La dégradation du niveau de confiance des
Français, telle qu’observée depuis 2009 par le Baromètre de la Confiance
Politique du CEVIPOF, interroge sur les nombreux ressorts à l’œuvre. Parmi eux,
à l’instar des enquêtes mondiales du World Values Survey, la dimension
culturelle propre à chaque pays semble la première explication à avancer. Or le
niveau d’éducation, la position professionnelle, la religion, le statut marital
expliquent certes des degrés de confiance variables mais ne permettent pas
d’expliquer pourquoi un Français a 29% de chances de faire moins confiance aux
autres qu’un citoyen Suédois de même sexe, même âge, même religion et même
orientation politique (La société de
défiance de Y. Algan & P. Cahuc, 2007). Cela revient à dire que les
écarts de culture dominent largement les caractéristiques propres aux individus
qui vivent dans ces pays.
Toutefois, cette réponse mérite un
approfondissement sur le terrain des attitudes individuelles. Parmi toutes les
raisons qui peuvent être avancées, la prédisposition des Français vis-à-vis du
risque, de la prise de risque, n’a jamais réellement été prise en compte comme
un déterminant de la confiance interpersonnelle c’est-à-dire la capacité d’une
personne à s’en remettre à une autre pour des relations sociales. En revanche,
un grand nombre d’expérimentations ont permis d’établir l’influence du niveau
de risque dans les décisions économiques.
Mesurer l’aversion au risque
Dans la vague 6 du baromètre CEVIPOF, deux
questions ont été introduites pour tester le niveau d’aversion au risque. La
première interroge les Français sur la décision à prendre face au scénario
suivant « Lors
d'un jeu de hasard, vous gagnez une somme d'argent correspondant à un mois de
vos revenus. En
rejouant, vous avez 50 % de chances de doubler cette somme et 50 % de chances
de perdre un tiers de cette somme. Acceptez-vous cette première possibilité ? ». 68 % des
Français interrogés déclarent refuser cette proposition et conserver la mise
initiale tandis que 31 % acceptent de prendre le risque (une chance sur deux)
de doubler la somme de départ. Parmi ces personnes dites « risquophiles »,
une seconde proposition leur est soumise : « Cette première offre n’est plus disponible. On vous propose
une deuxième possibilité qui vous donne 70% de chances de doubler votre gain et
30% de tout perdre. Acceptez-vous ? ».
A cette question, les réponses sont partagées
puisque 49% des répondants acceptent l’offre tandis que 51% la refusent. A
l’aide de ces deux questions, une échelle d’aversion au risque permet de
discriminer les personnes fortement averses au risque (68 %), modérément
averses (16%) et faiblement averses (16%).
Un premier enseignement se dégage d’une
analyse simple de la sociologie des répondants. L’éducation et le genre sont
sources d’attitudes contrastées vis-à-vis du risque. En moyenne, les hommes
(21%) adoptent une position plus « risquophile » que les femmes (11%)
tandis que les plus diplômés (niveau supérieur au Bac) sont deux fois plus
nombreux (19% vs. 9%) que les sans diplôme à préférer prendre des risques. A
l’inverse, il n’existe pas de différence significative d’attitudes vis-à-vis du
risque selon l’appartenance idéologique ou l’âge.
Sociologie
des risquophiles vs. Risquophobes (% de répondants)
Faible aversion au risque
(risquophiles)
|
Aversion modérée
|
Forte aversion au risque
(risquophobes)
|
|
18-34 ans
|
18
|
22
|
60
|
35-49 ans
|
17
|
15
|
68
|
50 – 65 ans
|
14
|
11
|
75
|
+ 65 ans
|
14
|
14
|
72
|
Femmes
|
11
|
13
|
76
|
Hommes
|
21
|
18
|
61
|
Gauche
|
16
|
17
|
67
|
Centre
|
19
|
20
|
62
|
Droite
|
16
|
17
|
67
|
Ni gauche, ni
droite
|
14
|
12
|
75
|
Sans diplôme
|
9
|
15
|
76
|
BEP/CAP
|
11
|
8
|
81
|
Bac.
|
15
|
15
|
70
|
Sup. au bac.
|
19
|
20
|
61
|
Source: Baromètre de la confiance politique, CEVIPOF (vague 6), 2014
Confiance des risquophiles et méfiance
des risquophobes
Cette prédisposition face au risque
affecte-t-elle la confiance interpersonnelle des individus ? Pour y
répondre, étudions les réponses à la question suivante : « D’une manière générale,
diriez-vous que ? 1- On n'est jamais assez prudent quand on a affaire aux
autres. 2- On peut faire confiance à la plupart des gens ». Environ 75% des français interrogés adoptent une attitude de
méfiance ou de prudence dans des rapports sociaux et seuls 25% affichent
spontanément une attitude de confiance. En associant cette mesure de la
confiance avec le degré d’aversion au risque, il ressort une association forte
entre des « risquophobes » peu confiants et des « risquophiles »
plus confiants.
