mercredi 25 mars 2015

Les résultats du premier tour des élections départementales de 2015

Comme lors de chaque scrutin, le Ministère de l’Intérieur a établi des résultats agrégés au niveau national du premier tour des élections départementales par force politique. Depuis dimanche soir, cette présentation des résultats a été largement remise en question par les responsables politiques car elle repose sur un ensemble de choix discutables.
Depuis la publication du fichier des candidatures par le Ministère de l’Intérieur, plusieurs spécialistes des élections et chercheurs membres du réseau Futur des Etudes Electorales (FEEL) de l’Association Française de Science Politique ont conjugué leurs efforts et passé en revue l’ensemble des binômes afin de mieux prendre en compte la réalité de l’offre électorale. Cette note présente les premiers résultats de ce travail collectif, qui permet de questionner avec beaucoup plus de précision l’état des rapports de force électoraux en France.

Le nuancier du Ministère de l’Intérieur

La totalisation des résultats des forces politiques au niveau national pour ce premier tour des élections départementales n’est pas un exercice facile : ce sont en fait 2 054 élections différentes qu’il faut agréger (1 995 sur le territoire métropolitain). Mais cet effort est incontournable pour analyser la manière dont les électeurs ont voté, et notamment pour mesurer les dynamiques nationales qui ont été à l’œuvre.  
Le nuancier établi avant le scrutin par le Ministère de l’Intérieur, qui a été appliqué aux binômes de candidats au niveau des préfectures, joue ce rôle. Cependant, le codage des candidatures, indispensable pour agréger les résultats, ne va jamais de soi. Certaines candidatures sont difficiles à caractériser, et les erreurs sont fréquentes, notamment (mais pas seulement) en ce qui concerne les divers gauche, divers et autres divers droite. Par ailleurs, comme tout nuancier, celui du Ministère de l’Intérieur correspond à des choix pour rendre compte de l’offre politique. Il est ici insatisfaisant pour avoir une vision précise des rapports de force électoraux nationaux car il ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des stratégies d’alliances entre les partis. Et ce d’autant que l’instauration d’un scrutin binominal offre des possibilités importantes d’alliances.
Pour ces élections départementales, la problématique principale concerne la gauche, compte tenu de la forte fragmentation de ses candidats et les logiques différenciées d’alliances entre ses diverses composantes. Or c’est à gauche qu’il existe un enjeu à comparer les résultats des forces politiques puisque de nombreuses organisations (PCF, PG, EELV, etc.) cherchent à concurrencer la position nationale dominante du PS. A droite, l’UMP, l’UDI et le MoDem ont davantage été dans une logique de coopération et d’unité, les enjeux concurrentiels relevant le plus souvent de confrontations locales et de personnes (comme en Haute-Savoie par exemple). Seuls Debout la France et bien sûr le Front National ont été dans une logique d’affrontement, mais l’identification de leurs binômes ne pose pas de problème.
Le nuancier établi par le Ministère de l’Intérieur comporte 17 catégories, dont 9 pour caractériser l’offre à gauche (tableau 1).

Tableau 1
Le nuancier du Ministère de l’Intérieur pour les binômes de gauche

Acronyme
Composition
EXG
Binôme Extrême gauche
FG                  
Binôme du Front de Gauche
PG
Binôme du Parti de Gauche
COM
Binôme du Parti communiste français
SOC
Binôme du Parti Socialiste
UG
Binôme Union de la Gauche (PS + un parti)
RDG
Binôme du Parti radical de gauche
DVG
Binôme Divers gauche
VEC
Binôme d'Europe-Ecologie-Les Verts

Comme cela a été relevé par de nombreux observateurs, ces catégories ne permettent pas de dissocier les différentes alliances avec le PS (PS-PCF, PS-EELV notamment) qui sont toutes considérées comme Union de la gauche. De plus, la catégorie Union de la gauche recouvre également des candidatures qui se réduisent aux seuls PS et PRG.
D’autre part, les candidats investis par EELV et le Front de gauche (ou seulement l’une des composantes du Front de gauche) sont considérés comme des divers gauche, ce qui aboutit à les assimiler à des candidats sans étiquette de gauche ou à des candidats soutenus par le PS. Le canton 3 de Grenoble offre une illustration des limites de la codification du Ministère : le binôme PS-PRG sans le PCF est codé Union de la gauche, tandis que le binôme EELV-PG-Nouvelle Donne est codé Divers gauche.

