Comme lors de chaque scrutin, le
Ministère de l’Intérieur a établi des résultats agrégés au
niveau national du premier tour des
élections départementales par force politique. Depuis dimanche
soir, cette présentation des résultats a été largement remise en
question par les responsables politiques car elle repose sur un
ensemble de choix discutables.
Depuis la publication du fichier des
candidatures par le Ministère de l’Intérieur, plusieurs
spécialistes des élections et chercheurs membres du réseau Futur
des Etudes Electorales (FEEL) de l’Association Française de
Science Politique ont conjugué leurs efforts et passé en revue
l’ensemble des binômes afin de mieux prendre en compte la réalité
de l’offre électorale. Cette note présente les premiers résultats
de ce travail collectif,
qui permet de questionner avec beaucoup plus de précision l’état
des rapports de force électoraux en France.
Le nuancier du Ministère de
l’Intérieur
La totalisation des résultats des forces
politiques au niveau national pour ce premier tour des élections
départementales n’est pas un exercice facile : ce sont en fait 2
054 élections différentes qu’il faut agréger (1 995
sur le territoire métropolitain). Mais cet effort est incontournable
pour analyser la manière dont les électeurs ont voté, et notamment
pour mesurer les dynamiques nationales qui ont été à l’œuvre.
Le nuancier établi avant le scrutin par
le Ministère de l’Intérieur, qui a été appliqué aux binômes
de candidats au niveau
des préfectures, joue ce rôle. Cependant, le codage des
candidatures, indispensable pour agréger les résultats, ne va
jamais de soi. Certaines candidatures sont difficiles à
caractériser, et les erreurs sont fréquentes, notamment (mais pas
seulement) en ce qui concerne les divers gauche, divers et autres
divers droite. Par ailleurs, comme tout nuancier, celui du Ministère
de l’Intérieur correspond à des choix pour rendre compte de
l’offre politique. Il est ici insatisfaisant pour avoir une vision
précise
des rapports de force électoraux nationaux car il ne permet pas de
rendre compte de l’ensemble des stratégies d’alliances entre les
partis. Et ce d’autant que l’instauration d’un scrutin
binominal offre des possibilités importantes d’alliances.
Pour ces élections départementales, la
problématique principale concerne la gauche, compte tenu de la forte
fragmentation de ses candidats et les logiques différenciées
d’alliances entre ses diverses composantes. Or c’est à gauche
qu’il existe un enjeu à comparer les résultats des forces
politiques puisque de nombreuses organisations
(PCF, PG, EELV, etc.) cherchent à concurrencer la position nationale
dominante du PS. A droite, l’UMP, l’UDI et le MoDem ont davantage
été dans une logique de coopération et d’unité, les enjeux
concurrentiels relevant le plus souvent de confrontations locales et
de personnes (comme en Haute-Savoie par exemple). Seuls Debout la
France et bien sûr le Front National ont été dans une logique
d’affrontement, mais l’identification de leurs binômes ne pose
pas de problème.
Le nuancier établi par le Ministère de
l’Intérieur comporte 17 catégories, dont 9 pour caractériser
l’offre à gauche (tableau 1).
Tableau 1
Le nuancier du Ministère de l’Intérieur
pour les binômes de gauche
Acronyme
|
Composition
|
EXG
|
Binôme Extrême
gauche
|
FG
|
Binôme du Front
de Gauche
|
PG
|
Binôme du Parti
de Gauche
|
COM
|
Binôme du Parti
communiste français
|
SOC
|
Binôme du Parti
Socialiste
|
UG
|
Binôme Union de
la Gauche (PS + un parti)
|
RDG
|
Binôme du Parti
radical de gauche
|
DVG
|
Binôme Divers
gauche
|
VEC
|
Binôme
d'Europe-Ecologie-Les Verts
|
Comme cela a été relevé par de
nombreux observateurs, ces catégories ne permettent pas de dissocier
les différentes alliances avec le PS (PS-PCF, PS-EELV notamment) qui
sont toutes considérées comme Union de la gauche. De plus, la
catégorie Union de la gauche recouvre également des candidatures
qui se réduisent aux seuls PS et PRG.
