mardi 31 mars 2015

Le vote obligatoire : pourquoi simplement ne plus y penser ?!

Pourquoi le vote obligatoire ?

Le débat sur l’instauration d’un vote obligatoire revient régulièrement sur le devant de la scène politico-institutionnelle, comme lors de ces dernières semaines. Comme justification à cette proposition, on retrouve en fait deux idées clé. La première, c’est que l’abstention n’est pas bonne pour la démocratie. D’une part parce qu’elle créée de facto des inégalités entre groupes sociaux dans une forme de cens caché (Gaxie, 1978), puisque l’abstention reste principalement le choix des populations les moins riches et les moins éduquées. Ces inégalités de participation risquent de se transformer en inégalités en termes de représentation, les intérêts des abstentionnistes étant moins bien pris en compte par le système. D’autre part, l’abstention est mauvaise pour la démocratie parce qu’elle mine la légitimité des élus, des décisions publiques qu’ils prennent, et, encore plus généralement, des institutions. La seconde justification derrière l’instauration d’un vote obligatoire, c’est l’idée que la fluctuation des résultats électoraux s’explique d’abord et avant tout par un « abstentionnisme » différentiel entre les électorats. Beaucoup débattue au moment des élections européennes, cette explication était avancée comme la clé de la défaite socialiste, parce que son électorat ne se serait pas mobilisé en raison de son mécontentement, et du succès du Front National qui aurait eu un électorat particulièrement mobilisé même si la raison de cette mobilisation n’est pas particulièrement claire.

Pourquoi le vote obligatoire ne résout pas ces difficultés ?

Notre argument, ici, est que le vote obligatoire ne résoudra ni l’un ni l’autre de ces problèmes. Du point de vue de la démocratie, instaurer le vote obligatoire revient un peu à casser le thermomètre plutôt qu’à vouloir résoudre le problème. De manière évidente, d’abord, l’obligation peut conduire à une hausse du nombre de bulletins blancs, ceux-ci étant d’ailleurs maintenant comptés à part en France. Il n’est pas certain qu’une baisse de la participation au profit d’une hausse des bulletins blancs soit exactement l’effet recherché. Or, il existe bien une corrélation négative significative entre niveau de participation et nombre de bulletins blancs. Mais de manière encore plus préoccupante, ensuite, l’abstention peut être vue comme un canal d’expression du mécontentement par rapport au fonctionnement du système politique lui-même. L’interdire rendrait alors plus probable le soutien à des candidats faisant de la contestation du fonctionnement du système politique le cœur de leur positionnement électoral. Du point de vue de la légitimité, l’abstention a donc cet intérêt d’être un moyen de signal clair sans conséquence directe pour le système.
Deuxièmement, le vote obligatoire n’est pas non plus forcément bon pour la représentation. La suppression des différentiels d’abstention entre groupes sociaux par l’obligation ne conduit pas forcément à leur meilleure représentation. En effet, le vote obligatoire peut s’accompagner de comportements électoraux incohérents et erratiques de la part des citoyens dans la mesure où l’obligation de vote n’augmente pas mécaniquement l’information et l’intérêt pour l’élection (Selb et Lachat, 2009). Si on force les personnes à exprimer un choix, on ne fait que diminuer le bénéfice de voter, on n’augmente pas le bénéfice associé aux propositions des différents partis et candidats. Ils peuvent alors voter de manière aléatoire ou surtout protestataire. En résulte une plus grande dispersion des suffrages sans pour autant que la volonté générale ne se soit exprimée plus clairement sur la direction qui devait être prises pour les décisions publiques.
De ceci découle aussi le fait que le vote obligatoire ne résoudra pas le problème des défaites électorales pour les partis de gouvernement lors des élections intermédiaires. Prenons pour cas les élections européennes de 2014, où près de 59% des inscrits ne sont pas exprimés si on cumule abstentionnistes et votes blancs et nuls. Pour effectuer la simulation d’un vote obligatoire effectif lors de ce scrutin, nous disposons d’un sondage réalisé juste après l’élection, auprès d’un échantillon de 4 000 personnes représentatives de la population française (Sauger et al. 2015). Nous avons demandé aux enquêtés pour qui ils avaient voté, s’ils l’avaient fait, ou pour qui ils auraient voté s’il ne s’était pas abstenu. Premier résultat, le nombre de bulletins blancs aurait plus que doublé. D’environ 3% parmi ceux qui ont participé à l’élection, l’intention de voter blanc est de plus de 10% parmi les abstentionnistes. Pour la répartition en voix entre partis, les résultats sont présentés dans le tableau suivant.

