Depuis
le 6 mars 2014, nous connaissons le nombre de listes présentées ou soutenues
par le Front National (FN) et officiellement déposées auprès des préfectures.
Dans les communes de plus de 1000 habitants, le Front National aura finalement
596 listes, niveau inédit à ce jour. Avec près de 450 listes présentées dans
les communes de plus de 9000 habitants, le parti de Marine Le Pen a peu ou prou
retrouvé ses capacités organisationnelles de 1995, malgré la contrainte de la
parité dans la composition des listes. Pour mémoire, des listes FN étaient
présentes dans 303 communes de plus de 9000 habitants en 1989, dans 456 en
1995, mais dans seulement183 et 106 villes, respectivement en 2001 et en 2008 (auxquelles
on peut ajouter, respectivement, 114 et 5 villes où le FN n’avait pas de
candidat mais où se présentaient des listes d’extrême-droite).
Une
telle présence peut-elle affecter le rapport de force droite/gauche lors de ces
élections municipales dont les enjeux sont à la fois locaux et nationaux ?
Le FN a réalisé sa meilleure performance électorale en 1995, avec 13,1% des
voix pour ses listes dans les communes de plus de 9000 habitants, score qui lui
permit de se qualifier pour le second
tour dans plus de 290 villes et d’obtenir près de 1000 conseillers municipaux. Le
FN s’apprête-t-il à rééditer sa performance de 1995 ?
Les
enquêtes d’opinion sur les intentions de vote, pour intéressantes qu’elles
soient, ont de réelles difficultés pour appréhender le vote FN du fait d’un
niveau de sous-déclaration chronique de la part des électeurs du FN. En outre,
ces enquêtes ne portent en général que sur une dizaine de villes, qui ne sont
pas toujours représentatives de la tendance nationale, et qui ne permettent
donc pas de généralisation sur le niveau relatif du FN.
Afin
de remédier à ces difficultés, une voie alternative, fondée sur la modélisation
des résultats électoraux passés, a été testée avec succès par des chercheurs
pour estimer les scores nationaux du FN depuis 1984[i] ou
celui de Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle 2012[ii]. Néanmoins,
à ce jour, une telle perspective n’a été mise en œuvre ni à l’échelon désagrégé
du vote par commune, ni pour les scores du FN aux élections municipales. Ainsi,
afin d’estimer l’ampleur du vote frontiste lors du premier tour des élections
municipales de mars 2014, nous proposons ici de construire un modèle
statistique simple visant à identifier les variables explicatives du vote FN au
niveau municipal depuis 1998 (quelle que soit l’élection, élections
législatives exceptées). Ce choix méthodologique mérite quelques explications.
Le
score du FN aux prochaines élections municipales doit être appréhendé comme une
combinaison de facteurs locaux et nationaux. Si le maire sortant est certes
évalué sur son bilan, sa notoriété, et son programme futur, il reste que les
électeurs peuvent profiter du calendrier électoral pour signaler leur
mécontentement ou leur satisfaction vis-à-vis de l’action nationale du
gouvernement mais aussi vis-à-vis des partis d’opposition. Dans cette
perspective, il est donc important de prendre en compte la popularité du Front
national connue avant l’échéance municipale. En outre, la dynamique électorale
du FN dans chacune des villes étudiées constitue également une variable
déterminante pour simuler le score futur du FN. A Paris, le score moyen du FN
fut de 6,6 % entre 1998 et 2012 alors qu’il fut de 25,5% à Carpentras. Les
résultats volatiles du FN entre 1995 et 2008 (cf. tableau 1) au plan municipal
s’inscrivent dans une dynamique plus complexe lorsque l’on tient compte du
score du FN aux élections nationales, régionales ou européennes dans chaque
ville. Par exemple, à Dreux, où le FN a eu un score moyen de 14% entre 1998 et
2012, les scores du FN se sont échelonnés entre 4,3% aux municipales de 2008 et
31,7% aux élections régionales de 1998.
