Dans les deux notes publiées les
semaines passées, nous avons présenté un modèle pour estimer les scores du
Front National (FN) au premier tour des élections municipales, à partir des
résultats électoraux de ce parti, entre 1998 et 2012, dans 56 villes où le
Front National et/ou des dissidents FN avaient présenté des listes aux
élections municipales en 1995, 2001 et 2008. A l’issue de ce premier tour, il
est possible d’évaluer la qualité de nos estimations au regard des résultats
électoraux effectifs du FN à la fois au niveau agrégé et au niveau de chaque ville.
Dans les villes de cet
échantillon où le FN a présenté des listes aux élections municipales de 2014,
notre modèle estimait le score moyen du FN au premier tour de ces scrutins à
22,24%[i]
alors que celui-ci était
17,55% en 1995, 14,00% en 2001 et 8,19% en 2008. Par conséquent, nous avions
estimé un score dépassant le plus haut historique de 1995. Le score moyen
observé du FN est de 19,68 % à l’issue du premier tour. Notre estimation du
score moyen était donc supérieure de 2,56 points au score moyen réel du FN dans
la cinquantaine de communes de notre échantillon. Notre modèle avait comme
objectif principal d’expliquer les déterminants des variations systématiques du
score du FN. De ce point de vue, il a rempli sa fonction de manière
satisfaisante puisqu’il a été capable de saisir l’évolution des résultats
électoraux du FN. Les comportements électoraux au premier tour des élections
municipales en 2014 ont suivi les mêmes logiques que celles, estimées par notre
modèle, ayant généré les scores du FN entre 1998 et 2012.
Tableau 1. Scores estimés et
observés du FN aux élections municipales de 2014
Villes
|
Estimation 2014
|
Résultat 2014
|
Écart
|
Nice
|
27,24
|
15,6
|
-11,64
|
Vernon
|
22,52
|
10,89
|
-11,63
|
Vénissieux*
|
21,51
|
11,49
|
-10,02
|
Bordeaux
|
15,78
|
6,06
|
-9,72
|
Enghien-Les-Bains
|
18,05
|
8,75
|
-9,3
|
Paris
|
15,56
|
6,26
|
-9,3
|
Les Sables D'olonne
|
17,91
|
8,98
|
-8,93
|
Harnes
|
28,98
|
20,06
|
-8,92
|
Auxerre
|
18,63
|
9,77
|
-8,86
|
Alès
|
20,36
|
11,99
|
-8,37
|
Saint-Cloud
|
16,82
|
8,49
|
-8,33
|
Marcq-En-Baroeul
|
18,53
|
11,21
|
-7,32
|
Strasbourg
|
18,19
|
10,94
|
-7,25
|
Caudry
|
21,23
|
14,22
|
-7,01
|
La Rochelle
|
15,61
|
8,7
|
-6,91
|
Château-Thierry
|
21,42
|
15,66
|
-5,76
|
Mulhouse
|
27,36
|
21,85
|
-5,51
|
Vitrolles
|
29,64
|
24,44
|
-5,2
|
Troyes
|
20,98
|
15,84
|
-5,14
|
Blois
|
20,71
|
15,73
|
-4,98
|
Beauvais
|
20,65
|
15,98
|
-4,67
|
Evreux
|
19,32
|
14,84
|
-4,48
|
Roubaix
|
23,38
|
19,31
|
-4,07
|
Lyon
|
17,77
|
13,78
|
-3,99
|
Sens
|
19,77
|
15,81
|
-3,96
|
Cagnes-Sur-Mer
|
28,3
|
24,35
|
-3,95
|
Montpellier
|
17,59
|
13,81
|
-3,78
|
Aubagne
|
23,94
|
20,63
|
-3,31
|
Marseille
|
26,1
|
23,16
|
-2,94
|
Toulon
|
23,4
|
20,48
|
-2,92
|
Manosque
|
22,55
|
20,19
|
-2,36
|
Lille
|
19,37
|
17,15
|
-2,22
|
Dreux
|
15,27
|
13,45
|
-1,82
|
Lorient
|
16,36
|
14,78
|
-1,58
|
Mantes La Ville
|
22,27
|
21,66
|
-0,61
|
Nîmes
|
22,15
|
21,74
|
-0,41
|
Soissons
|
22,53
|
22,14
|
-0,39
|
Dunkerque
|
22,81
|
22,59
|
-0,22
|
Châlons-En-Ch.