Tableau : simulation de l’effet du vote obligatoire sur les résultats de l’élection européenne de 2014 en France


Votes exprimés Vote potentiel des abstentionnistes Résultat possible en cas de vote obligatoire
Gauche radicale et Front de gauche
8,2%
12,0%
10,5%
Parti socialiste
14,0%
12,4%
13,0%
Divers gauche
3,2%
2,5%
2,7%
Ecologistes
11,0%
14,2%
12,9%
UMP
20,8%
17,1%
18,6%
MoDem, UDI et divers droites
15,9%
11,4%
13,3%
Front National
24,9%
28,6%
27,1%
Autres
2,0%
1,8%
1,9%
Source : Sauger et al. 2015. Les données sont pondérées pour redressement sociodémographique et politique.

Les résultats de ce tableau sont très explicites. D’une part, les différences entre votants et abstentionnistes et votants sont limitées, mais significatives, conduisant à prédire un écart systématiquement inférieur à 2,5 points des résultats des partis. D’autre part, les abstentionnistes apporteraient plus leur soutien à la gauche radicale, aux écologistes et, surtout, au Front National. On voit clairement ici qu’expliquer les résultats d’élections comme les Européennes que par un différentiel de participation à l’intérieur de l’électorat est loin de décrire effectivement la situation réelle. Et l’instauration d’un vote obligatoire profiterait principalement aux formations politiques les plus critiques du système politique.

Pourquoi le vote obligatoire est compliqué à mettre en œuvre ?

On pourrait en plus ajouter que, loin de résoudre les problèmes auxquels il s’adresse, la mise en œuvre du vote obligatoire poserait nombre de problème dans son application pratique. Par exemple, l’article L9 du Code électoral prévoit d’ores et déjà que l’inscription sur les listes électorales est « obligatoire ». Pour autant, cette obligation n’est assortie ni de vérification systématique ni de sanction. La seule sanction réelle étant de ne pas pouvoir voter. En 2012, l’INSEE évaluait à 93% la proportion des inscrits sur ceux qui pouvaient l’être1. Sans inscription obligatoire, le vote obligatoire semble un pis-aller, dans la mesure où il conduit à augmenter le nombre de non-inscrits. Rendre effective l’inscription obligatoire, soit par un système d’inscription automatique, comme c’est déjà le cas pour les jeunes majeurs soit par la mise en place d’amendes pose en revanche des difficultés techniques importantes et implique un coût significatif qui ne serait probablement pas compensé par le recouvrement des amendes. La difficulté technique tient essentiellement à la mise à jour nécessaire du Fichier général des électeurs tenu par l’INSEE. Or ces mises à jour, même sur une base annuelle, sont extrêmement compliquées dans la mesure il n’existe pas en France d’enregistrement de fait obligatoire de la population générale. Le recensement général de la population, seule base existante équivalente, est incapable de fournir ces informations pour chacun des résidents français.

