La seule exception notable concerne les périodes de cohabitation. Le remaniement, qui exige un accord entre le Premier ministre et le Président, est indisponible en période de cohabitation. Même Lionel Jospin, premier ministre pendant près de cinq ans, a remplacé les ministres au compte-gouttes et sans grande communication, plutôt que de chercher à obtenir le soutien du président Chirac pour un remaniement.
Hors période de cohabitation, le Premier ministre représente un véritable fusible pour le président. Si jamais les choses ne vont pas comme il faut, il peut le remplacer et espérer redorer son blason de cette manière. Et les présidents ne s’en privent pas. En nous concentrant sur les seuls remaniements officiels, c’est-à-dire ceux avalisés par décret présidentiel, on en compte 19 depuis le début de la 5e République, dont 8 qui impliquent un changement de premier ministre. Nous excluons ici tous les changements correspondant à un changement de majorité ou de fin de mandat présidentiel. Seuls nous intéressent les remaniements réalisés hors période électorale.
La popularité ou plutôt son déclin est un phénomène constant de l’histoire de la 5e République. Nous avons remarqué dans une note précédente que les trois derniers présidents ont particulièrement souffert d’une désaffection rapide et durable, battant chacun leur tour des records d’impopularité. Le graphique 1 illustre cette évolution. Depuis la période giscardienne, le taux de popularité net – c’est-à-dire les opinions positives moins les opinions négatives – descend régulièrement en-dessous 0.
Graphique 1 – Evolution de la popularité de l’exécutif en France
A quoi peuvent servir dans ce contexte les remaniements ? L’espoir est bien sûr qu’ils vont arrêter la chute, faire remonter la popularité du président en changeant de Premier ministre ou certains ministres responsables des échecs perçus ou réels des politiques passées. Le graphique 2 présente l’effet moyen d’un remaniement dans les mois qui suivent sur la popularité du Président. Pour étudier l’effet, nous avons soustrait au taux de popularité net du Président la popularité moyenne du Président au cours des six mois précédant le remaniement. Autrement dit, une valeur au-dessus de zéro ne correspond pas nécessairement à un taux de popularité net positif, mais à une amélioration par rapport à la période précédant le remaniement. Inversement, des valeurs négatives indiquent une détérioration de la popularité par rapport à la période précédant le remaniement. Par ailleurs nous distinguons les remaniements avec changement de Premier ministre des remaniements sans.
Graphique 2 – Les effets des remaniements sur la popularité du président
Le graphique 2 présente cet effet moyen pour les remaniements au cours de trois périodes. Par précaution, il faut préciser que le nombre total de remaniements étant assez faibles (19), ces courbes n’ont qu’une valeur illustrative et demanderait une étude statistique plus approfondie.
Pendant le long règne de la droite de 1958 à 1981, les remaniements n’avaient pas d’effet positif sur la popularité du président. Il est possible qu’ils ne servaient pas uniquement à cela. Surtout pendant la période gaullienne, le président se séparait de son premier collaborateur au bout de cycles dont il déterminait lui-même la longueur. Par ailleurs, le soutien net au président restait assez fort, comme le montre le graphique 1.
Pendant la phase des alternances systématiques (1981 à 2002), les remaniements prennent tous leur sens. Un changement de Premier ministre, comme le premier de la série de Mauroy à Fabius, correspond à un changement de cap et permet de donner une nouvelle impulsion au gouvernement, tout en améliorant la popularité du Président. Un remaniement sans changement du Premier ministre n’a guère le même effet. Il correspond sans doute davantage à une réorganisation du travail, plus ou moins bien comprise par le public. Le remaniement de novembre 1995 (de Juppé 1 à Juppé 2) est à ce titre exemplaire, en ce qu’il n’a pas d’effet positif sur la popularité du Président.
Enfin, la dernière phase décrite est la période après 2000. Elle inaugure une période de remaniements peu effectifs en termes de popularité. La seule exception ici, celle qui tire la moyenne vers le haut, est la nomination de Dominique de Villepin à Matignon au lendemain du référendum sur le Traité constitutionnel européen en mai 2005. Tous les autres remaniements n’ont guère eu d’effet positif. Par ailleurs, les taux de popularité des présidents ont atteint des niveaux tellement bas que les présidents semblent hésiter plus longtemps avant de remanier. De fait, Nicolas Sarkozy a été le premier président à ne pas changer de Premier ministre, faisant confiance à François Fillon tout au long de son mandat.
Quant à François Hollande, nouveau détenteur du record d’impopularité, les rumeurs de remaniement sont apparues plusieurs fois déjà au cours de ces deux premières années de mandat. Le président dispose de peu d’autres armes pour remonter dans les sondages. La gestion de catastrophes naturelles ou de crises externes peut fonctionner. Des catastrophes, il n’y en a pas eu. La promesse de renégociation du Traité de Lisbonne n’a pas vraiment été tenue. Seule l’intervention au Mali a « marché » au sens où un consensus s’est formé autour du président, comme à chaque fois dans l’histoire de la 5e République, lui procurant même un (petit) répit dans les sondages. Mais le remaniement semblait plus dangereux, un cartouche à ne pas griller trop à la légère.
Le moment est finalement venu après la défaite sans appel aux élections municipales. Mais l'effet du remaniement sur la popularité du président n'est pas susceptible d'être très important et les premiers sondages témoignent plutôt de la défiance de l'électorat que d'un regain de confiance. Les remaniements ont perdu beaucoup de leur pouvoir régénérateur avec le temps.
Emiliano Grossman
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