Il convient en premier lieu d’apporter une précision méthodologique. Notre modèle cherche à expliquer les déterminants des variations systématiques du score du FN. Le modèle n’a pas vocation à capturer les effets locaux lors d’une élection spécifique dans une ville spécifique. Il n’est d’ailleurs pas construit pour cela. Ainsi les variations des scores du FN dont l’origine est idiosyncratique échappent au modèle. Autrement dit, le modèle s’avère plus fiable pour estimer une tendance agrégée qu’un score par ville. En choisissant un échantillon de 56 villes, nous sommes en mesure de contrecarrer le problème récurrent lié à la prévision électorale, c’est-à-dire le nombre d’observations. En privilégiant une approche par ville plutôt que par élection, nous augmentons le nombre d’observations par élection (56 points observés) mais nous réduisons la capacité de notre modèle à saisir toutes les spécificités de campagne propres à chaque ville. A partir d’une telle spécification, nous proposons ici de simuler le score du FN au 1er tour en 2014, en intégrant des effets fixes pour chaque ville.
Ceci précisé, que faut-il retenir pour le 1er tour du scrutin du 23 mars 2014 ?
Parmi les 56 villes de notre échantillon, il n’y a pas, à notre connaissance, de listes présentées ou soutenues par le FN dans les 5 villes suivantes : Bourg-de-Péage (Drome), L’Hay-les-Roses (Val de Marne), Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), Romainville (Seine-Saint-Denis) et Saint Louis (Haut-Rhin). La précision des estimations du score du FN au premier tour des élections municipales dans ces villes sera donc invérifiable. Il est à noter cependant que celles-ci sont nettement supérieures aux 10% des suffrages exprimés nécessaires pour être présent au second tour et culminaient à 23,5 % et 27,4 %, respectivement, pour Bourg-de-Péage et Saint Louis. Ceci révèle les limites persistantes des capacités organisationnelles du FN, malgré leur progrès avéré. En effet, parmi le millier de communes de plus de 9 000 habitants, le FN n’a manifestement pas réussi à présenter des listes dans toutes celles où il disposait d’un potentiel électoral élevé en 2014.
Parmi les 51 villes restantes de notre échantillon dans lesquelles des listes FN sont en lice pour les élections municipales, l’écart entre les estimations de notre modèle et les résultats observés est variable. Par exemple, Carpentras (tableau 3) est la ville pour laquelle les scores estimés du FN sont les plus éloignés des scores observés lors des 9 élections non-municipales entre 1998 et 2012 avec un écart moyen de 7 points. Bien que l’erreur d’estimation pour les élections municipales ne soit que de 3,35%, il convient donc de prendre avec beaucoup de précaution le score estimé pour 2014 de 31,65%. Cluses, Vitrolles, Harnes, Hénin-Beaumont et Toulon sont les cinq villes pour lesquelles l’erreur moyenne d’estimation pour les élections municipales est la plus élevée (entre 11,66 et 6,38 points). A l’inverse, la ville des Sables d’Olonne est celle pour laquelle le décalage entre score estimé et score réel est le plus faible pour les élections non-municipales (0,93% d’écart moyen). L’estimation de la proportion de suffrages exprimés pour le FN en 2014 de 17,91 % doit cependant s’apprécier aussi au regard de l’erreur d’estimation moyenne des résultats aux élections municipales dans cette ville, de 2,35%.
La présente note ne discutera que les résultats des villes dont l’erreur moyenne d’estimation pour les élections municipales et les élections non-municipales est inférieure à la médiane des erreurs depuis 1998. Il s’agit des villes où, entre 1998 et 2012, aucune spécificité locale n’a affecté, de manière significative, la capacité du modèle à estimer les résultats du FN aux élections municipales et non-municipales.
Certaines villes de notre échantillon font régulièrement l’objet de sondages d’intentions de vote alors que les autres villes sont traditionnellement ignorées. Intéressons-nous dans un premier temps aux villes pour lesquelles aucun sondage n’a été publié. Le tableau 1 présente les estimations issues de notre modèle pour 10 communes. Dans un ordre croissant de fiabilité (erreur moyenne de prévision aux précédentes élections municipales), la ville de Châlons-en-Champagne connaîtrait une progression substantielle du Front National, avec un score estimé de 20,12 % au premier tour, soit peu ou prou le score de Marine Le Pen à la dernière élection présidentielle en 2012 mais un score beaucoup plus élevé que les 6,5% et 10,2 % observés en 2008 et 2001. De manière générale, les estimations pour 2014 sont élevées – entre 17,91 et 22,81% - dans toutes les villes présentées dans le tableau 1 alors qu’une seule ville atteignait les 11% en 2008 (Dunkerque). Manosque et Mantes-la-Ville sont les seules villes où le score du FN estimé en 2014 n’excède pas les plus hauts scores du FN aux élections municipales. Dans l’Aisne, à Soissons et Château-Thierry, l’estimation issue de notre modèle est près de 10 points plus élevée que les scores de 1995 et 2001. Une telle configuration se présente également, dans le Nord, à Dunkerque et à Marcq-en-Baroeul, et dans une moindre mesure, également à Troyes. A Evreux, le FN atteindrait aussi un nouveau sommet électoral pour les élections municipales. Cependant la progression apparaît plus modérée par rapport à 1995. Ainsi, si les comportements électoraux aux élections municipales suivent les mêmes logiques que celles ayant généré les scores du FN entre 1998 et 2012, ces derniers devraient être en hausse sensible dans l’ensemble des élections municipales en 2014, mais la progression du FN devrait être, paradoxalement, moindre dans les zones de force traditionnelles du FN.