Une alternative simple

Notre conclusion n’est pas qu’il n’existe aucun dispositif institutionnel contre l’abstention. Au contraire, pour nous, il existe une alternative simple au vote obligatoire, certes moins efficace dans l’effet attendu sur le niveau de participation, mais beaucoup plus positif dans sa dynamique générale. L’une des principales sources d’abstention est l’étalement du calendrier électoral. Pour les élections locales, il nous paraît incompréhensible que les échéances départementales et régionales aient été déconnectées, avec six mois d’écart puisque le scrutin régional est prévu pour décembre 2015. Leur synchronisation aurait eu un effet extrêmement positif sur la participation, avec un surcroît de près 12 points de pourcentage si l’on se reporte aux consultations préécdentes (Fauvelle-Aymar et François, 2015). Avec 11 tours de scrutin potentiels sur un cycle électoral complet, la France est l’un des pays où le vote est le plus émietté. Synchronisons durée des mandats et élections en deux ou trois échéances majeures, et il y a fort à parier qu’une partie substantielle du problème de l’abstention sera résolue.

Abel François et Nicolas Sauger


Références
FAUVELLE-AYMAR, C. et FRANÇOIS, A., 2015, « Mobilization, Cost of Voting and Turnout: A Natural Randomized Experiment with Double Elections », Public Choice, 162: 183-199, 2015
GAXIE, D., 1978, Le cens caché, Paris, Seuil.
SAUGER Nicolas, DEHOUSSE, Renaud, GOUGOU, Florent, 2015 (à paraître), Comparative Electoral Dynamics in the EU in 2014, Cahiers Européens, sous presse.
SELB P., LACHAT R., 2009, « The More, the Better? Counterfactual Evidence on the Effect of Compulsory Voting on the Consistency of Party Choice », European Journal of Political Research, vol. 48, no 5, p. 573-597.


1 Hors cas spécifiques des citoyens d’autres pays de l’Union européenne, dont l’inscription est estimée à environ 20%.

mercredi 25 mars 2015

Les résultats du premier tour des élections départementales de 2015

Comme lors de chaque scrutin, le Ministère de l’Intérieur a établi des résultats agrégés au niveau national du premier tour des élections départementales par force politique. Depuis dimanche soir, cette présentation des résultats a été largement remise en question par les responsables politiques car elle repose sur un ensemble de choix discutables.
Depuis la publication du fichier des candidatures par le Ministère de l’Intérieur, plusieurs spécialistes des élections et chercheurs membres du réseau Futur des Etudes Electorales (FEEL) de l’Association Française de Science Politique ont conjugué leurs efforts et passé en revue l’ensemble des binômes afin de mieux prendre en compte la réalité de l’offre électorale. Cette note présente les premiers résultats de ce travail collectif, qui permet de questionner avec beaucoup plus de précision l’état des rapports de force électoraux en France.

Le nuancier du Ministère de l’Intérieur

La totalisation des résultats des forces politiques au niveau national pour ce premier tour des élections départementales n’est pas un exercice facile : ce sont en fait 2 054 élections différentes qu’il faut agréger (1 995 sur le territoire métropolitain). Mais cet effort est incontournable pour analyser la manière dont les électeurs ont voté, et notamment pour mesurer les dynamiques nationales qui ont été à l’œuvre.  
Le nuancier établi avant le scrutin par le Ministère de l’Intérieur, qui a été appliqué aux binômes de candidats au niveau des préfectures, joue ce rôle. Cependant, le codage des candidatures, indispensable pour agréger les résultats, ne va jamais de soi. Certaines candidatures sont difficiles à caractériser, et les erreurs sont fréquentes, notamment (mais pas seulement) en ce qui concerne les divers gauche, divers et autres divers droite. Par ailleurs, comme tout nuancier, celui du Ministère de l’Intérieur correspond à des choix pour rendre compte de l’offre politique. Il est ici insatisfaisant pour avoir une vision précise des rapports de force électoraux nationaux car il ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des stratégies d’alliances entre les partis. Et ce d’autant que l’instauration d’un scrutin binominal offre des possibilités importantes d’alliances.
Pour ces élections départementales, la problématique principale concerne la gauche, compte tenu de la forte fragmentation de ses candidats et les logiques différenciées d’alliances entre ses diverses composantes. Or c’est à gauche qu’il existe un enjeu à comparer les résultats des forces politiques puisque de nombreuses organisations (PCF, PG, EELV, etc.) cherchent à concurrencer la position nationale dominante du PS. A droite, l’UMP, l’UDI et le MoDem ont davantage été dans une logique de coopération et d’unité, les enjeux concurrentiels relevant le plus souvent de confrontations locales et de personnes (comme en Haute-Savoie par exemple). Seuls Debout la France et bien sûr le Front National ont été dans une logique d’affrontement, mais l’identification de leurs binômes ne pose pas de problème.
Le nuancier établi par le Ministère de l’Intérieur comporte 17 catégories, dont 9 pour caractériser l’offre à gauche (tableau 1).

