vendredi 11 avril 2014

Bilan des élections municipales françaises de 2014 dans les villes de + de 9.000 habitants


Cette note propose un bilan des élections municipales de 2014 pour 1052 villes de plus de 9.000 habitants de France métropolitaine[i]. Elle actualise et complète deux précédentes analyses des résultats portant spécifiquement sur le premier tour du scrutin[ii]. De prime abord, le nombre de villes prises en compte peut paraître limité. Cependant, en observant les résultats électoraux dans l’ensemble des villes de plus de 9.000 habitants, cette note couvre en fait 50% du corps électoral français (soit 19,8 millions d’électeurs inscrits), et exclut les villes dont la compétition électorale est davantage déconnectée de la vie politique nationale.
Par ailleurs, nous avons pris soin de distinguer les résultats électoraux par strate de villes (ou secteurs et arrondissements) : celles comprises entre 9 et 30.000 habitants (782), 30 et 100.000 habitants (220) et au-delà de 100.000 habitants (50). Ce découpage permet de rendre compte d’une partie de l’hétérogénéité des situations urbaines et périurbaines.
Enfin, pour saisir l’ampleur de la défaite des listes de gauche, nous avons privilégié une approche statistique descriptive la plus exhaustive possible.

La situation avant le premier tour
En mars 2008, les élections municipales s’étaient soldées par une nette victoire de la gauche, exprimant un fort vote sanction contre le Président Sarkozy et le gouvernement Fillon, aux affaires depuis neuf mois. Cette dynamique avait porté la gauche à son plus haut niveau historique en termes de mairies depuis les municipales de 1977 : à l’issue des élections de 2008, elle se retrouvait à la tête de 53% des villes de plus de 9.000 habitants, contre 63% en 1977 (506 villes). A l’intérieur de la gauche, le mouvement avait quasi exclusivement profité au PS, qui s’était imposé comme le principal réceptacle du mécontentement des électeurs. Ainsi, à la veille des élections des élections de mars 2014, le PS dirigeait 70 % des mairies de plus de 30.000 habitants détenues par la gauche, contre 67 % à l’issue des municipales de 1977, 52 % à l’issue des municipales de 1983, 58 % après les municipales de 1989, 55 % après les municipales de 1995 et 62 % après les municipales de 2001.


La situation à l’issue du premier tour
A l’issue du premier tour des élections de 2014, les premiers signes d’une sanction de grande ampleur avaient été perceptibles. Parmi les 1052 villes, 485 équipes avaient été élues dès le premier tour (dont 19% conduites par l’UMP et 12% par le PS). Les basculements à gauche s’étaient limités à 7 villes (St-Egrève, Bruges, Vire, St-Just-Saint-Rambert, Seclin, Le Portel, Maxeville) contre 35 villes pour la droite, ces changements intervenant majoritairement dans les villes de moins de 30.000 habitants, où l’offre électorale était moins dense. Les listes de droite étaient néanmoins parvenues à conquérir cinq villes de plus de 30.000 habitants, dont deux dirigées par les socialistes depuis les années 1950 (Niort, L’Hay-les-Roses)
Mais surtout, le taux de reconduction des mairies sortantes laissait apparaître un net déséquilibre entre la gauche et la droite[iii] : la droite (UMP et UD) avait pu conserver 53% de ses mairies sortantes, contre seulement 16% à gauche (SOC, UG, COM). Résultat, sur les 567 villes de plus de 9.000 habitants qui restaient en jeu, 362 étaient détenues par la gauche contre 205 pour la droite. A la veille du second tour, la gauche était particulièrement exposée au mécontentement des électeurs.
Le graphique 1 permet de contraster le bilan en termes de mairies selon la taille des communes. Il fait apparaître un mouvement général en faveur de la droite dans toutes les strates.




Figure 1 : Basculements et maintiens au 1er tour




Le bilan des deux tours
A l’issue du second tour, le bilan est implacable : les élections municipales de 2014 marquent un revers retentissant de la gauche qui perd 196 municipalités de plus de 9.000 habitants, dont 60 de plus de 30.000 habitants. L’ampleur des basculements touche avant tout les listes sortantes d’Union de la Gauche (-99 municipalités), du Parti socialiste (-48) et les listes d’Union de la Droite (-55). Ce dernier résultat doit être lu au regard des jeux d’étiquette. En effet, un certain nombre de listes élues sous l’étiquette « Majorité » en 2008 se sont représentées en 2014 sous l’étiquette UMP et non Union de la Droite. Au final, les listes UMP et UD réalisent un gain net de 163 municipalités (figure 2).

