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samedi 8 février 2014

L’intolérance vis-à-vis des immigrés en France : l’environnement des personnes pèse-t-il sur leur xénophobie ? (2)

première partie du texte ici

Des effets contextuels peu sensibles aux caractéristiques individuelles

L’idée est de savoir si les effets de l’environnement, tels que nous venons de les détailler, peuvent varier entre les individus en fonction de leurs caractéristiques individuelles. Parmi l’ensemble des caractéristiques que nous avons ainsi analysées, seules deux sont statistiquement significatives. Les deux concernent l’effet contact, c’est-à-dire l’influence de la proportion d’étrangers dans le département d’habitation ; ce qui signifie que l’effet de compétition, lui ne varie pas avec les traits particuliers des enquêtés. Arrêtons-nous un instant sur ce dernier point : un taux de chômage élevé produit plus de xénophobie aussi bien chez les individus instruits ou très qualifiés que chez ceux qui ont un faible niveau d’instruction et de qualification. Cela suggère que ce ne sont pas spécifiquement les personnes plus exposées à la concurrence des étrangers qui vont devenir plus intolérants face à une montée du chômage, mais bien l’ensemble des citoyens. Par conséquent, c’est la situation de vulnérabilité collective face à la compétition qui rend les gens plus xénophobes et non, comme les suggère la deuxième version de l’effet de compétition, la vulnérabilité individuelle.

L’effet contact est tout d’abord différent selon le niveau de diplôme de la personne (voir la figure ci-dessous). Ainsi, nous pouvons constater que les plus diplômés (bac plus deux et au-delà) ont un niveau de tolérance plus élevé, ils sont beaucoup moins sensibles à l’effet de contact que les moins diplômés. En comparant l’effet de la proportion d’étrangers dans leur département sur leur niveau de tolérance, la droite représentant l’effet de contact pour les diplômés a un point de départ plus élevé et a une pente bien plus faible que pour la droite concernant les personnes peu diplômées. Ces calculs prédisent qu’avec un tiers d’étrangers dans un département, il n’y aurait plus de différence entre le niveau de tolérance des personnes diplômées et ceux des personnes non diplômées. 

Effet de contact selon le niveau de diplôme de l’enquêté

Nous trouvons également une différence dans l’effet de contact entre les personnes possédant des compétences professionnelles valorisées sur le marché de l’emploi et celles ne possédant pas de compétences particulières (figure ci-dessous). De nouveau, il y a une différence de niveau puisque les personnes à compétences professionnelles ont un indice de tolérance plus élevé que les personnes n’ayant pas de compétences particulières. En revanche, le premier groupe n’est pas sensible à l’effet de contact, car la pente est quasiment nulle. Encore une fois, donc, ce sont les personnes qui sont les plus vulnérables sur le marché du travail qui sont à la fois plus xénophobes lorsque les étrangers sont peu nombreux, et plus tolérantes lorsqu’il y a une forte proportion d’étrangers.

Effet de contact selon le niveau de compétence de l’enquêté



Des effets contact et compétition interactifs

Le dernier élément analysé est la possibilité d’une interaction entre les effets contact et compétition. Autrement dit, est-ce que la tolérance des personnes est sensible à la présence d’immigrés quel que soit le niveau de chômage, ou bien est-ce que ces personnes réagissent-elles différemment à la mixité selon les difficultés économiques de leur environnement ? Inversement, est-ce que la tolérance des enquêtés réagit différemment au taux de chômage départemental selon que les enquêtés se trouvent dans des départements à faible ou à forte proportion d’étrangers ?
La réponse est sans ambigüité, les effets contextuels sont interactifs. Ainsi, l’effet de compétition, c’est-à-dire l’effet du chômage environnant sur la tolérance, est plus marqué pour les personnes habitant un département où la population immigrée est plus importante (voir la figure plus bas). Ces personnes réagissent plus en termes de tolérance à une dégradation de l’environnement économique que les personnes habitant des départements où la proportion d’immigrés est plus faible.