Tableau 1
Le nuancier du Ministère de l’Intérieur pour les binômes de gauche

Acronyme
Composition
EXG
Binôme Extrême gauche
FG                  
Binôme du Front de Gauche
PG
Binôme du Parti de Gauche
COM
Binôme du Parti communiste français
SOC
Binôme du Parti Socialiste
UG
Binôme Union de la Gauche (PS + un parti)
RDG
Binôme du Parti radical de gauche
DVG
Binôme Divers gauche
VEC
Binôme d'Europe-Ecologie-Les Verts

Comme cela a été relevé par de nombreux observateurs, ces catégories ne permettent pas de dissocier les différentes alliances avec le PS (PS-PCF, PS-EELV notamment) qui sont toutes considérées comme Union de la gauche. De plus, la catégorie Union de la gauche recouvre également des candidatures qui se réduisent aux seuls PS et PRG.
D’autre part, les candidats investis par EELV et le Front de gauche (ou seulement l’une des composantes du Front de gauche) sont considérés comme des divers gauche, ce qui aboutit à les assimiler à des candidats sans étiquette de gauche ou à des candidats soutenus par le PS. Le canton 3 de Grenoble offre une illustration des limites de la codification du Ministère : le binôme PS-PRG sans le PCF est codé Union de la gauche, tandis que le binôme EELV-PG-Nouvelle Donne est codé Divers gauche.

La stratégie de comptage retenue

Depuis la publication du fichier des candidatures par le Ministère, notre groupe de travail a recueilli les données établies par les partis (PCF, PG, EELV, ND, PS, UMP, DLF) concernant l’ensemble de leurs investitures. Par ailleurs, les nuances de chaque candidat et de chaque binôme ont été vérifiées au niveau de chaque canton, département par département (avec généralement des alliances entre partis au niveau de chaque département).
Ce travail, encore en cours et donc perfectible, permet néanmoins de produire au surlendemain du premier tour des résultats agrégés nationaux qui reflètent de façon plus juste la réalité des rapports de force, notamment en ce qui concerne la gauche. A ce stade, le choix a été fait de considérer les binômes comme des candidatures indissociables. Une autre manière de compter, qui consiste à attribuer le moitié des voix à chacun des candidats composant le binôme, sera explorée dans un travail ultérieur.


Les résultats du premier tour

Les données présentées ci-dessous correspondent aux 1 995 cantons de France métropolitaine. En Guadeloupe, à La Réunion et à Mayotte, où des élections départementales ont également été organisées, les dynamiques nationales ont été moins présentes et les particularismes de l’offre électorale plus importants (avec notamment une faible présence de l’extrême droite). Ceci peut justifier, dans une logique d’analyse des rapports de force nationaux, de restreindre le périmètre à la France métropolitaine (sans oublier que les électeurs parisiens et de l’agglomération lyonnaise n’étaient pas concernés par le scrutin départemental).

