lundi 14 avril 2014

L’immigré selon l’UMP : un incompétent assisté


Pris comme un groupe, les immigrés peuvent faire peur pour deux raisons opposées.

D’une part, ils peuvent être vus comme des gens disposés à travailler dur pour de faibles revenus et qui concurrencent le travailleur local. Cette concurrence prive les français de leur emploi ou, du moins, contribue à leur baisse de revenu. L’immigré fait peur parce qu’il est un bosseur acharné.

D’autre part, l’immigré peut être vu comme bien moins concurrentiel que le travailleur français, peu qualifié, et destiné à vivre des allocations pour pouvoir survivre. Cet immigré là est mal vu parce qu’à l’inverse du premier, il vide la caisse de la sécurité sociale. Il fait peur parce qu’il est, disons, paresseux.

Qu’il soit vu comme travailleur ou glandeur, l’immigré, donc, inquiète. Or, cette inquiétude a des effets psychologiques sur l’opinion de nos concitoyens sur la protection sociale, notamment la protection contre le chômage ou la pauvreté.

Une estimation multivariée sur 3000 français montre que ceux qui voient les immigrés comme paresseux ou peu qualifiés, souhaitent davantage réduire la protection sociale, alors que ceux qui les voient comme dangereusement compétitifs veulent au contraire accroître cette protection. La relation statistique se maintient que l’on soit de droite ou de gauche, égalitaristes ou non, et quelque soit l’âge, le sexe et autres caractéristiques démographiques et professionnelles.

L’explication est simple : lorsque nous avons peur de perdre face à la concurrence, nous souhaitons être davantage protégés. En revanche, lorsque nous gagnons, nous ne voulons pas payer pour ceux qui ont perdu. Lorsqu’on connait la raison pour laquelle la peur des étrangers se développe, on sait dans quelle direction ira l’attitude envers la protection sociale.

Aux Etats-Unis, par exemple, la propagande qui a visé à décrire les populations noires comme fondamentalement pauvres parce que peu travailleuses, a poussé les américains blancs à rejeter le système de protection sociale. A l’inverse, la propagande anti-juive des années ’30, décrivait les juifs comme très concurrentiels et, pour cette raison, a produit en Europe une attitude favorable à la redistribution même chez les partis de droite.

Qu’en est-il en France aujourd’hui ? La tendance est actuellement défavorable à la protection sociale : 54% des français tendent à voir les immigrés plutôt comme un poids pour la sécurité sociale, alors que seulement 16% les voient plutôt comme prenant les emplois des français (le reste ne manifeste pas de préférence). Y a-t-il un effet de propagande partisane dans un sens ou dans l’autre ?

Prenons ceux qui pensent plutôt que les immigrés prennent le travail des français. Par rapport aux autres, ils sont généralement plus jeunes, moins diplômés, habitant dans des départements ruraux et avec des taux de chômage élevés. Politiquement, ils tendent à ne pas voter. Votent-ils pour le FN ? Non, pas plus que les autres. Ou plutôt : le fait d’avoir peur des immigrés est fortement associé au vote FN, mais la raison pour laquelle on a peur ne l’est pas. Il n’y a donc pas de traces de propagande qui alimente la peur de la compétition des migrants, d’autant plus qu’elle touche une population particulièrement peu exposée aux médias. Le facteur qui explique le mieux cette peur est la vulnérabilité économique.

Prenons maintenant les caractéristiques de ceux qui pensent que les immigrés profitent de la sécurité sociale. Plus instruits et informés politiquement que les précédents, ces personnes se caractérisent surtout par leur proximité à l’UMP. En d’autres termes, l’UMP est le seul parti français dont les électeurs ont un diagnostic précis sur les immigrés : ils sont peu qualifiés, peu compétitifs et bénéficient des généreuses allocations publiques.

Doit-on voir là un effet de la propagande de l’UMP ou, au contraire, ces électeurs qui voient des immigrés paresseux sont simplement attirés par l’UMP ? Deux éléments penchent en faveur de la première thèse. Ils sont basés sur l’idée que les phénomènes de propagande se diffusent du haut vers le bas à travers deux canaux : les militants et les discours ou programmes politiques.

Premièrement, s’il s’agit de propagande, les militants de l’UMP devraient être encore plus marqués que les simples sympathisants dans leur vision des immigrés. Les militants sont en effet l’une des voix par lesquelles un parti diffuse ses positions. Or, précisément, contrairement aux militants des autres partis qui ne diffèrent pas significativement des simples sympathisants sur la question de la compétitivité des immigrés, les militants  de l’UMP sont encore plus enclins à croire que les immigrés sont peu compétitifs que les simples sympathisants de l’UMP qui, comme je l’ai dit, sont à leur tour plus convaincus par ce diagnostic que tous les autres.

Deuxièmement, une analyse qualitative des programmes politiques en 2007 et 2012 montre que l’UMP aborde le problème des immigrés uniquement sous l’angle de leur faibles compétences et leur poids sur les dépenses de protection sociale. En revanche, dans les programmes socialistes, communistes, écologistes, ainsi que dans ceux du Modem, le thème de l’immigration n’est jamais lié à celui de la protection sociale ni à celui du chômage. Enfin, le programme du FN fait bien référence à la « préférence nationale » pour défendre les travailleurs français contre les immigrés, mais aussi à des formes de « redistribution chauvinistes », revenant à limiter l’accès des immigrés aux transferts sociaux, pour attirer les contribuables qui refusent de payer pour les immigrés. L’UMP est donc bien le seul parti qui aborde le problème de la sécurité sociale, mais pas celui de la concurrence dans le marché des emplois.

Ces éléments suggèrent que l’UMP porte bien un discours sur les immigrés qui, sans être clairement hostile comme celui du FN, donne une vision de l’immigré qui est psychologiquement associée à un rejet de la redistribution. Ce même discours, porté vraisemblablement par des partis de droite dans les pays occidentaux, contribue à développer un rejet de la taxation. Du coté des partis de gauche français, en revanche, la corde redistributive de la xénophobie n’est pas exploitée, contrairement à la gauche québecoise ou suèdoise qui a largement utilisé le thème de la protection du travailleur local face à une immigration concurrentielle.


Ce billet se base sur l’article « Immigration etsoutien à l’État providence. Une analyse de l’opinion publique française » paru dans la Revue d’économie politique.
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