Pris comme un groupe, les immigrés peuvent faire peur pour deux raisons opposées.
D’une part, ils peuvent être vus comme des gens disposés à
travailler dur pour de faibles revenus et qui concurrencent le travailleur
local. Cette concurrence prive les français de leur emploi ou, du moins,
contribue à leur baisse de revenu. L’immigré fait peur parce qu’il est un bosseur
acharné.
D’autre part, l’immigré peut être vu comme bien moins
concurrentiel que le travailleur français, peu qualifié, et destiné à vivre des
allocations pour pouvoir survivre. Cet immigré là est mal vu parce qu’à
l’inverse du premier, il vide la caisse de la sécurité sociale. Il fait peur parce
qu’il est, disons, paresseux.
Qu’il soit vu comme travailleur ou glandeur, l’immigré,
donc, inquiète. Or, cette inquiétude a des effets psychologiques sur l’opinion
de nos concitoyens sur la protection sociale, notamment la protection contre le
chômage ou la pauvreté.
Une estimation multivariée sur 3000 français montre que ceux
qui voient les immigrés comme paresseux ou peu qualifiés, souhaitent davantage réduire
la protection sociale, alors que ceux qui les voient comme dangereusement
compétitifs veulent au contraire accroître cette protection. La relation
statistique se maintient que l’on soit de droite ou de gauche, égalitaristes ou
non, et quelque soit l’âge, le sexe et autres caractéristiques démographiques
et professionnelles.
L’explication est simple : lorsque nous avons peur de
perdre face à la concurrence, nous souhaitons être davantage protégés. En
revanche, lorsque nous gagnons, nous ne voulons pas payer pour ceux qui ont
perdu. Lorsqu’on connait la raison pour laquelle la peur des étrangers se
développe, on sait dans quelle direction ira l’attitude envers la protection
sociale.
Aux Etats-Unis, par exemple, la propagande qui a visé à
décrire les populations noires comme fondamentalement pauvres parce que peu
travailleuses, a poussé les américains blancs à rejeter le système de protection
sociale. A l’inverse, la propagande anti-juive des années ’30, décrivait les
juifs comme très concurrentiels et, pour cette raison, a produit en Europe une
attitude favorable à la redistribution même chez les partis de droite.
Qu’en est-il en France aujourd’hui ? La tendance est
actuellement défavorable à la protection sociale : 54% des français
tendent à voir les immigrés plutôt comme un poids pour la sécurité sociale,
alors que seulement 16% les voient plutôt comme prenant les emplois des
français (le reste ne manifeste pas de préférence). Y a-t-il un effet de
propagande partisane dans un sens ou dans l’autre ?
Prenons ceux qui pensent plutôt que les immigrés prennent le
travail des français. Par rapport aux autres, ils sont généralement plus jeunes,
moins diplômés, habitant dans des départements ruraux et avec des taux de
chômage élevés. Politiquement, ils tendent à ne pas voter. Votent-ils pour le
FN ? Non, pas plus que les autres. Ou plutôt : le fait d’avoir peur
des immigrés est fortement associé au vote FN, mais la raison pour laquelle on
a peur ne l’est pas. Il n’y a donc pas de traces de propagande qui alimente la
peur de la compétition des migrants, d’autant plus qu’elle touche une
population particulièrement peu exposée aux médias. Le facteur qui explique le
mieux cette peur est la vulnérabilité économique.
Prenons maintenant les caractéristiques de ceux qui pensent
que les immigrés profitent de la sécurité sociale. Plus instruits et informés
politiquement que les précédents, ces personnes se caractérisent surtout par
leur proximité à l’UMP. En d’autres termes, l’UMP est le seul parti français
dont les électeurs ont un diagnostic précis sur les immigrés : ils sont
peu qualifiés, peu compétitifs et bénéficient des généreuses allocations publiques.
Doit-on voir là un effet de la propagande de l’UMP ou, au
contraire, ces électeurs qui voient des immigrés paresseux sont simplement
attirés par l’UMP ? Deux éléments penchent en faveur de la première thèse.
Ils sont basés sur l’idée que les phénomènes de propagande se diffusent du haut
vers le bas à travers deux canaux : les militants et les discours ou
programmes politiques.
Premièrement, s’il s’agit de propagande, les militants de
l’UMP devraient être encore plus marqués que les simples sympathisants dans
leur vision des immigrés. Les militants sont en effet l’une des voix par
lesquelles un parti diffuse ses positions. Or, précisément, contrairement aux
militants des autres partis qui ne diffèrent pas significativement des simples
sympathisants sur la question de la compétitivité des immigrés, les
militants de l’UMP sont encore plus
enclins à croire que les immigrés sont peu compétitifs que les simples
sympathisants de l’UMP qui, comme je l’ai dit, sont à leur tour plus convaincus
par ce diagnostic que tous les autres.
Deuxièmement, une analyse qualitative des programmes
politiques en 2007 et 2012 montre que l’UMP aborde le problème des immigrés
uniquement sous l’angle de leur faibles compétences et leur poids sur les
dépenses de protection sociale. En revanche, dans les programmes socialistes,
communistes, écologistes, ainsi que dans ceux du Modem, le thème de
l’immigration n’est jamais lié à celui de la protection sociale ni à celui du
chômage. Enfin, le programme du FN fait bien référence à la « préférence
nationale » pour défendre les travailleurs français contre les immigrés, mais
aussi à des formes de « redistribution chauvinistes », revenant à limiter
l’accès des immigrés aux transferts sociaux, pour attirer les contribuables qui
refusent de payer pour les immigrés. L’UMP est donc bien le seul parti qui
aborde le problème de la sécurité sociale, mais pas celui de la concurrence
dans le marché des emplois.
Ces éléments suggèrent que l’UMP porte bien un discours sur
les immigrés qui, sans être clairement hostile comme celui du FN, donne une
vision de l’immigré qui est psychologiquement associée à un rejet de la
redistribution. Ce même discours, porté vraisemblablement par des partis de
droite dans les pays occidentaux, contribue à développer un rejet de la
taxation. Du coté des partis de gauche français, en revanche, la corde redistributive
de la xénophobie n’est pas exploitée, contrairement à la gauche québecoise ou suèdoise
qui a largement utilisé le thème de la protection du travailleur local face à une
immigration concurrentielle.
Ce billet se base sur l’article « Immigration etsoutien à l’État providence. Une analyse de l’opinion publique française »
paru dans la Revue d’économie politique.
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