Tableau 2
Les résultats du premier tour des départementales de 2015 selon les logiques d’alliance (métropole)


Résultats (%)
Nombre de cantons
Votants
50,3
1 994
Blancs
1,6

Nuls
0,8

Exprimés
47,9

Extrême gauche
0,1
41
Front de Gauche
5,5
1 075
Front de Gauche - EELV
2,8
427
EELV
1,9
362
PS-PCF
1,3
98
PS-EELV
3,0
204
PS-PCF-EELV
0,4
22
PS-PRG
20,1
1 525
DVG
1,8
270
Régionalistes
0,5
59
Ecologistes divers
0,1
17
Divers
0,4
113
UMP-UDI-MoDem
33,3
1 926
DVD
2,9
389
DLF
0,4
156
FN
25,7
1 897
Extrême droite
0,1
21
NB : Les résultats sont en pourcentage des inscrits pour les votants, les blancs, les nuls et les exprimés, en pourcentage des exprimés pour les binômes de candidats.


Les binômes Front de gauche correspondent aux binômes investis soit par le seul PCF, soit par le seul PG, soit par ces deux partis en même temps (avec aussi la présence moins significative de la troisième composante du Front de gauche, Ensemble). Ils totalisent 5,5 % des suffrages exprimés avec une présence dans un peu plus d’un canton sur deux (1 075 sur 1 995).
Les binômes FG-EELV se distinguent des binômes FG par le fait qu’ils sont également soutenus par EELV. Ces binômes ont obtenu 2,8 % des suffrages exprimés avec une présence dans près d’un quart des cantons, avec parfois des concurrences entre un binôme PG-EELV et un binôme PCF.
Les binômes EELV sont ceux qui ont été investis par EELV sans le soutien d’une composante du FG et sans le soutien du PS. Certains de ces binômes sont aussi investis par des petits partis comme Nouvelle Donne. Les binômes EELV ont recueilli 1,9 % des suffrages exprimés avec une présence dans moins de deux cantons sur dix.
Le cumul des voix des binômes FG, FG-EELV et EELV indique que la gauche autonome du PS totalise 10,1 % (sans compter 0,1 % pour l’extrême gauche quasi absente dans ce scrutin) pour une présence dans 1 546 cantons sur 1 995.
Les binômes PS-PRG correspondent à des binômes investis par le PS, avec ou sans le PRG. Les binômes PRG sans soutien du PS ont été agrégés à la catégorie DVG (seulement 20 cas et 30 000 voix environ). Les binômes PS-PRG n’ont pas reçu le soutien du FG ou d’EELV. Ils totalisent 20,1 % des suffrages exprimés avec une présence dans un peu plus de trois-quarts des cantons.
Les binômes PS-PCF, PS-EELV et PS-PCF-EELV correspondent à des binômes qui ont reçu l’investiture de ces différents partis. Dans certains cas, l’une des composantes de ces alliances se contente d'apposer son logo ou de présenter un suppléant. Dans certains cas, le soutien est encore plus discret. Ces binômes sont présents dans à peine plus de 15 % des cantons. Ils totalisent 4,6 % des suffrages exprimés.
L'agrégation des différents binômes soutenus par le PS amène à un score de 24,7 % pour une présence dans 1 849 cantons sur 1 995.
Mais d’autres agrégations peuvent paraître légitimes, notamment celle qui agrègent les binômes PCF, PCF-PG, PCF-PG-EELV, PCF-PS, PCF-PS-EELV avec un score de 9,4 % pour une présence dans 1 542 cantons sur 1 995.
Il en va de même pour le total des candidats soutenus par EELV avec les binômes EELV, EELV-FG, EELV-PS, EELV-PS-PCF avec un total de 8,0 % pour une présence dans 962 cantons sur 1 995.
Enfin, à gauche, les binômes divers gauche correspondent à des binômes sans étiquette ou de petits partis tels que le MRC ou Nouvelle Donne (mais aussi le PRG) qui ne bénéficient pas du soutien du PS, du FG ou d’EELV. On retrouve aussi dans cette catégorie les candidats PS dissidents ou ex-socialistes en rupture de banc (candidats soutenus par Philippe Saurel dans l’Hérault, candidats de la Force du 13 de Jean-Noël Guérini dans les Bouches-du-Rhône).
Parmi les candidats inclassables à gauche ou à droite, on retrouve les binômes divers, régionalistes (notamment en Corse, dans les Pyrénées-Atlantiques, en Savoie et en Bretagne) et écologistes divers.
Les binômes soutenus par l’UMP, l’UDI ou le MoDem (parfois en concurrence) permettent de saisir l’état de l’opposition de droite modérée qui se présentait nationalement sous une forme relativement unie, sans véritable logique de concurrence, ni l’UDI ni le MoDem ne contestant la position hégémonique de l’UMP (contrairement à la période passée en ce qui concerne le MoDem, qui a par ailleurs rompu avec son discours ni gauche ni droite). Ces binômes totalisent 33,3 % avec une présence quasi systématique.
Les binômes Divers droite sont réduits à des binômes non soutenus par l’UMP, l’UDI ou le MoDem : ils correspondent soit à de petits partis (comme l’UPR), soit à des dissidents.
Les binômes Debout la France se présentaient de façon autonome systématiquement. Il en va de même pour les binômes du FN, qui ne posaient aucun problème de recodage. Ils recueillent 25,7 % en France métropolitaine, avec une présence dans 95 % des cantons.


