Ségolène Royal, la Ministre de
l’Environnement, a annoncé, le 9 octobre dernier, le report sine die – autant dire l’abandon – de la
taxation des transports routiers polluants : l’écotaxe. Cette mesure devait
dissuader les transporteurs de passer par la route tout en apportant une source
de financement pérenne aux projets de transports en commun, dans un contexte
général de contraction budgétaire.
Son abandon est surprenant à première
vue, dans la mesure où l’écotaxe représentait l’une des rares politiques
environnementales sur lesquelles la plupart des acteurs politiques étaient
d’accord. Elle était en effet partie intégrante des engagements du Pacte
écologique de Nicolas Hulot, que Ségolène Royal – ironie de l’histoire – et
Nicolas Sarkozy avaient signé en grande pompe au cours de la campagne pour
l’élection présidentielle de 2007. Elle a par la suite constitué l’une des
décisions phares du Grenelle de l’environnement. Enfin, sa mise en œuvre
concrète a été votée de façon consensuelle à l’Assemblée nationale en 2009 :
les députés UMP, aujourd’hui remontés contre cette mesure, l’avaient voté à
l’unanimité, soutenant le projet de loi gouvernemental ; les députés PS,
pourtant dans l’opposition, ne trouvaient alors rien à redire à la délégation
de la collecte de l’impôt à l’entreprise Ecomouv.
Comment expliquer l’échec d’une politique apparemment si consensuelle ?
Trois explications peuvent être
avancées.
Premièrement, la mobilisation des
« bonnets rouges » au début de l’année 2013 – date théorique de sa
mise en œuvre – avait déjà obtenu le report de la mise en œuvre concrète de la
taxe et l’exemption de la Bretagne du dispositif. L’argument défendu par ces
derniers était assez simple : l’écotaxe, en renchérissant le prix du
transport, allait nuire à la compétitivité d’une région spécifique, la
Bretagne, pour deux raisons. D’une part, le modèle économique breton repose
largement sur l’exportation de produits agricoles. Le pourcentage d’emplois dans
le secteur primaire est deux fois plus élevé que dans le reste de la France, et
l’industrie agroalimentaire constitue le premier secteur industriel de la
région. D’autre part, les autoroutes bretonnes étant exemptées de péages, la
mise en œuvre de l’écotaxe allait affecter le coût du transport en Bretagne
plus que dans les autres régions. Or, la Bretagne est un bastion électoral du
Parti socialiste depuis plus de 30 ans (François Hollande y avait obtenu plus
de 56% des suffrages) et nombre des parlementaires et ministres socialistes
originaires de la région se sont faits les porte-voix, au sein de la majorité
gouvernementale, des revendications des « bonnets rouges.
Deuxièmement, l’échec de la mise en
œuvre de l’écotaxe poids-lourds s’explique les fluctuations des grands partis
français face à l’écologie. D’une part, UMP et PS accordent en moyenne, une
attention assez faible à l’environnement. C’est ce dont dont témoigne le
Graphique 1 ci-dessous, qui montre bien que la place laissée à l’environnement
dans les programmes électoraux des deux principaux partis est nettement plus
faible en France que dans les autres pays de l’OCDE et de l’Union européenne.
Elle est plus de deux fois plus faible qu’en Allemagne, et même légèrement plus
faible qu’au Royaume-Uni, dont les partis ne sont pourtant pas connus pour être
particulièrement favorables à la protection de l’environnement.
Sources : Comparative Manifestos
Dataset
De même, l’attention accordée à
l’environnement par les grands partis français est très fluctuante, comme en
témoigne le Graphique 2 ci-dessous. En effet, si l’on constate indubitablement
une tendance à l’augmentation de la place laissée aux questions d’écologie, les
oscillations de la saillance de l’environnement dans les programmes sont la
norme. Elles témoignent de l’absence de transformation doctrinale profonde des
grands partis de gouvernement français vis à vis de ces questions. Il est
impossible de dire qu’un parti, plus qu’un autre, s’est saisi de ces questions.
Cette situation rend d’autant plus facile les retournements de position des
acteurs politiques, dont l’abandon de l’écotaxe témoigne de manière crue.
Sources : Comparative Manifestos Dataset
Ainsi, les députés UMP ont commencé à
critiquer le gouvernement socialiste, qui ne faisait pourtant que mettre en
œuvre une décision prise par le gouvernement précédent, dès le début de la
mobilisation des « bonnets rouges ». Ce phénomène est renforcée parce
que l’alternance politique, caractéristique des régimes majoritaires comme la Vème
République, a la double conséquence de transformer le rapport
opposition/gouvernement en un jeu de rôle – on s’oppose par principe – et de
dédouaner les partis politiques de leurs responsabilités passées. Cela explique
la faible continuité des politiques environnementales françaises, qui de par la
nature des enjeux en question, impliquent un engagement politique sur le long
terme. Le jeu de la démocratie majoritaire et les fluctuations idéologiques des
partis empêchent donc la cohérence et la stabilité des politiques
environnementales Ainsi, on peut légitimement se demander ce qu’il adviendra de
la décision prise par l’Assemblée nationale, au moment même où Ségolène Royal
abandonnait l’écotaxe, de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique
français des 75% actuels à 50% en 2025. Une telle promesse, qui engage le moyen
et long terme, survivra-t-elle à la probable alternance de 2017 ?
Enfin, la réticence des partis de
gouvernement à mettre en œuvre des politiques environnementales efficaces
s’explique par la nature des biens environnementaux – l’air, l’eau, la
biodiversité… Ces biens constituent des biens communs, dont Elinor Ostrom, une politiste qui a reçu le prix Nobel
d’économie en 2009, a
expliqué la difficile gouvernance (un de ses principaux ouvrages sur le
sujet a été traduit en
français en 2010). Ils ont la spécificité d’être non exclusifs et rivaux. Ce
sont des biens non exclusifs puisqu’il est difficile, voire impossible
d’empêcher une certaine catégorie d’acteurs d’en jouir ; ce sont des biens
rivaux car la consommation d’une unité de ces biens par un membre du groupe
supprime ou réduit la disponibilité de ce bien pour les autres. Ainsi, il est
impossible d’interdire de bénéficier des biens communs que sont un climat
stable ou un air de qualité (ce sont des biens non exclusifs), mais le
développement du transport routier, par exemple, réduit la disponibilité de ces
biens communs pour la majorité des Français (ce sont des biens rivaux). Pour la
majorité des individus, le développement du transport routier dégrade la
qualité de l’air et la stabilité du climat, sans contreparties bénéfiques.
Le problème, c’est que le gain
individuel apporté par la mise en œuvre de l’écotaxe pour tous ceux qui
bénéficieraient d’un air moins pollué et d’un climat moins instable est
beaucoup plus faible que la perte individuelle engendrée par l’écotaxe pour les
transporteurs routiers. En clair, quand le gouvernement met en place une
politique de type écotaxe, les gagnants sont très nombreux, mais ont
l’impression de gagner peu. Au contraire, les perdants sont peu nombreux, mais
perdent beaucoup. Et des perdants qui perdent beaucoup, aussi peu nombreux
soient-ils, ont une capacité bien supérieure à influencer la prise de décision
politique que des gagnants qui gagnent peu, aussi nombreux soient-ils. Tant que
les grands partis de gouvernement ne sentiront pas une pression accrue de
citoyens demandant des politiques environnementales, les fluctuations
stratégiques, qui mènent à l’abandon de l’écotaxe, devraient continuer.
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