D’autre part, les candidats investis
par EELV et le Front de gauche (ou seulement l’une des composantes
du Front de gauche) sont considérés comme des divers gauche, ce qui
aboutit à les assimiler à des candidats sans étiquette de gauche
ou à des candidats soutenus par le PS. Le canton 3 de Grenoble offre
une illustration
des limites de la codification du Ministère : le binôme PS-PRG sans
le PCF est codé Union de la gauche, tandis que le binôme
EELV-PG-Nouvelle Donne est codé Divers gauche.
La stratégie de comptage retenue
Depuis la publication du fichier des
candidatures par le Ministère, notre groupe de travail a recueilli
les données établies par les partis (PCF, PG, EELV, ND, PS, UMP,
DLF) concernant l’ensemble de leurs investitures. Par ailleurs, les
nuances de chaque
candidat et de chaque binôme ont été vérifiées au niveau de
chaque canton,
département par département (avec généralement des alliances
entre partis au niveau de chaque département).
Ce travail, encore
en cours et donc perfectible, permet néanmoins de produire au
surlendemain du premier tour des résultats agrégés nationaux qui
reflètent de façon plus juste la réalité des rapports de force,
notamment en ce qui concerne la gauche. A ce stade, le choix a été
fait de considérer les binômes comme des candidatures
indissociables. Une autre manière de compter, qui consiste à
attribuer le moitié des voix à chacun des candidats composant le
binôme, sera explorée dans un travail ultérieur.
Les
résultats du premier tour
Les données
présentées ci-dessous correspondent aux 1 995 cantons de France
métropolitaine. En Guadeloupe, à La
Réunion et à Mayotte, où des élections départementales ont
également été organisées, les dynamiques nationales ont été
moins présentes et les particularismes de l’offre électorale plus
importants (avec notamment une faible présence de l’extrême
droite). Ceci peut justifier, dans une logique d’analyse des
rapports de force nationaux, de restreindre le périmètre à la
France métropolitaine (sans oublier que les électeurs parisiens et
de l’agglomération lyonnaise n’étaient pas concernés par le
scrutin départemental).
Tableau 2
Les résultats du premier tour des
départementales de 2015 selon les logiques d’alliance (métropole)
Résultats
(%)
|
Nombre
de cantons
|
|
Votants
|
50,3
|
1
994
|
Blancs
|
1,6
|
|
Nuls
|
0,8
|
|
Exprimés
|
47,9
|
|
Extrême
gauche
|
0,1
|
41
|
Front
de Gauche
|
5,5
|
1
075
|
Front
de Gauche - EELV
|
2,8
|
427
|
EELV
|
1,9
|
362
|
PS-PCF
|
1,3
|
98
|
PS-EELV
|
3,0
|
204
|
PS-PCF-EELV
|
0,4
|
22
|
PS-PRG
|
20,1
|
1
525
|
DVG
|
1,8
|
270
|
Régionalistes
|
0,5
|
59
|
Ecologistes
divers
|
0,1
|
17
|
Divers
|
0,4
|
113
|
UMP-UDI-MoDem
|
33,3
|
1
926
|
DVD
|
2,9
|
389
|
DLF
|
0,4
|
156
|
FN
|
25,7
|
1
897
|
Extrême
droite
|
0,1
|
21
|
NB :
Les résultats sont en pourcentage des inscrits pour les votants, les
blancs, les nuls et les exprimés, en pourcentage des exprimés pour
les binômes de candidats.
Les binômes Front
de gauche correspondent aux binômes investis soit par le seul PCF,
soit par le seul PG, soit par ces deux partis en même temps (avec
aussi la présence moins significative de la troisième composante
du Front de gauche, Ensemble). Ils totalisent 5,5 % des suffrages
exprimés avec une présence dans un peu plus d’un canton sur deux
(1 075 sur 1 995).
Les binômes
FG-EELV se distinguent des binômes FG par le fait qu’ils sont
également soutenus par EELV. Ces binômes ont obtenu 2,8 % des
suffrages exprimés avec une présence dans près d’un quart des
cantons, avec parfois des concurrences entre un binôme PG-EELV et un
binôme PCF.
Les binômes EELV
sont ceux qui ont été investis par EELV sans le soutien d’une
composante du FG et sans le soutien du PS. Certains de ces binômes
sont aussi investis par des petits partis comme Nouvelle Donne. Les
binômes EELV ont recueilli 1,9 % des suffrages exprimés avec une
présence dans moins de deux cantons sur dix.
