mardi 1 avril 2014

Les sondages et les municipales

Pratiquement à chaque élection, les sondages et les instituts qui les produisent font l'objet de critiques et d'interrogations. Le premier tour des municipales du 23 mars 2014 ne déroge pas à cette règle. Dès l'annonce des premières estimations, nombre d'observateurs ont annoncé leur surprise face aux résultats des élections. La "vague bleue", confirmée au second tour, et la victoire du Front national dans plus d'une dizaine de villes ont encore renforcé ces interrogations. 
Nous nous sommes penchés sur les sondages pour le premier tour et avons entrepris de tester la précision de leurs estimations en les confrontant aux scores effectifs : avaient-ils vu juste ? Certains instituts font-ils mieux que d’autres ? Ont-ils plus de mal à saisir la force de certains partis, par exemple à cause de la réticence des électeurs à admettre qu’ils votent pour le FN ?

Nous avons commencé par identifier les sondages les plus récents. Toutes les villes ne sont pas logées à la même enseigne : seules les plus grandes et celles qui connaissent une campagne disputée, par exemple avec des candidats dissidents, font l’objet de sondages. Paris ou Marseille ont fait l’objet de plusieurs sondages, jusqu’à la semaine du premier tour, tandis que d’autres n’ont en eu qu’un seul, remontant parfois à plusieurs mois – dans certains cas jusqu’au mois de décembre. Dans la très vaste majorité des communes, aucun sondage n’a été réalisé. Nous avons donc dû nous contenter des sondages disponibles et nous avons recensé les dernières estimations en date pour le premier tour dans 70 villes, recensées par francetvinfo.fr , afin de pouvoir les comparer aux résultats effectifs de chaque liste.


Une bonne idée des rapports de force locaux, quel que soit l’institut

Nous observons que contrairement à l’impression de départ, les estimations s’avèrent le plus souvent correctes : dans 59 cas sur 71, c'est-à-dire 83 %, les sondages identifient correctement le gagnant du scrutin. Nous n’observons pas de différences notables entre les instituts de sondage.

Graphique 1 – La performance des instituts de sondage
(Erreur de prédiction moyenne)




Notons que la mesure de l'erreur de l’estimation ne va pas de soi. Bien entendu, nous ne parlons pas d'erreur statistique ici. Il y aurait d'autant plus de choses à dire à ce sujet que les sondeurs ne fournissent pratiquement jamais les informations nécessaires au calcul de la fiabilité d'un sondage. Mais pour cette note, nous nous contentons d’une mesure de la moyenne de l'erreur de prédiction absolue, présentée dans le graphique 1. Les résultats restent bons, mais il est certain qu'une erreur moyenne absolue de prédiction de 2,6 pour cent (ligne rouge sur le graphique 1) peut être décisive et fausser le pronostic de victoire ou de défaite, surtout lors d'une élection municipale où la prime au gagnant est très importante.


Surestimation du PS, sous-estimation du FN

Le graphique 2 représente les erreurs absolues et moyennes par type de liste. On voit en vert foncé la moyenne des erreurs absolues de prédiction par parti et en rouge foncé la moyenne des moyennes des erreurs. La première indique l'ampleur de l’erreur de prédiction quelle que soit la direction. La seconde permet de voir dans quelle direction les sondages se sont trompés (à la hausse ou à la baisse).

Graphique 2 – L'erreur de prédiction par parti






















On voit qu'une marge d'erreur plus ou moins importante existe pour tous les partis. L'UDI semble le moins bien prédit, mais il s'agit aussi de l'un des partis les moins présents dans les sondages examinés (15 sur 71), de sorte qu'un ou deux résultats déviants peuvent facilement peser sur les prédictions moyennes. En regardant les trois premiers partis dans le graphique, l'UMP, le PS et le FN, on voit que le PS est de loin le moins bien prédit. Les prédictions sont nettement moins mauvaises pour l’UMP et pour le FN.

La grande différence, déjà relevée dans la presse, est la direction des erreurs de prédiction, représentée en rouge foncée. Alors que cette erreur tend systématiquement à surévaluer les résultats du Parti socialiste (de 10% à Tours et à Lille, de 9,5% à Grenoble ou à Avignon et de 8% à Chambéry, Bourgoin, Rouen et Orléans), peut-être parce que de nombreux électeurs de gauche ne se sont pas déplacés les deux derniers dimanches, elle sous-évalue la performance de l’UMP et surtout celle du Front national. Les sondages se heurtent donc toujours à la réticence de nombreux répondants à annoncer qu’ils s’apprêtent à voter FN : le score de ce parti a été sous-estimé de 10,5% à Metz, de 9,5% à Carpentras, de 7,5% à Fréjus, de 5,5% à Hénin-Beaumont et de 5% à Créteil, Marseille et Perpignan.


Des limites pour offrir un cliché global du poids des partis : un problème d’échantillonnage ?


Cependant, les sondeurs ont vu juste dans de nombreuses autres villes et il semble de plus en plus commun d’admettre que l’on vote à l’extrême droite. Il se pourrait donc que l’impression d’une distorsion entre l’image brossée par les sondages et le rapport de force révélé par les élections ne soit pas un simple problème de mesure lié au phénomène de désirabilité sociale, mais résulte d’un problème d’échantillonnage : pour des raisons de commande et suivant des logiques de médiatisation et de communication focalisant l’attention sur quelques communes spécifiques, les villes sondées ne représentent pas un échantillon aléatoire, ni représentatif des communes françaises. La force du FN et l’érosion du PS ont donc été sous-estimés dans les nombreuses villes qui, comme par exemple Mantes-la-Ville, Noyon ou Soissons, ne font pas la une des médias. Cette observation nous rappelle que les sondages ne visent pas à prendre la température globale dans l’ensemble du pays, mais à répondre à des commandes centrées sur des communes spécifiques.

Emiliano Grossman & Isabelle Guinaudeau
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