La stratégie de comptage retenue

Depuis la publication du fichier des candidatures par le Ministère, notre groupe de travail a recueilli les données établies par les partis (PCF, PG, EELV, ND, PS, UMP, DLF) concernant l’ensemble de leurs investitures. Par ailleurs, les nuances de chaque candidat et de chaque binôme ont été vérifiées au niveau de chaque canton, département par département (avec généralement des alliances entre partis au niveau de chaque département).
Ce travail, encore en cours et donc perfectible, permet néanmoins de produire au surlendemain du premier tour des résultats agrégés nationaux qui reflètent de façon plus juste la réalité des rapports de force, notamment en ce qui concerne la gauche. A ce stade, le choix a été fait de considérer les binômes comme des candidatures indissociables. Une autre manière de compter, qui consiste à attribuer le moitié des voix à chacun des candidats composant le binôme, sera explorée dans un travail ultérieur.


Les résultats du premier tour

Les données présentées ci-dessous correspondent aux 1 995 cantons de France métropolitaine. En Guadeloupe, à La Réunion et à Mayotte, où des élections départementales ont également été organisées, les dynamiques nationales ont été moins présentes et les particularismes de l’offre électorale plus importants (avec notamment une faible présence de l’extrême droite). Ceci peut justifier, dans une logique d’analyse des rapports de force nationaux, de restreindre le périmètre à la France métropolitaine (sans oublier que les électeurs parisiens et de l’agglomération lyonnaise n’étaient pas concernés par le scrutin départemental).

Tableau 2
Les résultats du premier tour des départementales de 2015 selon les logiques d’alliance (métropole)


Résultats (%)
Nombre de cantons
Votants
50,3
1 994
Blancs
1,6

Nuls
0,8

Exprimés
47,9

Extrême gauche
0,1
41
Front de Gauche
5,5
1 075
Front de Gauche - EELV
2,8
427
EELV
1,9
362
PS-PCF
1,3
98
PS-EELV
3,0
204
PS-PCF-EELV
0,4
22
PS-PRG
20,1
1 525
DVG
1,8
270
Régionalistes
0,5
59
Ecologistes divers
0,1
17
Divers
0,4
113
UMP-UDI-MoDem
33,3
1 926
DVD
2,9
389
DLF
0,4
156
FN
25,7
1 897
Extrême droite
0,1
21
NB : Les résultats sont en pourcentage des inscrits pour les votants, les blancs, les nuls et les exprimés, en pourcentage des exprimés pour les binômes de candidats.