|
20,12
|
20,5
|
0,38
|
Bagnols-Sur-Ceze
|
23,42
|
24,43
|
1,01
|
Lunel
|
23,28
|
24,53
|
1,25
|
La Seyne-Sur-Mer
|
24,75
|
26,27
|
1,52
|
Noyon
|
26,73
|
28,32
|
1,59
|
Carpentras
|
31,65
|
34,38
|
2,73
|
Cluses
|
28,64
|
31,41
|
2,77
|
Avignon
|
25,52
|
29,63
|
4,11
|
Six-Fours-les-Plages
|
25,18
|
29,51
|
4,33
|
Vauvert
|
25,02
|
32,61
|
7,59
|
Perpignan
|
22,72
|
34,19
|
11,47
|
Hénin-Beaumont
|
34,97
|
50,26
|
15,29
|
Béziers*
|
21,7
|
44,88
|
23,18
|
* Liste non soutenue par le FN
composée d’anciens membres du FN
** Liste soutenue par le Front
National
Même si le modèle n’avait pas
vocation à capturer les effets locaux, il est cependant possible et souhaitable
d’apprécier la qualité des estimations de notre modèle à un niveau désagrégé
pour en appréhender les forces et faiblesses. Le tableau 1 présente les
estimations, les résultats réels et l’écart entre résultat et estimation pour
chacune des villes de notre échantillon où des listes FN étaient en lice. Les
écarts s’échelonnent entre -11,64 points pour Nice et +23,18 pour Béziers. La
moyenne de la valeur absolue des écarts est 5,6 points. 31 villes présentent
des écarts entre scores estimés et observés compris entre plus ou moins 5,6
points. La qualité de l’estimation varie donc grandement entre les villes. Si
les estimations pour Dunkerque, Mantes-la-Ville, Soissons, Nîmes, Châlons-En-Champagne
diffèrent de moins d’un point des résultats, elles divergent nettement pour Paris, Bordeaux,
Enghien-les-Bains, ou Les Sables d’Olonne. Autrement dit, le modèle s’avère,
comme attendu, plus fiable pour estimer une tendance agrégée qu’un score par ville.
Néanmoins, il est intéressant de tenter d’identifier les conditions selon
lesquelles la qualité des estimations du modèle pour les différentes villes varie.
Le graphique 1 présente la valeur
de l’écart entre score observé et estimé en fonction du résultat réel du FN au
premier tour des élections municipales dans les villes de notre échantillon.
L’importance de l’erreur d’estimation est proportionnelle aux scores du FN. La
qualité de l’estimation du modèle se dégrade à la fois dans les villes où le FN
fait des scores très inférieurs à la moyenne de notre échantillon et dans
celles où ceux-ci sont très supérieurs à la moyenne de l’échantillon (ce sont
des cas types d’outliers).
Figure 1 : Niveau de l’erreur d’estimation en fonction du score du FN
Ainsi, dans les 12 villes où le
FN rassemble moins de 13% des suffrages exprimées, la surestimation des scores
du FN est en moyenne de 8,8 points. A l’inverse, lorsque le score du FN est
supérieur à 30% (6 communes), la sous-estimation des scores du FN atteint 10,5
points. Pour les 33 communes où le score du FN est dans l’intervalle [13 – 30
%], la moyenne de la valeur absolue de l’erreur d’estimation n’est que de 3,5
points. Par conséquent, le modèle est plus performant dans les 2/3 des villes
de notre échantillon où les scores du FN ne s’écartent pas trop par rapport à
la moyenne de notre échantillon. Encore une fois, nous avons la confirmation
que la spécification de notre modèle est plus performante pour capturer une
tendance globale, atténuant les sur- et sous-estimations observées par ville.
Finalement, l’abstention au 1er
tour s’est révélée déterminante dans l’évolution du rapport de force
droite/gauche. Nous avons cherché à vérifier si la percée historique du Front
National pour une élection municipale était corrélée à une démobilisation de
l’électorat. En représentant graphiquement cette corrélation (Rho de Spearman
de 0,39), qui ne vaut pas causalité, on observe nettement deux profils de
villes : les villes où le vote frontiste s’est accompagné d’une forte
participation (Bagnols sur Cèze, Châlons-en-Champagne, Hénin-Beaumont,
Carpentras et Perpignan) et celles où le vote FN s’est installé dans un
contexte de démobilisation (Manosque, Blois, Sens, Lunel). Parmi les villes où
notre modèle sous-estime le score réel du FN, la plupart d’entre elles sont
caractérisées par un taux de participation en net progrès.
Figure 2 : Progression du vote FN et participation électorale
Cette évaluation des performances
de notre modèle d’estimation des résultats du FN constitue une première étape de
travail en vue de l’améliorer pour l’appliquer aux élections européennes de mai
2014.
Sylvain Brouard et Martial Foucault
[i] Pour les 56 villes de
notre échantillon, l’estimation était de 22,8 %. Cependant, comme 5 villes
n’avaient pas de listes FN, nous ne présentons que les résultats pour les 51
villes restantes.
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