Effet de concurrence sur la tolérance selon le niveau de la proportion d’étrangers

L’effet de contact, c’est-à-dire l’incidence de la proportion d’immigrés dans l’environnement d’un individu sur sa tolérance, varie également en fonction du niveau de chômage (voir ci-dessous). Ainsi, les individus qui se trouvent dans des départements aux taux de chômage faibles sont sensibles à la présence d’immigrés : plus ils ont d’opportunité de contact, plus ils sont tolérants. Mais à l’inverse, les personnes qui habitent dans des départements plus affectés économiquement ne réagissent pas à la présence d’immigrés dans leur environnement, ce qui signifie que le contact avec des immigrés ne les rends ni plus tolérants ni plus xénophobes.  

Effet de contact sur la tolérance selon le niveau du taux de chômage

Pour conclure, notre travail montre bien que le niveau de tolérance des français vis-à-vis des immigrés dépend d’éléments contextuels au travers à la fois d’un effet positif de contact et d’un effet négatif de compétition. Il montre également que ces effets dépendent peu des caractéristiques des personnes. En revanche, les deux éléments interagissent dans l’explication de la tolérance. L’effet de compétition est plus fort pour les personnes vivant dans des départements où la présence d’immigration est plus importante. Et l’effet de contact n’induit de la tolérance que pour les personnes vivant dans des départements où la situation économique est plus favorable.
Or, ces résultats reposent sur une enquête menée avant la crise économique qui a débuté fin 2008 et qui s’est traduite par une augmentation du chômage. D’après nos explications, cette aggravation devrait se traduire par un regain de l’intolérance et de la xénophobie, ce qui peut modifier au final les enjeux électoraux à venir ainsi que les comportements de vote.



Ce texte s'appuie sur un article publié dans la revue française de sociologie.
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L’intolérance vis-à-vis des immigrés en France : l’environnement des personnes pèse-t-il sur leur xénophobie ? (1)

Les enjeux liés à la xénophobie et les attitudes à l’égard des immigrés sont de plus en plus saillants en France. D’une part, et selon l’OCDE, la France fait partie des cinq pays industrialisés ayant la plus forte proportion de population immigrée. D’autre part, la faible croissance de cette population durant ces dernières décennies a coïncidé avec les succès électoraux du Front National, ainsi qu’avec la création d’un ministère de l’immigration et l’identité nationale et les nombreux débats qui en ont découlé y compris ceux animés par ce ministère. Curieusement, et paradoxalement, une analyse détaillée et exhaustive des causes de la xénophobie en France n’a pas encore été menée.
De nombreux travaux ont cherché à comprendre les logiques du vote en faveur de l’extrême droite, d’autres ont fourni un descriptif précis et global des tendances xénophobes en France, mais aucune étude n’a directement analysé les facteurs qui peuvent rendre les français plus ou moins xénophobes ou inversement plus ou moins tolérants, et ce, indépendamment de leurs idées politiques. Or, aujourd’hui, avec les volets français des enquêtes internationales, il est possible d’étudier les logiques de la tolérance à l’aide de questionnaires robustes et fiables.
Parmi les logiques de la tolérance, deux effets contextuels, c’est-à-dire liés à l’environnement des personnes, sont traditionnellement mis en avant par les études internationales, mais n’ont jusqu’à présent jamais fait l’objet d’une validation empirique en France. Il s’agit de l’effet contact et de l’effet compétition.

L’effet contact : les opportunités d’échange mènent à la tolérance

L’hypothèse d’un effet de contact soutient que le contact personnel entre membres de groupes différents va produire des niveaux plus faibles d’attitudes négatives à l’égard des membres des autres groupes. L’interprétation psychologique de cette relation causale repose sur l’idée que le contact personnel produit empathie et familiarité et conduit par là à réduire les préjugés et les différences perçues. A l’origine, ce mécanisme concernait les différences raciales aux Etats-Unis, mais il a été appliqué avec succès à la question de l’immigration et de la xénophobie. Selon l’effet contact, plus il y a d’étrangers dans l’entourage d’un natif, plus ce dernier sera tolérant.
A partir de l’European Survey Value, on peut mesurer la tolérance moyenne dans les départements français couvert par l’étude. Ce « niveau départemental » de tolérance peut être associé à la plus ou moins grande présence d’individus d’origine étrangère dans le département. La Figure ci-dessous montre clairement que la tolérance dans un département est positivement associée avec une plus forte proportion d’étrangers qui y résident.

