mardi 26 septembre 2017

Les élections allemandes : symptômes d’une maladie européenne

Avant les élections fédérales du 24 septembre 2017, l'Allemagne semblait à l'abri de la plupart des difficulté rencontré par ses voisins. On l’a souvent répété : la plupart des gouvernements au pouvoir au début de la crise économique et financière de 2008 ont été battus aux élections suivantes. Angela Merkel a survécu. Son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), a même obtenu de meilleurs résultats aux élections fédérales de 2013 qu’à celles de 2009. Ce résultat a contribué au mythe d’une exception allemande : un pays qui n’est pas soumis aux mêmes aléas politico-économiques, qui est mieux gouverné que ses voisins, et où les citoyens soutiennent le gouvernement en place.

L’Allemagne se distingue également par la faiblesse historique du vote d’extrême-droite. Alors que des partis de ce courant sont fortement implantés dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest (et de l’Est), et parfois même au gouvernement, ils n’avaient jamais réussi à percer au niveau fédéral en Allemagne, devant se contenter de quelques résultats honorables dans les Länder.

L’élection du 24 septembre 2017 semble sonner le glas de l’exception allemande. L’Alternative für Deutschland, parti populiste et anti-immigration, fait une entrée fracassante au Bundestag, alors que le CDU perd près de 70 sièges par rapport à 2013. Pire, les deux partis traditionnels de gouvernement, le CDU et les social-démocrates du SPD, représentent à peine plus de 50 pour cent des votes. Pour rappel, ces deux partis ont régulièrement atteint 80 pour cent des suffrages, et même plus de 90 en 1976, comme le montre le panneau gauche du graphique ci-dessous. Parallèlement la participation (panneau droit) a également quelque peu diminué depuis cette date. Elle reste très solide, certes, mais, avec 76 pour cent, on est loin des taux de plus de 90 pour cent des années soixante-dix.



L’Allemagne rejoint ainsi un monde politique déjà bien connu presque partout ailleurs, un monde politique rythmé par des surenchères populistes, une volatilité accrue et une confiance déclinante en les capacités et les qualités de ceux qui nous gouvernent.

Dans ce monde politique, il devient de plus en plus difficile de trouver des majorités. Parfois, comme en France, le système électoral fabrique des majorités là où il n’y en pas, mais cela semble juste retarder le moment où il faudra faire face au problème de la gouvernabilité déclinante. Gouverner devient de plus en plus difficile, dans un contexte où la vindicte populaire contre le gouvernement se déchaîne à peine quelques mois après son élection. Le risque -réel- est d’assister à un nombre croissant de « surprises » électorales comme le Brexit ou l’élection de Donald Trump. Le risque est aussi de se trouver dans l’impossibilité croissante de trouver des accords dans les instances européennes ou de trouver un terrain d’entente sur des sujets aussi cruciaux que la gestion des flux migratoires ou la lutte contre le réchauffement climatique.

Pour l’Allemagne, la période – souvent longue – de négociation de coalition s’annonce plus difficile que jamais. Une « grande coalition », entre SPD et CDU atteindrait une majorité absolue, mais Martin Schulz, le chef de file des sociaux-démocrates, a annoncé que son parti ne participerait pas au gouvernement. Cette élection a confirmé que les grandes coalitions ont – presque - toujours été défavorables au SPD. La seule alternative viable semble être une « coalition jamaïcaine », avec les libéraux du FDP et les Verts. Inimaginable en France, ce type de coalition ne semble plus relever de l’impossible, mais ne sera pas facile à gérer au jour le jour.

Quelque soit la coalition trouvée, il sera plus difficile de gouverner et la fragilité des résultats risque d’avoir un impact sur le style de gouvernement et même sur le contenu des politiques adoptées. Angela Merkel a de fortes chances de se voir contestée au sein de son parti, ce qui était déjà le cas lors des deux dernières années à l’occasion de plusieurs élections régionales. C’est surtout la politique migratoire qui sera dans la ligne de mire du groupe parlementaire de l’AFD, bien sûr, mais sans doute aussi des partenaires de l’Union sociale-chrétienne bavaroise et d'une partie des membres du parti de la chancelière. Le projet européen dans son ensemble risque de pâtir de cette contestation interne. Un leadership allemand est en effet de moins en moins probable dans ces conditions.

L’élection allemande du 24 septembre montre qu’aucun pays n’est plus à l’écart de ces évolutions. Nos systèmes politiques sont à bout de souffle, le contrat social sur lequel ils sont bâtis semble de plus en plus contesté. Il ne suffit pas ou plus de marteler que ce sont les fondements de notre démocratie qu’il faut respecter. Le rapport entre représentants et représentés doit être refondé. Il faut inventer la démocratie de demain, des nouvelles manières d’impliquer les citoyens et de répondre à leurs attentes, leurs déceptions et leurs craintes. Il n’y a pas de fatalité, pourtant : en Islande ou en Irlande il a fallu repenser le système politique suite à des crises économiques qui ont ébranlé les fondements de la société politique. Mais il n’y a pas non plus de solution facile : ce qui marche en Irlande ne marche pas forcément en France ou en Allemagne. Le chemin est difficile et semé d’embûches. Mais ce n’est qu’au prix d’une réforme en profondeur que nos systèmes politiques resteront gouvernables.


Emiliano Grossman