Le cumul des
voix des binômes FG, FG-EELV et EELV indique que la gauche autonome
du PS totalise 10,1 % (sans compter 0,1 % pour l’extrême gauche
quasi absente dans ce scrutin) pour une présence dans 1 546 cantons
sur 1 995.
Les binômes PS-PRG
correspondent à des binômes investis par le PS, avec ou sans le
PRG. Les binômes PRG sans soutien du PS ont été agrégés à la
catégorie DVG (seulement 20 cas et 30 000 voix environ). Les binômes
PS-PRG n’ont pas reçu le soutien du FG ou d’EELV. Ils totalisent
20,1 % des suffrages exprimés avec une présence dans un peu plus de
trois-quarts des cantons.
Les binômes
PS-PCF, PS-EELV et PS-PCF-EELV correspondent à des binômes qui ont
reçu l’investiture de ces différents partis. Dans certains cas,
l’une des composantes de ces alliances se contente d'apposer son
logo ou de présenter un suppléant. Dans certains cas, le soutien
est encore plus discret. Ces binômes sont présents dans à peine
plus de 15 % des cantons. Ils totalisent 4,6 % des suffrages
exprimés.
L'agrégation
des différents binômes soutenus par le PS amène à un score de
24,7 % pour une présence dans 1 849 cantons sur 1 995.
Mais d’autres
agrégations peuvent paraître légitimes, notamment celle qui
agrègent les binômes PCF, PCF-PG, PCF-PG-EELV,
PCF-PS, PCF-PS-EELV avec un score de 9,4 % pour une présence dans 1
542 cantons sur 1 995.
Il en va de même
pour le total des candidats soutenus par EELV avec les binômes EELV,
EELV-FG, EELV-PS, EELV-PS-PCF avec un total de 8,0 % pour une
présence dans 962 cantons sur 1 995.
Enfin, à gauche,
les binômes
divers gauche correspondent à des binômes sans étiquette ou de
petits partis tels que le MRC ou Nouvelle Donne (mais aussi le PRG)
qui ne bénéficient pas du soutien du PS, du FG ou d’EELV. On
retrouve aussi dans cette catégorie les candidats PS dissidents ou
ex-socialistes en rupture de banc (candidats soutenus par Philippe
Saurel dans l’Hérault, candidats de la Force du 13 de Jean-Noël
Guérini dans les Bouches-du-Rhône).
Parmi les candidats
inclassables à gauche ou à droite, on retrouve les binômes divers,
régionalistes (notamment en Corse, dans les Pyrénées-Atlantiques,
en Savoie et en Bretagne) et écologistes divers.
Les binômes
soutenus par l’UMP, l’UDI ou le MoDem (parfois en concurrence)
permettent de saisir l’état de l’opposition de droite modérée
qui se présentait nationalement sous une forme relativement unie,
sans véritable logique de concurrence, ni l’UDI ni le MoDem ne
contestant la position hégémonique de l’UMP (contrairement à la
période passée en ce qui concerne le MoDem, qui a par ailleurs
rompu avec son discours ni gauche ni droite). Ces binômes totalisent
33,3 % avec une présence quasi systématique.
Les binômes Divers
droite sont réduits à des binômes non soutenus par l’UMP, l’UDI
ou le MoDem : ils correspondent soit à de petits partis (comme
l’UPR), soit à des dissidents.
Les binômes Debout
la France se présentaient de façon autonome systématiquement. Il
en va de même pour les binômes du FN, qui ne posaient aucun
problème de recodage. Ils recueillent 25,7 % en France
métropolitaine, avec une présence dans 95 % des cantons.
Florent Gougou et
Simon Labouret, avec le groupe de travail FEEL
Le groupe de
travail
Le groupe de
travail de codage des résultats électoraux en France qui s’est
constitué en février 2015 au sein de l’Association Française de
Science Politique, est une initiative inédite qui vise à coordonner
les efforts individuels qui étaient jusque là entrepris par les
chercheurs qui travaillent sur les données agrégées des élections.
Il réunit Julien Audemard, Paul Bacot, Frédérik Cassor, Alan
Confesson, Baptiste Coulmont, Laurent de Boissieu, Diane Delacourt,
Thomas Ehrhard, Martial Foucault, Abel François, Joël Gombin, David
Gouard, Florent Gougou, Grégory Hû, Jérôme Jaffré, Antoine
Jardin, Simon Labouret, Pierre Martin et Simon Persico.
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