Tolérance moyenne par département et proportion de population étrangère


Note : le point anormal en haut à gauche de la figure correspond au Cantal qui regroupe 8 individus dans l’enquête, qui font preuve d’une forte tolérance.

Cet effet au niveau départemental est confirmé par notre étude au niveau individuel. Un individu est d’autant plus tolérant vis-à-vis de l’immigration qu’il vit dans un département où la proportion d’étrangers est importante, une fois les autres facteurs explicatifs de la tolérance contrôlés. Cet effet, statistiquement significatif, est d’une ampleur relativement importante, puisque lorsque la proportion départementale d’immigrés augmente de 1%, l’indice de tolérance d’une personne augmente de 0,04%.


L’effet compétition : quand la concurrence économique mène à l’intolérance

Selon l’hypothèse d’un effet de compétition, quand les migrants ont les mêmes compétences sur le marché du travail que les natifs, ils entrent en concurrence avec ces derniers et tendent, pour cette raison, à être rejetés. Deux mécanismes psychologiques sous-jacents peuvent être distingués.
Un premier mécanisme repose sur l’idée qu’un niveau élevé de solidarité à l’intérieur d’un groupe peut produire des attitudes hostiles à l’égard des membres des autres groupes, s’ils sont perçus comme des menaces. Dans ce cas, chaque individu est motivé par une solidarité et une attitude « socio-tropique » spécifiquement réservée aux membres du groupe auquel il s’identifie. Par conséquent, ces individus n’ont pas besoin de se sentir eux-mêmes menacés par la concurrence des immigrés : il suffit qu’ils pensent que les membres de leur groupe le soient.
Le second mécanisme psychologique, en revanche, est basé sur une compétition individuelle et est alternatif à l’hypothèse de contact. L’idée est que l’interaction entre natifs et immigrés produit de la coopération, sauf s’ils sont en concurrence sur le marché du travail. Dans ce cas, l’interaction produit un rejet des immigrés et de l’intolérance. Ce mécanisme est utilisé pour expliquer, par exemple, la plus grande intolérance parmi les natifs ayant un faible niveau d’études ou de qualifications professionnelles.
L’intensité de la compétition sur le marché du travail est mensurée par le taux de chômage dans chaque département. Lorsque le chômage est élevé, les places sont chères et la compétition est accrue. La Figure ci-dessous montre bien une relation négative entre le niveau moyen de tolérance et le taux de chômage. De nouveau, cette relation est confirmée au niveau individuel : une augmentation de 1% du taux de chômage départemental d’une personne entraîne une diminution de son indice de tolérance de 0,1% ; et ce, une fois pris en compte les autres facteurs d’explication de la tolérance individuelle.

Tolérance moyenne par département et taux de chômage
Note : le point anormal en haut à gauche de la figure correspond au Cantal qui regroupe 8 individus dans l’enquête, qui font preuve d’une forte tolérance.

Il apparaît ainsi que les niveaux de tolérance ou d’intolérance des français vis-à-vis de l’immigration, sont influencés par leur environnement et, plus précisément, par un effet contact ainsi qu’un effet compétition. Pour autant, il faut poursuivre l’analyse de manière à savoir si, d’une part, ces deux effets peuvent être influencés par des caractéristiques individuelles et, d’autre part, ces deux effets interagissent entre eux, ou non.

La suite ici

Abel François
et Raul-Magni-Berton



Ce texte s'appuie sur un article publié dans la revue française de sociologie.
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