Les binômes Front de gauche correspondent aux binômes investis soit par le seul PCF, soit par le seul PG, soit par ces deux partis en même temps (avec aussi la présence moins significative de la troisième composante du Front de gauche, Ensemble). Ils totalisent 5,5 % des suffrages exprimés avec une présence dans un peu plus d’un canton sur deux (1 075 sur 1 995).
Les binômes FG-EELV se distinguent des binômes FG par le fait qu’ils sont également soutenus par EELV. Ces binômes ont obtenu 2,8 % des suffrages exprimés avec une présence dans près d’un quart des cantons, avec parfois des concurrences entre un binôme PG-EELV et un binôme PCF.
Les binômes EELV sont ceux qui ont été investis par EELV sans le soutien d’une composante du FG et sans le soutien du PS. Certains de ces binômes sont aussi investis par des petits partis comme Nouvelle Donne. Les binômes EELV ont recueilli 1,9 % des suffrages exprimés avec une présence dans moins de deux cantons sur dix.
Le cumul des voix des binômes FG, FG-EELV et EELV indique que la gauche autonome du PS totalise 10,1 % (sans compter 0,1 % pour l’extrême gauche quasi absente dans ce scrutin) pour une présence dans 1 546 cantons sur 1 995.
Les binômes PS-PRG correspondent à des binômes investis par le PS, avec ou sans le PRG. Les binômes PRG sans soutien du PS ont été agrégés à la catégorie DVG (seulement 20 cas et 30 000 voix environ). Les binômes PS-PRG n’ont pas reçu le soutien du FG ou d’EELV. Ils totalisent 20,1 % des suffrages exprimés avec une présence dans un peu plus de trois-quarts des cantons.
Les binômes PS-PCF, PS-EELV et PS-PCF-EELV correspondent à des binômes qui ont reçu l’investiture de ces différents partis. Dans certains cas, l’une des composantes de ces alliances se contente d'apposer son logo ou de présenter un suppléant. Dans certains cas, le soutien est encore plus discret. Ces binômes sont présents dans à peine plus de 15 % des cantons. Ils totalisent 4,6 % des suffrages exprimés.
L'agrégation des différents binômes soutenus par le PS amène à un score de 24,7 % pour une présence dans 1 849 cantons sur 1 995.
Mais d’autres agrégations peuvent paraître légitimes, notamment celle qui agrègent les binômes PCF, PCF-PG, PCF-PG-EELV, PCF-PS, PCF-PS-EELV avec un score de 9,4 % pour une présence dans 1 542 cantons sur 1 995.
Il en va de même pour le total des candidats soutenus par EELV avec les binômes EELV, EELV-FG, EELV-PS, EELV-PS-PCF avec un total de 8,0 % pour une présence dans 962 cantons sur 1 995.
Enfin, à gauche, les binômes divers gauche correspondent à des binômes sans étiquette ou de petits partis tels que le MRC ou Nouvelle Donne (mais aussi le PRG) qui ne bénéficient pas du soutien du PS, du FG ou d’EELV. On retrouve aussi dans cette catégorie les candidats PS dissidents ou ex-socialistes en rupture de banc (candidats soutenus par Philippe Saurel dans l’Hérault, candidats de la Force du 13 de Jean-Noël Guérini dans les Bouches-du-Rhône).
Parmi les candidats inclassables à gauche ou à droite, on retrouve les binômes divers, régionalistes (notamment en Corse, dans les Pyrénées-Atlantiques, en Savoie et en Bretagne) et écologistes divers.
Les binômes soutenus par l’UMP, l’UDI ou le MoDem (parfois en concurrence) permettent de saisir l’état de l’opposition de droite modérée qui se présentait nationalement sous une forme relativement unie, sans véritable logique de concurrence, ni l’UDI ni le MoDem ne contestant la position hégémonique de l’UMP (contrairement à la période passée en ce qui concerne le MoDem, qui a par ailleurs rompu avec son discours ni gauche ni droite). Ces binômes totalisent 33,3 % avec une présence quasi systématique.
Les binômes Divers droite sont réduits à des binômes non soutenus par l’UMP, l’UDI ou le MoDem : ils correspondent soit à de petits partis (comme l’UPR), soit à des dissidents.
Les binômes Debout la France se présentaient de façon autonome systématiquement. Il en va de même pour les binômes du FN, qui ne posaient aucun problème de recodage. Ils recueillent 25,7 % en France métropolitaine, avec une présence dans 95 % des cantons.


Florent Gougou et Simon Labouret, avec le groupe de travail FEEL



Le groupe de travail

Le groupe de travail de codage des résultats électoraux en France qui s’est constitué en février 2015 au sein de l’Association Française de Science Politique, est une initiative inédite qui vise à coordonner les efforts individuels qui étaient jusque là entrepris par les chercheurs qui travaillent sur les données agrégées des élections. Il réunit Julien Audemard, Paul Bacot, Frédérik Cassor, Alan Confesson, Baptiste Coulmont, Laurent de Boissieu, Diane Delacourt, Thomas Ehrhard, Martial Foucault, Abel François, Joël Gombin, David Gouard, Florent Gougou, Grégory Hû, Jérôme Jaffré, Antoine Jardin, Simon Labouret, Pierre Martin et Simon Persico.

Pour tout renseignement supplémentaire, florent.gougou@sciencespo.fr

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