Il y a un mois tout juste, David Cameron, premier
ministre britannique réélu au mois de mai, affirmait que sa promesse de tenir
un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne serait
tenue avant la fin de l’année 2017. Cette promesse-phare de la campagne
électorale du parti conservateur constitue une nouvelle péripétie de la longue
histoire des controverses européennes qui divisent les partis britanniques
depuis plusieurs décennies. Elle a été accueillie par les eurosceptiques, en
particulier le parti UKIP, comme une victoire permettant de rendre au peuple
britannique la possibilité de s’exprimer. À cet égard, on oublie que cette
possibilité a déjà été donnée il y a quarante ans, lors d’un premier référendum
proposant un brexit. Si le contexte a
énormément évolué entre 1975 et 2015, il est intéressant de rappeler l’épisode
du premier référendum dans la mesure où certains parallèles peuvent être
identifiés.
L’appartenance du pays à la Communauté européenne n’est
jamais allée de soi et a été controversée dès le départ. Sorti victorieux de la
Seconde guerre mondiale, le Royaume-Uni ne voyait pas l’intégration européenne
comme un pilier de sa politique étrangère. Les partis conservateur et
travailliste ont immédiatement partagé des craintes à l’égard de l’idée d’une
adhésion britannique à la CECA sur l’industrie du charbon et de l’acier. En
particulier, le parti travailliste était peu enclin à faire entrer le pays dans
un marché commun dans ce secteur après avoir procédé à la nationalisation de
l’industrie du charbon et de l’acier en 1946. D’autres critiques avaient trait
aux conséquences prévisibles de la PAC pour les pratiques agricoles
britanniques et à la remise en cause des liens avec le Commonwealth et de la souveraineté nationale. Ces réticences se
traduisirent par la fondation de plusieurs organisations défavorables à
l’adhésion au sein du parti travailliste et du parti conservateur
Cette situation changea progressivement, avec la prise de
conscience du déclin du Commonwealth
et des opportunités liées au développement de relations commerciales avec les
pays européens et le gouvernement Heath obtint finalement l’entrée du pays dans
la CEE, au terme de 18 mois de négociations. En raison de la force numérique
des « anti-européens » sur les bancs conservateurs et surtout
travaillistes, le European Communities
Act ne fut ratifié par le parlement de Westminster qu’en troisième lecture,
après neuf mois de délibérations, à 301 voix contre 284. Le Royaume-Uni adhéra
à la CEE le premier janvier 1973, en même temps que l’Irlande et le Danemark.
Dans un climat général d’hostilité à l’égard du projet
européen, les travaillistes s’engagèrent dès la campagne électorale de 1974 à
renégocier les termes de l’adhésion dans sept domaines (TVA, monnaie, politique
agricole, aides aux exportateurs du Commonwealth, politique régionale et industrielle,
budget européen), mais surtout à organiser un référendum consultatif sur la
question du maintien du pays dans la CEE. Harold Wilson espérait que
l’organisation de ce référendum permettrait au Labour de résoudre ses problèmes de division interne sur les enjeux
européens, particulièrement visibles lors des débats parlementaires de 1971, de
se présenter comme plus démocratique que le parti conservateur et de se
soustraire à la responsabilité de prendre la décision finale sur la question
européenne.
L’annonce du référendum provoqua la création de deux
fédérations d’organisations transversales aux principaux partis. D’une part, Britain in Europe (BIE) rassemblait la
majorité de l’establishment politique et défendait le maintien du Royaume-Uni
dans la Communauté européenne au nom de ses retombées économiques positives.
D’autre part, la National Referendum
Campaign (NRC) prônait l’attribution exclusive des compétences législatives
et fiscales au Parlement britannique, le rejet du marché commun et le
rétablissement du libre-échange avec le reste du monde. Les bataillons du NRC étaient
formés par des eurosceptiques issus des partis travaillistes et conservateurs,
mais également du parti gallois Plaid
Cymru, du Scottish National Party,
du parti des Ulster Unionists irlandais
ainsi que de nombreux mouvements éclectiques, notamment féministes,
nationalistes ou encore communistes. Cette diversité pesa sur la capacité du
NRC à se coordonner et à définir une stratégie et un programme collectifs :
alors que la gauche rejetait le Marché commun comme une émanation capitaliste,
la droite soulignait au contraire son attachement au libre-échange et son refus
du protectionnisme. Le référendum se solda par une défaite cuisante du NRC, avec
17 millions de votes en faveur du maintien du Royaume-Uni dans la Communauté
européenne et 8 millions contre.
Deux parallèles intéressants peuvent être faits entre le
référendum de 1975 et celui qui devrait avoir lieu dans les mois à venir.
Premièrement, l’épisode de 1975 montre qu’une configuration initiale plutôt
favorable aux détracteurs de la construction européenne peut se retourner au
moment de la consultation effective, en raison de la frilosité des électeurs qui
peinent à évaluer les conséquences d’une rupture avec la communauté européenne.