Un modèle explicatif du vote FN
Dans
la mesure où notre objectif est de simuler le vote aux élections municipales, nous
prenons en compte 56 villes où le Front National et/ou des dissidents FN ont
présenté des listes aux élections municipales en 1995, 2001 et 2008. A partir des
scores du FN aux élections municipales, présidentielles, régionales et
européennes entre 1998 et 2012, notre modèle statistique vise à identifier le
poids relatif des diverses variables prédictives du vote FN.
Nous
faisons l’hypothèse que :
-
Plus les scores du FN à la précédente élection ainsi qu’à la précédente
élection du même type, dans chaque ville, étaient élevés, plus le score du FN à
l’élection suivante est élevé;
-
Plus la popularité nationale du FN augmente, plus le score du FN
augmente ;
-
Plus le taux de criminalité croît, plus le score du FN augmente ;
-
Lorsque le FN est divisé, le score du FN diminue ;
-
Le type d’élection affecte le score du FN.
Par
conséquent, nous avons estimé en données de panel le score du FN pour ces 56
villes à partir de la relation suivante :
FN
= f(Election précédente, Election nationale, Popularité du FN, variation taux
de criminalité, cohésion du FN, effets fixes et temporels).
Estimé
à partir des 616 (56 villes X 11 élections) résultats électoraux du FN, nous sommes en
mesure de donner un poids statistiquement significatif à chacune de ces
variables et ainsi de simuler le score du FN au premier tour des
municipales de mars 2014. Une précision méthodologique s’impose. Un modèle de
prévision doit s’appuyer sur un modèle statistique parcimonieux et robuste, qui
doit être réplicable par toute autre personne, à partir de variables
explicatives connues avant le scrutin. Notre modèle est basé uniquement sur des
variables connues avant le scrutin, comme, par exemple, la popularité du FN,
mesurée dans le baromètre TNS – Sofres Figaro-Magazine[iii], en
décembre de l’année qui précède les élections municipales, présidentielles et
régionales et en mars de l’année des élections européennes. Il explique une
large proportion de la variance des scores du FN (R2=0,7). Comme le
met en évidence le tableau 1, les scores moyens du FN, estimés par notre
modèle, lors des différents scrutins dans les 56 villes de notre échantillon sont
très proches des résultats moyens réels. L’écart le plus important entre
estimation et réalité (2,59%) est observé pour l’élection présidentielle de 2007.
Pour les élections municipales de 2001 et 2008, la différence entre score
estimé et observé est faible, respectivement 0,37 et 0,24. Lorsque l’on omet
les résultats de 2001 (ou de 2008) dans le modèle pour les estimer,
l’estimation est satisfaisante avec un écart de 0,1 (1,15 pour 2008). En somme,
le modèle semble fiable pour estimer les variations des résultats du FN depuis
1998 dans notre échantillon, élections municipales incluses. Il peut donc être
mobilisé pour estimer les élections municipales 2014.
Tableau 1. Performance du modèle
Type d'élection
|
Année
|
score estimé
|
score réel
|
différence
|
régionale
|
1998
|
22,17
|
22,53
|
-0,36
|
européenne
|
1999
|
13,75
|
13,52
|
0,23
|
municipale
|
2001
|
14,58
|
14,21
|
0,37
|
présidentielle
|
2002
|
23,27
|
23,12
|
0,15
|
régionale
|
2004
|
21,14
|
20,66
|
0,48
|
européenne
|
2004
|
12,36
|
13,10
|
-0,74
|
présidentielle
|
2007
|
14,32
|
11,73
|
2,59
|
municipale
|
2008
|
8,38
|
8,14
|
0,24
|
européenne
|
2009
|
9,79
|
9,47
|
0,32
|
régionale
|
2010
|
16,94
|
16,16
|
0,78
|
présidentielle
|
2012
|
18,22
|
18,98
|
-0,76
|
municipales
|
2014
|
22,87
|
Source : Données Ministère Intérieur, EDEN (CEVIPOF), auteurs.
A
partir des variables connues en décembre 2013, le modèle fournit une prévision
moyenne des résultats du FN pour ces 56 villes de 22,8 % avec une marge
d’erreur d’estimation de plus ou moins 0,45%.
