Les enjeux liés à la xénophobie
et les attitudes à l’égard des immigrés sont de plus en plus saillants en
France. D’une part, et selon l’OCDE, la France fait partie des cinq pays industrialisés
ayant la plus forte proportion de population immigrée. D’autre part, la faible
croissance de cette population durant ces dernières décennies a coïncidé avec
les succès électoraux du Front National, ainsi qu’avec la création d’un
ministère de l’immigration et l’identité nationale et les nombreux débats qui
en ont découlé y compris ceux animés par ce ministère. Curieusement, et
paradoxalement, une analyse détaillée et exhaustive des causes de la xénophobie
en France n’a pas encore été menée.
De nombreux travaux ont cherché
à comprendre les logiques du vote en faveur de l’extrême droite, d’autres ont
fourni un descriptif précis et global des tendances xénophobes en France, mais
aucune étude n’a directement analysé les facteurs qui peuvent rendre les
français plus ou moins xénophobes ou inversement plus ou moins tolérants, et
ce, indépendamment de leurs idées politiques. Or, aujourd’hui, avec les volets
français des enquêtes internationales, il est possible d’étudier les logiques
de la tolérance à l’aide de questionnaires robustes et fiables.
Parmi les logiques de la
tolérance, deux effets contextuels, c’est-à-dire liés à l’environnement des
personnes, sont traditionnellement mis en avant par les études internationales,
mais n’ont jusqu’à présent jamais fait l’objet d’une validation empirique en
France. Il s’agit de l’effet contact et de l’effet compétition.
L’effet contact : les
opportunités d’échange mènent à la tolérance
L’hypothèse d’un effet de
contact soutient que le contact personnel entre membres de groupes différents
va produire des niveaux plus faibles d’attitudes négatives à l’égard des
membres des autres groupes. L’interprétation psychologique de cette relation
causale repose sur l’idée que le contact personnel produit empathie et familiarité
et conduit par là à réduire les préjugés et les différences perçues. A
l’origine, ce mécanisme concernait les différences raciales aux Etats-Unis,
mais il a été appliqué avec succès à la question de l’immigration et de la
xénophobie. Selon l’effet contact, plus il y a d’étrangers dans l’entourage
d’un natif, plus ce dernier sera tolérant.
A partir de l’European Survey
Value, on peut mesurer la tolérance moyenne dans
les départements français couvert par l’étude. Ce « niveau
départemental » de tolérance peut être associé à la plus ou moins grande
présence d’individus d’origine étrangère dans le département. La Figure ci-dessous montre clairement que la tolérance dans un département est positivement
associée avec une plus forte proportion d’étrangers qui y résident.
Tolérance moyenne par département et proportion de
population étrangère
Note : le point anormal en haut à gauche de la
figure correspond au Cantal qui regroupe 8 individus dans l’enquête, qui font
preuve d’une forte tolérance.
Cet effet au niveau départemental
est confirmé par notre étude au niveau individuel. Un individu est d’autant
plus tolérant vis-à-vis de l’immigration qu’il vit dans un département où la
proportion d’étrangers est importante, une fois les autres facteurs explicatifs
de la tolérance contrôlés. Cet effet, statistiquement significatif, est d’une
ampleur relativement importante, puisque lorsque la proportion départementale
d’immigrés augmente de 1%, l’indice de tolérance d’une personne augmente de
0,04%.
L’effet compétition : quand
la concurrence économique mène à l’intolérance
Selon l’hypothèse d’un effet de compétition, quand les
migrants ont les mêmes compétences sur le marché du travail que les natifs, ils
entrent en concurrence avec ces derniers et tendent, pour cette raison, à être
rejetés. Deux mécanismes psychologiques sous-jacents peuvent être distingués.
Un premier mécanisme repose sur l’idée qu’un niveau élevé
de solidarité à l’intérieur d’un groupe peut produire des attitudes hostiles à
l’égard des membres des autres groupes, s’ils sont perçus comme des menaces.
Dans ce cas, chaque individu est motivé par une solidarité et une attitude
« socio-tropique » spécifiquement réservée aux membres du groupe
auquel il s’identifie. Par conséquent, ces individus n’ont pas besoin de se
sentir eux-mêmes menacés par la concurrence des immigrés : il suffit
qu’ils pensent que les membres de leur groupe le soient.
Le second mécanisme psychologique, en
revanche, est basé sur une compétition individuelle et est alternatif à
l’hypothèse de contact. L’idée est que l’interaction entre natifs et immigrés
produit de la coopération, sauf s’ils sont en concurrence sur le marché du
travail. Dans ce cas, l’interaction produit un rejet des immigrés et de
l’intolérance. Ce mécanisme est utilisé pour expliquer, par exemple, la plus
grande intolérance parmi les natifs ayant un faible niveau d’études ou de
qualifications professionnelles.
L’intensité de la compétition sur
le marché du travail est mensurée par le taux de chômage dans chaque
département. Lorsque le chômage est élevé, les places sont chères et la
compétition est accrue. La Figure ci-dessous montre bien une relation négative entre le niveau moyen de tolérance et le taux
de chômage. De nouveau, cette relation est confirmée au niveau
individuel : une augmentation de 1% du taux de chômage départemental d’une
personne entraîne une diminution de son indice de tolérance de 0,1% ; et
ce, une fois pris en compte les autres facteurs d’explication de la tolérance
individuelle.
Tolérance moyenne par département et taux de
chômage
Note : le point anormal en haut à gauche de la
figure correspond au Cantal qui regroupe 8 individus dans l’enquête, qui font
preuve d’une forte tolérance.
Il apparaît ainsi que les niveaux
de tolérance ou d’intolérance des français vis-à-vis de l’immigration, sont
influencés par leur environnement et, plus précisément, par un effet contact
ainsi qu’un effet compétition. Pour autant, il faut poursuivre l’analyse de
manière à savoir si, d’une part, ces deux effets peuvent être influencés par
des caractéristiques individuelles et, d’autre part, ces deux effets
interagissent entre eux, ou non.
La suite ici
Abel François
et Raul-Magni-Berton
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Abel François
et Raul-Magni-Berton
Ce texte s'appuie sur un article publié dans la revue française de sociologie.
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