Florent Gougou et Simon Labouret, avec le groupe de travail FEEL



Le groupe de travail

Le groupe de travail de codage des résultats électoraux en France qui s’est constitué en février 2015 au sein de l’Association Française de Science Politique, est une initiative inédite qui vise à coordonner les efforts individuels qui étaient jusque là entrepris par les chercheurs qui travaillent sur les données agrégées des élections. Il réunit Julien Audemard, Paul Bacot, Frédérik Cassor, Alan Confesson, Baptiste Coulmont, Laurent de Boissieu, Diane Delacourt, Thomas Ehrhard, Martial Foucault, Abel François, Joël Gombin, David Gouard, Florent Gougou, Grégory Hû, Jérôme Jaffré, Antoine Jardin, Simon Labouret, Pierre Martin et Simon Persico.

Pour tout renseignement supplémentaire, florent.gougou@sciencespo.fr

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vendredi 20 mars 2015

Départementales 2015 : désunion des candidatures de gauche

Les élections cantonales sont mortes, vive les départementales ! Tel pourrait être le slogan désignant les échéances électorales des deux dimanches prochains. En effet, les 22 et 29 mars, ce ne sont plus des conseillers généraux qu’éliront les Français mais des conseillers départementaux. Au-delà de cette nouvelle appellation, plusieurs évolutions sont mises en place : nouveau mode de scrutin, mise en place de binômes, redécoupage des cantons. Dans ce contexte, comment les partis politiques s’organisent-ils pour élire leurs 4108 nouveaux conseillers départementaux.


Une gauche en « désordre » de bataille

Aujourd’hui, la gauche détient 61 départements sur 101. Il est probable que demain, elle en aura perdu. La vraie question est combien et lesquels ?

En effet, la dynamique électorale enclenchée aux élections municipales de 2014 a toutes les chances de se poursuivre. Grâce à elles, la droite a recouvré une assise locale importante et reconquis le Sénat. Le risque de reculer pour la gauche est d’autant plus important que les candidats qui s’en réclament se présentent fortement divisés. 