L’estimation
de notre modèle pour les élections municipales 2014 place la performance
électorale du Front National à un niveau historiquement très élevé dans les
villes de notre échantillon, en particulier pour des élections municipales. En
1995, le score moyen du FN dans les villes de notre échantillon était de
17,17%. Si une telle tendance devait se confirmer, voire être dépassée dans
deux semaines, dans l’ensemble des villes où le FN présente ou soutient une
liste, il permettrait au parti de Marine Le Pen de se maintenir au second tour
dans un grand nombre de villes et, par conséquent, de peser fortement sur
l’issue de la compétition électorale municipale mais également de remporter
plusieurs élections municipales et d’obtenir un nombre inédit de conseillers
municipaux. En toile de fond, un grand nombre de conseillers municipaux FN élus
à cette élection pourrait donner au parti quelques chances de peser dans la
bataille des élections sénatoriales de l’automne 2014.
Sylvain Brouard et Martial Foucault
[i] Jocelyn Evans & Gilles Ivaldi, 2008, ‘Forecasting the Extreme
Right Vote in France (1984-2007)’, French Politics, 6(2) : 137-151.
[ii] Voir notamment, Jocelyn Evans & Gilles Ivaldi, 2012, “Forecasting the extreme-right vote at the 2012
presidential election: Evaluating our model”, French
Politics, 10(4) : 378-382.
J'ai un peu de mal à voir quelles sont finalement les variables utilisées dans ce modèle statistiques. Si l'on se base sur FN = f(Election précédente, Election nationale, Popularité du FN, variation taux de criminalité, cohésion du FN, effets fixes et temporels), que représentent les "effets fixes et temporels" ? Et surtout comment sont-il estimés ?
RépondreSupprimerIl me semble qu'une des variables entrant en jeu (mais je ne sais pas si elle fait partie ou non des éffets fixes et temporels") est le rejet global des autres candidatures candidatures, voire du système même de l'élection. C'est l'argument récurent du FN qu'il est en compétition avec un seul autre candidat : l'UMPS.
Cela n'expliquerait-il pas la faiblesse du modèle statistiques pour la présidentielle de 2007 ? En effet, on avait grossièrement pour cette élection en face du FN, l'UMP de Sarkozy dont le programme (déjà appliqué depuis 5 ans comme ministre de l'intérieur ou de l'économie) n'était pas rejeté dans la perspective du front national (Le Pen s'enorgeuillant que les propositions de Sarkozy n'étaient qu'une pâle immitation des siennes), et le PS de Royal tentant de se démarquer de la droite dure sarkozyenne. À l'inverse, lors de la présidentielle de 2002, le FN pouvait s'opposer facilement et en bloc à l'UMPS de ChiracJospin issu d'une cohabitation de 5 ans où le PS avouait qu'il ne présentait plus de programme socialiste et où la droite dure de l'UMP avait été tenue à l'écart depuis le fiasco balladurien de 1995.
Bref, le fait que nous sommes actuellement dans une configuration où le PS démontre de plus en plus qu'il n'est qu'une droite complexée et où l'UMP se délite, tend à me faire penser qu'un rejet global et des deux alternatives principales (qui de ce fait sont assimilées à un ennemi commun à rejeter) est important à prendre en compte. Mais avec une prévision de 22,8 % peut-être est-ce déjà le cas ?
toutes ces statistiques devraient à mon sens s'appuyer ou compléter la nature culturelle du FN . C'est à dire : historiquement , quels sont les idées défendues et la volonté politique du FN ?. Sont-ils racistes, fascistes, antisémites ? Quel rapport avec le flux migratoire dû à la mondialisation et l'appauvrissement des populations ? Le constat seul qui consiste à crier ou loup (ou pas) ne suffit plus . Quand on parle du FN chacun aura sa vision mais il est vrai que le stéréotype c'est " ce sont des fachos" . Malheureusement tout cela ne suffit plus pour se faire une opinion claire et objective si tant est que c'est le but recherché .
RépondreSupprimerpourriez vous m'indiquer le sondage election municipale 2014 sur salon de provence merci bcp
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