mercredi 12 février 2014

La loi sur le mariage homosexuel en France : ni prématurée, ni contreproductive.



La loi du printemps 2013 sur le mariage homosexuel et les manifestations qui ont suivi ont ouvert deux questions. Les français étaient-ils prêts à accepter une telle évolution ? Cela n’a-t-il pas produit, en fin de compte, plus l’hostilité à l’égard de l’homosexualité dans la société française ? A partir des enquêtes d’opinion, nous répondons résolument oui à la première question et non à la seconde.


Les français étaient-ils prêts ?

L’enquête Valeurs de 2008 (EVS, http://www.valeurs-france.fr/) permet de comparer l’opinion des Français à celle des autres pays européens. Si l’on combine trois questions mesurant la tolérance à l’égard des homosexuels – la première demande aux répondants s’ils justifient l’homosexualité, la deuxième s’ils sont pour ouvrir le droit à l’adoption aux couples homosexuels et la dernière s’il y a des membres de certains groupes qu’ils n’aimeraient pas avoir pour voisins – on peut construire un index synthétique allant de 0 (intolérance maximale à l’égard des homosexuels) à 27 (tolérance absolue). La valeur moyenne de cet index par pays indique clairement que la France fait partie des pays où le climat d’opinion est le plus tolérant, avec l’Islande, les pays scandinaves, les pays du Benelux et l’Espagne (dont la plupart a déjà adopté une loi sur le mariage homosexuel).

Niveau moyen de tolérance à l’égard de l’homosexualité



Le niveau moyen élevé de tolérance observé au niveau agrégé du pays pourrait, bien sûr, masquer une forte polarisation. L’analyse de la distribution des Français sur une échelle recodée en quatre catégories semble, au contraire, indiquer que les personnes radicalement intolérantes à l’égard de l’homosexualité représentent une faible minorité (5% exactement), tandis que près de 80% des répondants français se situent dans les deux catégories les plus tolérantes.

Distribution (%) des réponses des Français












Il semble ainsi parfaitement cohérent, compte tenu du climat d’opinion en Europe, que la France ait été, après notamment les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne, l’Islande et la Scandinavie, la prochaine sur la liste des pays permettant aux couples homosexuels de se marier. 


La loi a-t-elle crée plus d’hostilité à l’égard des homosexuels ?

Une façon de répondre est d’analyser l’effet des lois passées dans les pays européens et en France (le PACS) sur l’opinion publique.

Le tableau ci-dessous est une analyse multivariée pour prédire le nombre de personnes qui n’aimerait pas avoir un voisin homosexuel. Nous avons analysé l’effet du pays (nous comparons 15 pays, puisqu’il existe, comme on l’a vu, de fortes différences culturelles), de la date (nous disposons de trois dates : 1990, 1999 et 2008) et surtout celle de la reconnaissance légale des couples homosexuels. Les pays qui n’ont pas légiféré entre 1999 et 2008 sont considérés dans l’analyse comme sans (nouvelle) réglementation, indépendamment du fait qu’ils en aient adopté auparavant (comme le Danemark) ou pas (Italie). L’analyse permet ainsi d’établir si l’adoption d’une loi et les débats qui l’entourent ont un effet ou pas.

Qui n'aimerait pas avoir des voisins homosexuels?[1]


par rapport à 1990

1999
-10%
2008
-15%


EFFET NET DE LA LOI
-4%
 
Le tableau montre que :
1. Le temps joue en faveur de l’homophilie. En 1999 il y a en Europe 10% d’homophobe en moins que neuf ans auparavant, et en 2008 15% en moins.
2. Le fait d’avoir légiféré sur les couples homosexuels dans les neuf années qui précèdent le sondage est associé à une baisse moyenne de l’homophobie de 4%.


Statistiquement, l’acceptation massive de l’homosexualité qui prévaut parmi les Français a donc toutes les chances de s’accroître encore. Bien qu’il soit encore trop tôt pour juger si la France ne va pas être une exception à cette règle, un premier bilan peut être fait. L’enquête dynegal, conduite à l’été 2013, en plein débat sur la loi Taubira (http://www.dynegal.org/), permet de comparer l’opinion des français sur la justification de l’homosexualité avant le débat (2008) et pendant (2013). Les résultats montrent une chute de 10% de la proportion de Français considérant que l’homosexualité n’est jamais justifiable, et une augmentation de 18% de ceux qui la trouvent toujours justifiable.



