Pratiquement
à chaque élection, les sondages et les instituts qui les produisent
font l'objet de critiques et d'interrogations. Le premier tour des
municipales du 23 mars 2014 ne déroge pas à cette règle. Dès
l'annonce des premières estimations, nombre d'observateurs ont annoncé leur
surprise face aux résultats des élections. La "vague bleue", confirmée au second tour, et la victoire du Front national dans plus d'une dizaine de villes ont encore renforcé ces interrogations.
Nous nous sommes penchés
sur les sondages pour le premier tour et avons entrepris de tester la précision de leurs
estimations en les confrontant aux scores effectifs : avaient-ils vu
juste ? Certains instituts font-ils mieux que d’autres ?
Ont-ils plus de mal à saisir la force de certains partis, par
exemple à cause de la réticence des électeurs à admettre qu’ils
votent pour le FN ?
Nous
avons commencé par identifier les sondages les plus récents. Toutes
les villes ne sont pas logées à la même enseigne : seules les
plus grandes et celles qui connaissent une campagne disputée, par
exemple avec des candidats dissidents, font l’objet de sondages.
Paris ou Marseille ont fait l’objet de plusieurs sondages, jusqu’à la semaine du premier tour, tandis que d’autres n’ont en eu qu’un
seul, remontant parfois à plusieurs mois – dans certains cas
jusqu’au mois de décembre. Dans la très vaste majorité des
communes, aucun sondage n’a été réalisé. Nous avons donc dû
nous contenter des sondages disponibles et nous avons recensé les
dernières estimations en date pour le premier tour dans 70 villes, recensées par francetvinfo.fr ,
afin de pouvoir les comparer aux résultats effectifs de chaque
liste.
Une
bonne idée des rapports de force locaux, quel que soit l’institut
Nous
observons que contrairement à l’impression de départ, les
estimations s’avèrent le plus souvent correctes : dans 59 cas
sur 71, c'est-à-dire 83 %, les sondages identifient correctement le
gagnant du scrutin. Nous n’observons pas de différences notables
entre les instituts de sondage.
Graphique
1 – La performance des instituts de sondage
(Erreur de prédiction moyenne)
Notons
que la mesure de l'erreur de l’estimation ne va pas de soi. Bien
entendu, nous ne parlons pas d'erreur statistique ici. Il y aurait
d'autant plus de choses à dire à ce sujet que les sondeurs ne
fournissent pratiquement jamais les informations nécessaires au
calcul de la fiabilité d'un sondage. Mais pour cette note, nous nous
contentons d’une mesure de la moyenne
de l'erreur de prédiction absolue,
présentée dans le graphique
1. Les résultats restent bons, mais il est certain qu'une erreur
moyenne absolue de prédiction de 2,6 pour cent (ligne rouge sur le graphique 1) peut
être décisive et fausser le pronostic de victoire ou de défaite,
surtout lors d'une élection municipale où la prime au gagnant est très importante.
Surestimation
du PS, sous-estimation du FN
Le
graphique 2 représente les erreurs absolues et moyennes par type de
liste. On voit en vert foncé la moyenne des erreurs absolues de
prédiction par parti et en rouge foncé la moyenne des moyennes des
erreurs. La première indique l'ampleur de l’erreur de prédiction
quelle que soit la direction. La seconde permet de voir dans quelle
direction les sondages se sont trompés (à la hausse ou à la
baisse).
Graphique
2 – L'erreur de prédiction par parti
On
voit qu'une marge d'erreur plus ou moins importante existe pour tous
les partis. L'UDI semble le moins bien prédit, mais il s'agit aussi
de l'un des partis les moins présents dans les sondages examinés
(15 sur 71), de sorte qu'un ou deux résultats déviants peuvent
facilement peser sur les prédictions moyennes. En regardant les
trois premiers partis dans le graphique, l'UMP, le PS et le FN, on
voit que le PS est de loin le moins bien prédit. Les prédictions
sont nettement moins mauvaises pour l’UMP et pour le FN.
La
grande différence, déjà relevée dans la presse, est la direction
des erreurs de prédiction, représentée en rouge foncée. Alors que
cette erreur tend systématiquement à surévaluer les résultats du
Parti socialiste (de 10% à Tours et à Lille, de 9,5% à Grenoble ou
à Avignon et de 8% à Chambéry, Bourgoin, Rouen et Orléans),
peut-être parce que de nombreux électeurs de gauche ne se sont pas
déplacés les deux derniers dimanches, elle sous-évalue la performance de l’UMP et
surtout celle du Front national. Les sondages se heurtent donc
toujours à la réticence de nombreux répondants à annoncer qu’ils
s’apprêtent à voter FN : le score de ce parti a été
sous-estimé de 10,5% à Metz, de 9,5% à Carpentras, de 7,5% à
Fréjus, de 5,5% à Hénin-Beaumont et de 5% à Créteil, Marseille
et Perpignan.
Des
limites pour offrir un cliché global du poids des partis : un
problème d’échantillonnage ?
Cependant,
les sondeurs ont vu juste dans de nombreuses autres villes et il
semble de plus en plus commun d’admettre que l’on vote à
l’extrême droite. Il se pourrait donc que l’impression d’une
distorsion entre l’image brossée par les sondages et le rapport de
force révélé par les élections ne soit pas un simple problème de
mesure lié au phénomène de désirabilité sociale, mais résulte
d’un problème d’échantillonnage : pour des raisons de
commande et suivant des logiques de médiatisation et de
communication focalisant l’attention sur quelques communes
spécifiques, les villes sondées ne représentent pas un échantillon
aléatoire, ni représentatif des communes françaises. La force du
FN et l’érosion du PS ont donc été sous-estimés dans les
nombreuses villes qui, comme par exemple Mantes-la-Ville, Noyon ou
Soissons, ne font pas la une des médias. Cette observation nous
rappelle que les sondages ne visent pas à prendre la température
globale dans l’ensemble du pays, mais à répondre à des commandes
centrées sur des communes spécifiques.
Emiliano Grossman & Isabelle Guinaudeau
Print PDF
Emiliano Grossman & Isabelle Guinaudeau
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire