Comme
ce fut le cas pour la campagne des élections municipales de 2014, la
campagne des élections départementales de 2015 a été dominée par
la question des résultats du Front national. Grâce à une
couverture sans précédent du territoire français, le parti
d’extrême droite devrait assez nettement renforcer ses positions
dans les conseils généraux, voire être majoritaire dans certaines
assemblées. Plusieurs départements sont ciblés, l’Aisne, le Var
et le Vaucluse notamment.
Traditionnellement,
l’élection des conseillers généraux n’est pourtant pas la plus
favorable aux partis qui ne disposent pas d’un solide réseau
d’élus locaux. Les anciennes élections cantonales étaient des
élections de notables locaux, marquées par un taux de réélection
extrêmement élevé des conseillers généraux sortants. Le nouveau
mode de scrutin et le redécoupage de la carte des cantons introduits
pour les nouvelles élections départementales pourraient-elles
changer la donne et faciliter la montée en puissance du Front
national ?
Les
anciennes élections cantonales, des élections de notables
Les
dernières élections cantonales ont eu lieu en mars 2011. Elles
concernaient l’ensemble des 1938 cantons de la série A et deux
cantons de la série B dans lesquels une partielle était organisée.
En termes de suffrages exprimés, la droite gouvernementale a été
victime d’un puissant « vote sanction », dans la lignée
des résultats des municipales de 2008, des européennes de 2009 et
des régionales de 2010. Avec seulement 22,5 % des voix au
premier tour de scrutin, les candidats de la majorité au pouvoir ont
enregistré leur plus mauvais score dans cette série de cantons,
reculant de 3,3 points par rapport à leur niveau de 2004, niveau qui
constituait déjà un record de faiblesse.
Cependant,
ces élections ont été marquées par une remarquable résistance
des conseillers généraux sortants de droite qui se représentaient :
85 % d’entre eux ont retrouvé leur siège à l’issue du
scrutin (tableau 1)1.
Par leurs conditions d’organisation, les élections cantonales
étaient des élections taillées sur mesure pour les notables
locaux . Le taux de réélection des conseillers généraux sortants
était très élevé (87 % tous partis confondus lors des
cantonales de 2011), et traduisait l’importance décisive de
l’implantation des candidats.
Tableau
1
La
réélection des sortants aux élections cantonales de 2011 en France
métropolitaine
Sortants
candidats
|
Sortants
réélus
|
Taux
de réélection
|
|
Gauche
|
948
|
841
|
88,7 %
|
Front
de Gauche
|
96
|
87
|
90,6 %
|
Parti
Socialiste
|
667
|
599
|
89,8 %
|
Parti
Radical de Gauche
|
49
|
41
|
83,7 %
|
Europe
Ecologie Les Verts
|
10
|
7
|
70,0 %
|
Divers
gauche
|
126
|
107
|
84,9 %
|
Droite
|
601
|
512
|
85,2 %
|
UMP
+ Nouveau Centre
|
410
|
349
|
85,1 %
|
Divers
droite
|
190
|
162
|
85,3 %
|
Extrême
droite
|
1
|
1
|
100 %
|
Autres
|
24
|
18
|
75,0 %
|
MoDem
|
9
|
7
|
77,8 %
|
Ecologistes
divers
|
2
|
1
|
50,0 %
|
Divers
|
13
|
10
|
76,9 %
|
Ensemble
|
1573
|
1371
|
87,2 %
|
NB :
Ces données ont été initialement présentées dans Florent Gougou,
Simon Labouret, « The 2011 French Cantonal Elections: The Last
Voter Sanction before the Presidential Poll », French
Politics,
9 (4), 2011.
En
tenant compte des conseillers généraux sortants qui ne se
représentaient pas, les chiffres restent tout aussi impressionnants.
Lors des élections cantonales de 2011, le conseiller général
sortant a été réélu dans 70,7 % des cantons (1371/1940) et
battu dans seulement 10,4 % des cantons (202/1940), les sortants
qui avaient décidé de passer la main représentant 18,9 % des
cas (367/1940).
Les
élections départementales, des élections d’un nouveau type
Initialement
condamnées par la reforme de l’organisation territoriale de la
France et la suppression programmée des conseils généraux, les
élections cantonales ont finalement été remplacées par des
élections départementales. Avec au passage un nouveau mode de
scrutin, un nouveau découpage de la carte des cantons, et un nouveau
calendrier électoral.
Ces
trois éléments sont de nature à modifier le poids des conseillers
généraux sortants, et à altérer la capacité de résistance des
partis établis. Le nouveau mode de scrutin binominal paritaire,
associé à la division de moitié du nombre de cantons, implique une
diminution très importante du nombre d’élus sortants de sexe
masculin qui vont se représenter. Quant à la réforme du calendrier
électoral, avec le renouvellement complet des conseils généraux en
lieu et place d’un renouvellement par moitié tous les 3 ans, elle
est susceptible d’accroître la nationalisation du scrutin et
d’affaiblir les facteurs locaux .
Les
conseillers généraux sortants aux élections départementales de
2015
Le
premier tour des élections départementales concerne les 2054
cantons de France métropolitaine, de Guadeloupe, de La Réunion et
de Mayotte. Il met aux prises 9097 binômes, soit 18194 candidats.
Parmi ces 18194 candidats, on ne dénombre « que » 2189
sortants : 1229 de gauche, 944 de droite, et 16 inclassables
(sans étiquette, régionalistes, écologistes divers).
Compte
tenu du redécoupage des cantons, certains cantons voient plusieurs
sortants s’affronter. Au final, seuls 1668 cantons auront au moins
un binôme de candidats avec un conseiller général sortant, mais la
proportion est similaire à celle mesurée pour les élections
cantonales de 2011 : dans 81 % des compétitions, un
sortant sera en lice. De ce point de vue, les élections
départementales ne semblent pas fondamentalement différentes des
élections cantonales. Cependant, cette stabilité cache une
évolution considérable dans la proportion de femmes parmi les
sortants qui se représentent, qui progresse de manière
spectaculaire entre les cantonales de 2011 et les départementales de
2015 : en 2011, sur les 1573 sortants qui se représentaient, on
ne dénombrait que 198 femmes, soit 12,6 % du nombre total de
sortants. En 2015, cette proportion monte à 21,7% (474 femmes sur
les 2189 élus sortants qui se représentent). En 2011, le taux de
réélection des conseillères sortantes a été de 83,8 %
(166/198), alors qu’il s’est élevé à 87,6 % pour les
conseillers sortants (1205/1375).
Perspectives
La
capacité des conseillères et des conseillers généraux sortants à
se faire réélire lors des prochaines élections départementales
sera un élément crucial dans l’analyse du scrutin. Si les
départementales ressemblent aux cantonales et sont aussi favorables
aux élus sortants, elles constitueront un obstacle à la percée du
Front national. Si elles s’imposent en revanche comme un scrutin
d’un type nouveau, plus exposé aux forces nationales et moins
sensible aux facteurs locaux, elles pourraient accélérer les
recompositions à l’œuvre dans le paysage politique français.
Florent Gougou
1 On peut penser qu’une partie des sièges les moins sûrs a basculé lors des élections cantonales de 2004, déjà très défavorables à la droite modérée. Cependant, le recul significatif des candidats de l’UMP et de ses alliés au premier tour en termes de suffrages exprimés aurait pu se traduire par de nouvelles pertes importantes en sièges au second tour, ce qui n’a pas été le cas.
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