De nouveau, un clivage entre les femmes et les
hommes apparaît sur le terrain de la confiance. On observe un écart de 10
points de pourcentage entre une attitude générale de méfiance des femmes (79%
de l’échantillon) et des hommes (69%). Dit autrement, parmi les personnes
confiantes, 42 % sont des femmes et 58 % des hommes. Parmi les personnes
méfiantes, 55% sont des femmes et 45 % des hommes.
Fait plus intéressant, un tel clivage
s’accentue en distinguant les trois profils d’attitude vis-à-vis du risque. Le
niveau de confiance atteint un seuil élevé pour les personnes faiblement ou
modérément averses au risque et chute à moins de 20% pour les risquophobes
(dont 15% pour les femmes). L’écart entre hommes et femmes ne cesse de se
creuser au fur et à mesure que le niveau d’aversion au risque progresse (écart
de 2 points pour un niveau faible d’aversion contre 10 points pour une forte
aversion).
Une deuxième dimension apparaît comme particulièrement
clivante. Si l’identification idéologique ne permet pas d’opérer une
distinction marquée sur le niveau de confiance selon le degré d’aversion au
risque, il existe une relation forte entre idéologie et confiance. En effet, la
figure ci-dessous indique qu’au fur et à mesure que l’on avance sur un
continuum gauche-droite, le niveau de méfiance des Français s’accroit. Sans
tenir compte du niveau de risque, les Français de gauche sont globalement plus
confiants que ceux de droite. Mais une fois prise en compte l’aversion au
risque, l’écart entre gauche et droite s’accentue pour les Français « risquophobes ».
Autrement dit, un individu se positionnant à droite
a deux fois plus de chances d’être confiant vis-à-vis des autres si son aversion
au risque est faible. A l’inverse, une personne s’identifiant à gauche a
sensiblement le même niveau de confiance quelle que soit son attitude vis-à-vis
du risque. Fait intéressant, l’écart gauche-droite atteint son apogée pour les
Français modérément averses au risque (qui se situent entre
« risquophobes » et « risquophiles ») puisque 55% des
sympathisants de gauche se déclarent méfiants vis-à-vis des autres contre 83%
des sympathisants de droite.
Idéologie et aversion au risque pèsent sur la méfiance
Pour illustrer l’impact de l’aversion au
risque sur le niveau de confiance interpersonnelle, nous avons mesuré la
probabilité d’être confiant en fonction de plusieurs critères sociologiques.
Pour lire simplement cette figure, l’ensemble
des points situés à droite de 0 correspondent à des facteurs influençant
positivement la probabilité d’être confiant vis-à-vis des autres, et
inversement pour les points situés à gauche de 0. Par exemple, par rapport aux
jeunes de 18-24 ans, plus l’âge augmente, plus le niveau de confiance croît. Ce
résultat confirme un autre résultat observé dans ce Baromètre où la capacité de
se projeter dans l’avenir demeure limitée en France chez les plus jeunes. Finalement,
appartenir à la classe d’âge des 65 ans et plus augmente de 20% la probabilité
d’être confiant par rapport à un Français âgé de 50 à 64 ans. Le niveau
d’éducation agit de la même manière : plus le diplôme est élevé, plus la
probabilité d’être confiant augmente significativement. A l’inverse, deux variables
jouent à contre-courant et réduisent le niveau de confiance :
l’identification idéologique et le degré d’aversion au risque. Les répondants
s’identifiant à droite (42% de l’échantillon) ont 20% de chances
supplémentaires d’être défiants vis-à-vis des autres par rapport aux personnes
s’identifiant à gauche ou au centre. Enfin, quelque soit le profil sociologique
des répondants, l’aversion au risque agit comme un facteur significatif et
discriminant sur le terrain de la méfiance. Comparativement à une personne démontrant
un « goût » pour le risque, être averse au risque réduit de 6% la
probabilité d’être confiant vis-à-vis des autres. En résumé, l’aversion au
risque renforce le clivage gauche-droite soulignant que pour un même niveau de
tolérance vis-à-vis du risque, les électeurs de droite sont plus méfiants que
ceux de gauche.
Cette note met en évidence l’importance des
attributs de nature psychologique, tel que le degré d’aversion au risque, sur
le niveau de confiance interpersonnelle. Ce résultat suggère désormais de
vérifier si les institutions politiques françaises conditionnent ou non la
prise de risque dans des décisions économique et sociale.
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