Figure 2 : Basculements et maintiens en 2014 (1er et 2ème tours)


Si la gauche perd un nombre de significatif de villes de 9 à 30.000 habitants (136 communes), l’ampleur du phénomène est encore plus impressionnante pour la strate des villes de 30 à 100.000 habitants. En effet, lorsque la gauche gagne 2 municipalités (Douai et Avignon) sur la droite, la droite en conquiert 50 (dont des villes ancrées à gauche depuis plusieurs décennies comme Aubagne, Charleville-Mézières ou Pau).
Le bilan au sein des villes de plus de 100.000 habitants est tout aussi cruel pour la gauche, et notamment pour le PS. Excepté le cas de Montreuil, qui passe d’EELV au PCF, les pertes sont toutes essuyées par le PS, que ce soit vers des socialistes dissidents (Montpellier), vers EELV (Grenoble), vers l’UDI (Amiens), mais surtout vers l’UMP (Caen, Toulouse, Tours, Saint-Etienne, Angers, Reims, Limoges, Argenteuil). Le mouvement touche aussi bien ses bastions historiques (Limoges, Roubaix) que ses conquêtes plus récentes (Caen, Toulouse, Reims). Les victoires à Paris et Lyon ne sont pas l’arbre qui cachent la forêt, comme lors des élections municipales de 2001 : elles sont plutôt la bouée de sauvetage qui fait la différence entre une débâcle et un cataclysme.

Figure 3 : Evolution du rapport de force gauche/droite, 1977-2014


En se concentrant sur les villes de plus de 30.000 habitants, où le scrutin municipal est le plus politisé, le graphique 3 montre que la gauche revient à son plus bas niveau depuis 35 ans. Avec 83 villes dirigées (dont 20 par le Parti communiste), la gauche perd de son influence dans le réseau des villes moyennes de + de 30.000 habitants (solde de -48 villes) et les grandes villes de + de 100.000 habitants (solde de -9 villes).

Les flux entre la gauche et la droite sont presque à sens unique, mais il faut noter que les deux gains de la gauche sur la droite restent assurés par le PS, alors qu’il subit une débâcle historique sur l’ensemble du territoire. Comme l’indique le graphique 3 (pour les villes de + 30.000 habitants), jamais la gauche n’avait atteint un seuil si faible de villes gouvernées. Avec un bilan de 158 villes à son actif, la droite atteint non seulement un plafond historique mais réalise surtout une progression considérable (+53), encore plus importante que celle observée en 1983 (gain de 35 villes).

Au centre de toutes les attentions au soir du premier tour, l’extrême-droite gagne deux villes de plus de 30.000 habitants, égalant sa performance de 1995. Ses deux gains sont assurés sur la droite modérée (Béziers et Fréjus), exactement comme en 1995 (Marignane et Toulon). Dans la France urbaine, le redressement du FN correspond bel et bien à un retour à son plus haut niveau historique. Mais une nouvelle géographie des villes FN s’impose en 2014. Alors que ses victoires étaient concentrées dans le Sud-Est en 1995, le FN conquiert aujourd’hui des mairies dans le Pas-de-Calais (Hénin-Beaumont), l’Aisne (Villers-Cotterêts), les Yvelines (Mantes-la-Ville), la Moselle (Hayange), en plus du sud (Bollène, Fréjus, Le Luc, Cogolin, Le Pontet)[1].

Les flux au sein de la gauche ne sont pas négligeables, notamment du PS vers ses alliés et/ou concurrents. Les équipes investies par le PS sont battues par trois dissidences à La Rochelle, Montpellier et Dunkerque, confirmant que l’étiquette socialiste était difficile à porter lors de ces élections. Le PS cède également Aubervilliers au PCF et Grenoble à EELV, rappelant que sa domination au sein de la gauche n’est pas un état de nature. De son côté, le PCF poursuit son déclin inéluctable avec des pertes symboliques en région parisienne (Bagnolet, Bobigny, Villejuif).

L’évolution du rapport de force gauche/droite se mesure non seulement en nombre de basculements de villes mais aussi en nombre de voix pour chacun des grands blocs partisans. Ainsi, l’effet de la participation différentielle se concrétise par une plus forte baisse des voix de la gauche qu’une hausse des voix de droite. La différence est particulièrement sensible pour les villes de 9 à 30.000 habitants alors qu’elle devient symétrique pour les villes plus urbaines. Un phénomène plus net ressort : le recul des listes autonomes du centre (Modem, UC, UDI). 