S’agissant des villes où il est donc possible de comparer les niveaux estimés du FN au premier tour aux sondages d’intentions de vote, deux groupes de villes se distinguent clairement. Ces informations sont rassemblées et présentées dans le tableau 2. En premier lieu, les villes où les estimations du vote FN sont d’un ordre de grandeur peu différent à défaut d’être équivalent : les intentions de vote sont dans la fourchette de plus ou moins 20% autour de nos estimations. A Marseille, les derniers sondages indiquent une proportion de voix pour le FN autour de 22 % alors que notre prévision est de 26,1 %. A Nîmes et à Lille, avec respectivement 18 % et 17 % dans les dernières intentions de vote connues, et 22,15 % et 19,37 % pour l’estimation de notre modèle, la configuration est la même. Dans chacun de ces cas, notre estimation est, cependant, systématiquement supérieure à celle des instituts de sondage. Ce cas de figure se reproduit de manière accentuée dans le second groupe de villes pour lesquelles les deux types d’estimation diffèrent sensiblement. Les cas de Bordeaux, La Rochelle et Paris sont les plus flagrants puisque notre modèle estime un score autour de 15,5% pour le FN alors que les intentions de vote se situent entre 5 et 7 %. A Lyon et Strasbourg, les différences restent importantes : les intentions de vote s’élèvent à 9 et 11 % pour les plus récentes d’entre elles alors que notre estimation s’établit autour de 18 %. Au-delà des différences avec les intentions de vote, notre estimation situe le score du FN à ses plus hauts historiques pour les élections municipales dans ce groupe de 8 villes. La progression est plus faible pour Lyon et Marseille avec, respectivement plus 2,5 et 4 points que pour La Rochelle avec plus de 10 points de hausse. Il est important de préciser ici que notre modèle ne traite pas les villes de Paris, Lyon et Marseille par secteur mais dans leur ensemble. Or, dans la mesure où certains arrondissements sont plus sensibles au vote FN, l’agrégation des votes ne permet pas de percevoir ce phénomène.
Pour conclure, il est patent que si les comportements électoraux aux élections municipales suivent les mêmes logiques pour 2014 que celles, estimées par notre modèle, ayant généré les scores du FN entre 1998 et 2012, les scores de ce parti devraient atteindre des niveaux historiquement élevés dans l’ensemble des communes où des listes sont présentes. Les progressions estimées sont particulièrement fortes hors des zones d’implantation traditionnelles du FN, illustrant un phénomène d’homogénéisation géographique du soutien électoral frontiste.
Pour compléter ce tour d’horizon des villes où le Front National, présent depuis 1995, peut réaliser des scores élevés, signalons tous les cas (tableau 3) où notre modèle se révèle moins fiable car la marge d’erreur moyenne observée lors des précédents scrutins est supérieure à la médiane des erreurs.
Sylvain Brouard et Martial Foucault
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Le modèle de base me semble très simpliste et basé sur certains postulats illogiques : pourquoi se focaliser sur le taux de criminalité plutôt que sur le ressenti de l'insécurité, qu'on sait déconnecté du taux de criminalité réel ? pourquoi se concentrer sur la popularité du FN et ne pas du tout prendre en compte l'impopularité des autres partis, qui jouera certainement en faveur du FN pour cette élection ? Pour une estimation nationale, à la rigueur, pourquoi pas. Mais plaquer ce résultat aux villes par une simple acrobatie arithmétique (dont les tenants et les aboutissants me semblent incompréhensibles) ? sans tenir compte des contextes locaux ? On aboutit à des estimations aberrantes (Bordeaux!), généralement surestimées par rapport aux sondages. Je ne vois pas vraiment en quoi cet article est utile...
RépondreSupprimerOn attend impatiemment (nous tous sauf le commentaire précédent) le billet qui récapitule les prédictions et les scores réels !
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