***

Si le mariage pour tous a été adopté dans un climat d’opinion largement favorable, si ce climat est statistiquement et empiriquement amené à se renforcer, pourquoi les mobilisations hostiles au mariage homosexuel semblent-elles donner l’impression contraire ? Trois étudiantes de Sciences Po Grenoble - Isaure, Léa et Félicie – ont interrogé des militants d’associations de défense des droits des homosexuels. Elles observent que la moitié d’entre eux perçoit un changement négatif depuis le débat sur la loi des attitudes des français à l’égard des homosexuels. Néanmoins, ils sont quasi unanimes sur le fait qu’il y a eu un changement positif chez leurs parents, frères et sœurs, amis et collègues de travail. Autrement dit : pris un par un, les Français deviennent en majorité plus tolérants à l’égard de l’homosexualité, avec le temps et sous l’effet de l’adoption de la loi. En revanche, comme c’est toujours le cas lorsqu’un débat public a lieu, les mécontents sont plus visibles et organisés, ce qui produit une impression erronée sur leur nombre et sur la polarisation des Français sur cette question.

Isabelle Guinaudeau et Raul Magni-Berton




[1] Les différences par pays ne sont pas représentées dans le tableau car elles sont redondantes par rapport à la figure précédente.
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3 commentaires:

  1. Notre collègue Pierre Bréchon a transmis ce commentaire:
    Bravo pour ce texte qui présente les données de l’enquête sur les valeurs concernant l’homosexualité.
    Oui, la France fait partie des pays où la tolérance à l’égard de l’homosexualité est la plus forte.
    Oui, cette tolérance a beaucoup progressé entre 1981et 2008.
    Par contre, la manière de construire votre indice vous conduit à une erreur interprétative. Repartons des résultats simples à chacune des questions composant l’indice :
    - 44 % des Français sont tolérants à l’égard de l’homosexualité (réponses 6 à 10 de l’échelle) ;
    - 38 % sont favorables à la possibilité d’adoption pour les couples homosexuels ;
    - 7 % citent les homosexuels parmi les catégories de personnes qu’ils ne voudraient pas avoir comme voisins. On isole ainsi une petite minorité de personnes très hostiles aux homosexuels. Ceci n’induit pas que les 93 % restant soient tolérants à leur égard.
    Ces résultats ne permettent donc pas de parler « d’une acceptation massive de l’homosexualité qui prévaut parmi les Français ». L’opinion publique française est encore très partagée sur ces questions. Comme le montrait Nathalie Dompnier dans une analyse de ces données, « Tolérance croissante de l’homosexualité, interrogations récentes sur l’homoparentalité », dans Bréchon, Tchernia (direction), La France à travers ses valeurs, Armand Colin, 2009, p. 99-102, l’homosexualité est beaucoup plus acceptée parmi les jeunes générations, parmi les diplômés et parmi les femmes. Les milieux populaires restent assez récalcitrants, tout comme beaucoup de cénacles footballistiques.
    Etant donné que l’évolution des valeurs d’individualisation est très forte dans les jeunes générations et qu’on n’observe pas de changement de chacune d’entre elle au fur et à mesure qu’elle vieillit, on peut s’attendre à la continuation de l’évolution permissive. Mais, camarades, ne soyez pas trop en avance sur l’histoire !

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  2. Du coup, la réponse vient bien de moi. Tu as raison Pierre de discuter le choix de l’indice de tolérance à l’homosexualité. Ton argument relativise l’absence de polarisation sur cette question en France, qui était représentée dans notre deuxième figure. En revanche, elle n’invalide pas l’argument général, qui est :

    1. Parmi les pays sans mariage pour tous, la France était en 2008 dans les plus tolérants
    2. Une loi accroît généralement l’acceptation de l’homosexualité
    3. D'ailleurs, depuis, l’acceptation s'est encore accrue.

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  3. 1) Le même raisonnement ne pourrait-il pas être tenu à propos du PACS, qui a été adopté dans un climat de manifestations homophobes et qui a fini par être accepté par toutes les grandes forces politiques? Il aurait eu tendance à accroître la tolérance vis-à-vis de l'homosexualité en France.

    2) A vous suivre, iIl reste du coup à expliquer pourquoi le mouvement politique de la "Manif pour tous" a eu tant de participants, une telle durée, et a eu tant d'échos dans les médias français. Ne serait-ce pas alors parce que cela permettait à beaucoup de gens du cœur de la droite française traditionnelle (familles bourgeoises catholiques) d'avoir un motif pour manifester contre le gouvernement socialiste? On aurait en quelque sorte une opposition par proxy, qui aurait pu se porter sur une autre décision prise par la nouvelle majorité, mais celle-là, parce qu'elle est simple à comprendre, symbolique, sans ambiguïté, permet de manifester sa rage contre le nouveau pouvoir. C'est plus compliqué pour les impôts et autres réglementations compliquées. Cela serait le cas pour la plupart des manifestants, en dehors de minorité des "vrais" homophobes. Cela serait un peu comme pour les manifestations sur l'école libre dans les années 1980, comme une affirmation identitaire de la droite dans l'opposition en somme. "Une droite-pride"?

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