateur du parti opposé. La situation de gouvernement divisé n'est donc guère nouvelle, mais a été le quotidien de l'administration Obama depuis le milieu de son premier mandat.
Les élections de mi-parcours du 4 novembre ont confirmé et conforté la majorité républicaine à la Chambre des représentants, où ils ont gagné 13 sièges supplémentaires. Les Républicains ont en outre désormais la majorité au Sénat, où les Démocrates étaient majoritaires depuis 2007. Les Républicains gagnent sept sièges de sénateurs portant leur nombre de sièges à 52 sur 100.
Mais il existe un autre détail qui est souvent ignoré dans les débats politiques, y compris aux États-Unis : l'importance de disposer d'une majorité “anti-obstruction” au Sénat pour gouverner. L'obstruction parlementaire a, de tout temps, fait partie du jeu parlementaire. Il s’agit d’employer tous les moyens procéduraux disponibles pour empêcher une loi d'être adoptée, y compris et surtout quand on ne dispose pas de la majorité des sièges. En France, cela prend souvent la forme de milliers d'amendements destinés à ralentir le travail législatif. Aux Etats-Unis, cela prend la forme du « filibustering », c'est-à-dire de discours fleuves, qui permettent de rallonger la séance jusqu'à ce que le sénateur orateur ou la majorité abandonne. Dans les années 1950, les sénateurs Wayne Morse et Strom Thurmond ont établi des records de filibustering avec respectivement 22 et 24 heures de discours. Cette pratique a été immortalisée par l'acteur James Stewart dans “Mister Smith goes to Washington”.
La règle XXII du règlement interne du Sénat permet, depuis le milieu des années 1970, à 60 sénateurs de mettre fin au filibustering. Dans les faits, à l'heure actuelle, toute majorité ne disposant pas de la majorité anti-obstruction (ou “filibuster-proof majority”) tend à abandonner un projet dès lors que le droit au filibustering est invoqué par un orateur ou un groupe d'opposants. De ce fait, un premier niveau de cohabitation, procurant un véritable pouvoir de blocage, est l'absence d'une majorité anti-obstruction[1].
Or, peu de présidents ont disposé d'un gouvernement unifié complet c’est-à-dire ne nécessitant pas la coopération d’au moins un parlementaire de l’opposition. Contrôler la chambre basse et disposer d'une majorité anti-obstruction au Sénat représente clairement l'exception plutôt que la règle aux Etats-Unis. Seuls trois présidents au cours des 60 dernières années ont pu – brièvement - bénéficier de cette situation: Lyndon Johnson en 1965-66, James Carter en 1977-78 et Barack Obama au cours des huit premiers mois de son premier mandat. C'est le décès du sénateur démocrate Edward Kennedy en août 2009 qui a privé les Démocrates de la majorité anti-obstruction au Sénat, l’élection partielle qui a suivi ayant été remportée par un candidat Républicain. Dans son discours sur l’État de l’Union, Barack Obama a d’ailleurs reconnu cet état de fait : “If the Republican leadership is going to insist that 60 votes in the Senate are required to do any business at all in this town—a supermajority—then the responsibility to govern is now yours as well.
Par conséquent, une forme de cohabitation existe pratiquement toujours aux Etats-Unis et ne semble pas, d’ailleurs, constituer un problème en soi. Les présidents américains sont habitués à négocier constamment avec les législateurs au Sénat et à la Chambre des Représentants. Même le soutien de parlementaires du même parti n’est pas acquis d'avance. Le Congrès des États-Unis est une institution forte et les parlementaires ont une grande autonomie politique et se considèrent responsables avant tout vis-à-vis des électeurs de leur État. Cela peut les amener à voter contre la position de leur parti.
Comme Bill Clinton avant lui, Barack Obama a rencontré une opposition extrêmement forte au cours de ses deux mandats. Une grande partie de la célèbre réforme introduisant l'assurance-maladie obligatoire a dû être adoptée par décrets présidentiels. En raison de ce mode de gouvernement difficile, nombre de réformes, portant par exemple sur un meilleur contrôle de la vente d'armes à feux, n'ont pas pu être adoptées faute de majorité.
L'élection de la semaine dernière va tout au plus rendre encore un peu plus difficile le leadership législatif d'Obama, dans la période du mandat présidentiel où il est le plus faible, les ultimes années de sa présidence. Mais l'habileté d'un président américain ne se mesure pas uniquement à sa capacité de remporter des élections, mais aussi et surtout à sa capacité de mener à bien sa politique dans un contexte d'adversité politique. A ce titre le défi qui attend Barack Obama à partir de janvier, date à laquelle le nouveau Congrès se réunira pour la première fois, n'a rien de nouveau, ni pour lui, ni dans l'histoire des Etats-Unis. Ironie de l’histoire, G. W. Bush fut exactement dans la même position à deux ans de la fin de son dernier mandat, confronté à un congrès dont les deux chambres étaient contrôlées par son opposition. En somme, la cohabitation, loin d’être nouvelle, constitue le mode de gouvernement normal aux Etats-Unis.
Sylvain Brouard et Emiliano Grossman  

[1]Pour aller plus loin, voir notre comparaison de la cohabitation en France et aux Etats-Unis: F. Baumgartner, S.Brouard, E. Grossman, S. Lazardeux & J. Moody (2014), “Divided Government, Legislative Productivity, and Policy Change in the USA and France”, Governance, Vol. 27, no. 3, p. 423–447. Le texte de cet article peut être téléchargé ici.
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