Seuls 433 cantons sur 2054 verront la gauche rassembler autour d’un seul binôme (contre 1285 pour la droite). En moyenne, la gauche présentera deux binômes dans un canton sur deux et trois binômes dans un canton sur cinq. Avec un mode de scrutin nécessitant au moins 12,5 % des suffrages des inscrits pour se maintenir au second tour, combiné à une abstention frôlant les 60%, les partis traditionnels sont conduits à privilégier l’union pour éviter de profondes désillusions. Une manière de mesurer l’offre électorale consiste à calculer un taux de fragmentation des binômes de gauche et droite au niveau de chaque canton et d’en déduire un niveau moyen à l’échelle du département. La carte ci-dessous illustre une forte fragmentation de la gauche, en particulier dans les départements où les présidents de conseils généraux sont sortants. Concrètement, les binômes d’union de la gauche ne concernent en moyenne que 35% des cantons contre 45% pour les listes d’union de la droite. En revanche, le Parti socialiste parvient à présenter 998 binômes et l’UMP 420 binômes. Cette situation illustre les difficultés pour la gauche d’organiser l’union en son sein. Europe Ecologie les Verts présentera 249 binômes (sur 387 au total) là où des candidatures socialistes sont également en lice. Enfin, le Front de gauche a également choisi une stratégie d’autonomie vis-à-vis des listes socialistes avec près d’un binôme Front de gauche sur deux opposé à une liste socialiste, et un binôme FG sur quatre face à un binôme d’union de la gauche.


Et à droite ?

Cette fragmentation est-elle seulement l’apanage de la gauche ? La droite est également touchée par la désunion mais à un niveau beaucoup plus faible et surtout dans une configuration singulière liée principalement aux binômes divers droite (DVD). En effet, l’UDI et l’Union de la droite (UD) sont concurrents dans seulement 10 cantons, et l’UMP sera opposée à l’UDI dans 53 cantons. La carte ci-dessous présente la distribution géographique de la fragmentation à droite.
La droite partage avec la gauche un niveau de fragmentation plus élevé dans les 40 départements qu’elle gouverne aujourd’hui. Les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin incarnent cette forte concurrence partisane. Dans d’autres départements tels les Pyrénées-Atlantiques ou les Bouches du Rhône, des binômes concurrents DVD seront opposés aux candidatures d’union de la droite ou de l’UMP.  

Un Front National faiseur de majorité

Autre sujet d’intérêt – voire le plus commenté – est le danger que représente le Front national pour les partis traditionnels. Peut-il jouer les trouble-fêtes et notamment dans le Vaucluse, le Var, les Bouches-du-Rhône, le Nord, le Pas-de-Calais, l’Aisne et la Seine-et-Marne ? À l’issue du premier tour, se trouvera-t-on face à des duels gauche/droite ou bien une majorité de duels gauche/FN ou droite/FN, sans oublier les cas de triangulaires (en cas de forte abstention) ? Des duels dont on sait qu’ils peuvent engendrer des divisions meurtrières au sein et entre gauche et droite quant à la stratégie à mettre en place pour remporter le second tour ?
Si le Front national est présent dans 93% des cantons (contre 71% en mars 2011), la gauche ne présente aucune liste d’union dans les 145 cantons où le parti frontiste est absent. A l’inverse, la droite présente un binôme d’union dans 33 cantons et des listes UMP dans 38 cantons.
Conformément à la stratégie de Marine Le Pen d’imposer le tripartisme, l'enjeu pour le Front National, après les européennes, est de démontrer sa capacité à peser dans un scrutin majoritaire à deux tours, qui jusqu’à présent constituait un obstacle institutionnel de la Ve République à la tripartition de l’espace politique national. Au fond, si le Front national est qualifié au second dans une forte proportion de cantons, c’est le principe même d’alliances électorales qui sera enterré en vue des prochaines échéances.


Les élections départementales de 2015 révèlent un niveau soutenu de désunion à gauche. Est-ce un enjeu ? Incontestablement, la forte nationalisation de ce scrutin obligera au soir du premier tour de faire le bilan du rapport de force gauche/droite. Avec une forte fragmentation des candidatures de gauche, la présence au second tour d’un binôme de gauche est fortement menacée. La dispersion des voix de gauche pour ces élections départementales ravive le spectre du 21 avril 2002 avec une disqualification du candidat socialiste concurrencé par des alliés devenus le temps d’une élection des concurrents redoutables.

Martial Foucault