La situation peut se présenter différemment en 2017, dans un contexte marqué
par une politisation bien plus forte des politiques européennes qu’il y a quarante
ans, mais cette hypothèse est déjà corroborée par des intentions de vote
déclinantes pour le UKIP à l’approche des élections générales de 2015 et par
son score effectivement sensiblement inférieur à celui obtenu lors des
élections européennes de 2014 (12.6% contre 27.5%).
Deuxièmement, le référendum est utilisé dans les deux cas
pour surmonter une crise politique à l’origine de divisions très profondes. Le
parti travailliste de Harold Wilson était en effet embarrassé par ses
controverses internes relative à la construction européenne. Le parti
conservateur de David Cameron l’est probablement encore plus. La crise de la
zone euro a catalysé les débats récurrents qui divisent les partis britanniques
au sujet de la perspective d’adoption de l’euro et plus généralement des
propositions de revoir les modalités d’implication du pays dans l’UE :
cette question divise les partis entre eux, notamment du fait de l’émergence
spectaculaire de UKIP dans le paysage partisan, mais aussi en leur sein et à
l’intérieur de la coalition gouvernementale libérale-conservatrice qui était au
pouvoir jusqu’en mai. Le parti travailliste connait, lui, la cohabitation du courant modernisateur, qui
s’était historiquement structuré autour de Tony Blair, favorable à l’adoption
de l’euro, et des courants influents, situés plus à gauche et plus critiques à
l’égard de la monnaie unique.
Le Labour
semble pourtant presque cohésif lorsqu’on le compare au parti conservateur. Avant
même le début de la crise, notamment en réaction à des pressions internes et à
l’affirmation de UKIP, les Tories évoluent
vers une position plus critique à l’égard de l’UE. Les courants eurosceptiques
du parti conservateur obligent David Cameron à leur faire des concessions. En
2009, c’est en réponse à leur indignation suite à l’abandon de l’exigence d’une
ratification du traité de Lisbonne par référendum, que le leader annonce son
intention de travailler à « rapatrier » certaines compétences transférées à
Bruxelles, assurant qu’il n’hésiterait pas, en tant que premier ministre, à
faire usage de son véto pour bloquer les négociations du budget communautaire
si ses revendications n’étaient pas satisfaites. Ce thème est repris lors de la
campagne électorale de 2010 et articulé avec un discours critique à l’égard des
mesures d’austérité prônées par les institutions européennes. La division du
parti conservateur devient explicite à partir du moment où il prend le pouvoir
et doit s’impliquer dans les politiques européennes. David Cameron, critiqué
pour avoir consenti une augmentation du budget communautaire quelques mois
seulement après son élection, voit sa situation se fragiliser encore au mois de
mai 2011, lorsque le parti travailliste envisage une alliance avec les tories eurosceptiques afin d’imposer la
réduction des contributions britanniques aux plans de sauvetage des pays
européens surendettés. Le gouvernement répond à la fronde qui fait range dans
ses rangs en faisant adopter le European
Union Act 2011 qui conditionne toute réforme des traités communautaires à
un référendum, mais la révolte gagne en intensité tout au long de son
mandat : pétition de plus de 100 000 signatures en faveur d’un référendum
sur l’appartenance à l’UE, puissante révolte parlementaire des Tory Rebels, dont les rangs grossissent rapidement,
et qui n’hésitent pas à enfreindre les consignes du parti, tensions fortes à
chaque vague de négociation relative à la gestion de la crise économique et
financière. David Cameron ne parvient pas à désamorcer ces tensions. Il s’efforce
malgré tout de limiter l’influence de l’UE et d’initier des réformes et finit
par se résoudre à faire du référendum sur le brexit une promesse électorale. Comme dans le cas du gouvernement
Wilson, il s’agit de trancher définitivement la question afin de pouvoir
l’évincer de l’agenda politique et de retrouver une cohésion de façade.
En 1975, cette stratégie s’était révélée payante à court
terme pour le leadership des partis
de gouvernement, mais n’avait pas permis de refermer durablement les lignes de
faille formées autour des questions européennes. Le niveau d’attention publique
et médiatique dont faisaient l’objet ces questions est retombé suite au
référendum, mais les eurosceptiques sont restés puissants dans les rangs du
parti travailliste jusqu’à l’avènement de Tony Blair et les divisions sont
allées croissantes au sein du parti conservateur, malgré les concessions faites
par Margareth Thatcher à la fin des années 1980. La fronde des députés
conservateurs, abondamment couverte dans les médias, a culminé lors de la
ratification du traité de Maastricht, particulièrement ardue – ce processus a
pris plus d’un an, 70 votes et 61 débats totalisant plus de 210 heures ! –
et le premier ministre John Major ne s’est jamais remis de cette contestation.
Ces divisions se sont atténuées une fois le vote final passé, mais ont été
ravivées régulièrement à l’occasion des vagues de négociation relatives à la
création de la monnaie unique et aux débats sur la participation du
Royaume-Uni. Cet épisode ne donne pas à penser que la tenue d’un référendum
suffira pour résorber les divisions partisanes et les questions européennes
pourraient, à terme, donner lieu à de profondes recompositions du système de
partis britannique.
Isabelle Guinaudeau
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