Ecart Voix 2014 - 2008 (1er tour) / exprimés 2014

Total
9 - 30 000 hab.
30 - 100 000 hab.
 + 100 000 hab.
Gauche
-7,04%
-7,25%
-5,16%
-4,72%
Div. Centre
-6,49%
-3,28%
-7,90%
-10,66%
Droite
4,43%
3,76%
4,99%
4,93%
FN
7,54%
6,08%
8,38%
9,16%
Note : La gauche a perdu 7,04 points de pourcentage de voix des exprimés au 1er tour de mars 2014 par rapport à son score au 1er tour de 2008.

Enfin, pour la première de l’histoire des élections municipales, le nombre de duels au second tour ne concernait que 33% des scrutins. Ainsi, dans 381 municipalités, le nombre de listes ayant atteint au moins 10% des voix au 1er tour ont débouché sur 305 triangulaires, 74 quadrangulaires et 2 quinquangulaires. Face à cette situation inédite, la répartition des gains et pertes de villes ne révèle pas de distorsions politiques flagrantes. Globalement, la droite domine toutes les situations de second tour dans un ordre de grandeur semblable quelque soit le niveau de strate de population. En revanche, si l’on tient compte de l’ordre d’arrivée au premier tour, on observe que le PS gagne 25 villes lors de triangulaires alors qu’il arrivait en tête au premier dans 42 municipalités, soit un taux de déperdition de 40%. Les listes d’union de la gauche enregistrent un taux de déperdition de 21% (53 villes gagnées pour 67 ballotages favorables), 18% pour les listes UMP, seulement 5% pour les listes d’union de la droite (54 villes gagnées pour 57 ballotages favorables) et 43% pour les listes FN.

Figure 4 : Gains municipaux selon la structure du second tour

Dans le cas de quadrangulaires, le taux de déperdition est de 16% pour les listes d’union de la gauche, 0% pour les listes d’union de la droite, et 23% pour les listes divers droite.


Une mise en perspective historique
A la veille du second tour, l’existence d’une dynamique de sanction contre le Parti socialiste ne faisait plus de doute ; seule subsistait une interrogation sur son ampleur, avec le souvenir des élections municipales de 1983 en arrière-plan. La comparaison historique ne laisse planer aucun doute : la vague de 2014 est nettement plus puissante (Figure 3).
Le solde négatif de 162 villes de plus de 9.000 habitants est un record historique, qui dépasse de très loin le reflux de 78 villes enregistré en 1983. Il est également bien au-delà d’un simple mouvement de balancier suite à la nette victoire de 2008. Au fond, l’ampleur du mouvement en faveur de la droite n’a qu’un seul précédent depuis le début de la Cinquième République : la victoire écrasante de la gauche lors des municipales de 1977, les municipales de l’union de la gauche.
Au final, pour la première fois depuis l’accession de la gauche aux responsabilités nationales en 1981, la gauche ne contrôle plus que 38% des villes de plus de 9.000 habitants et 34 % des villes de plus de 30.000 habitants. Le paysage politique local subit un bouleversement impressionnant. La tenue des élections régionales de 2015 rend probable une nouvelle saignée bleue dans les 21 régions de métropole actuellement dirigées par la gauche si le vote sanction est toujours à l’œuvre pour ces nouvelles élections intermédiaires.


Martial Foucault et Florent Gougou 




[1] Les villes d’Orange et Béziers ont élu des maires d’extrême-droite et divers droite avec le soutien du Front National.




[i] Les arrondissements/secteurs de Paris, Lyon et Marseille sont traités comme une unité, en fonction de leur population respective.
[ii] Martial Foucault. 2014. « Bilan du 1er tour des élections municipales dans les villes de + de 9.000 habitants », Note du CEVIPOF, http://www.cevipof.fr/electionsmunicipales2014/notes/.  Florent Gougou. 2014. « Le bilan du premier tour des élections municipales dans la France urbaine : les signes avant-coureurs d’une sanction de grande ampleur », http://slowpolitix.blogpost.fr
[iii] Cette note utilise les étiquettes fournies par le Ministère de l’Intérieur. Elles souffrent de nombreuses imprécisions, voire d’erreurs, mais elles permettent de dresser un tableau général des mouvements à l’œuvre. Un travail sur l’ensemble des étiquettes est en cours : nous en rendrons compte ultérieurement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire