Il y a
trois mois, j’avais écrit sur ce blog que lorsque l’extrême droite gagne c’est
au détriment de la gauche. Récemment, Nora Berra, une proche de Nicolas Sarkozy
a twitté : "À chaque fois que le
Front national est fort, ce sont les socialistes qui sont au pouvoir".
Trois jours après, le journaliste du Monde Matthieu Jublin soulignait la fausseté de cette affirmation, en montrant, chiffres à l’appui, que l’évolution
du vote FN n’est pas dépendante de qui gouverne. A cette occasion, j’ai reçu
plusieurs e-mails qui m’ont demandé, à juste titre, ce qu’il en est.
Avant de répondre, je vais
brièvement résumer la différence essentielle entre ce que j’avais montré et la
thèse contenue dans le tweet. Ma thèse est que les partis de gauche et
d’extrême droite partagent une vocation à protéger les citoyens défavorisés
contre les grandes menaces économiques. Lorsque les citoyens se sentent menacés
économiquement, ils se tournent donc vers la gauche ou l’extrême droite. Or, lorsqu’ils
se ne sentent pas protégés économiquement sous un gouvernement de gauche, ils
tendent à se tourner davantage vers l’extrême droite. L’extrême droite, donc,
profite plus d’une gauche décevante que d’une droite décevante.
Il faut également noter qu’un
raisonnement analogue peut s’adapter à d’autres enjeux. Prenons, par exemple,
les enjeux sécuritaires. Les partis de droite et d’extrême droite promettent la
diminution du crime. Sur ce point, l’extrême droite tend à bénéficier davantage
des échecs de la droite, que de la gauche.
Ce que je soutiens, au final,
est que le FN tend à concurrencer davantage la gauche parce que la protection
économique est un enjeu prioritaire pour une large majorité de citoyens, par
rapport à d’autres enjeux, comme la protection contre le crime.
Est-ce que cela signifie que
quand le FN est fort, les socialistes gouvernent, comme l’affirme Nora Berra ?
Oui et non.
Non, parce que le FN peut parfois
bénéficier des échecs de la droite. Par exemple, sa plus grande percée sous un
gouvernement de droite est sous la présidence Sarkozy, dont la
campagne avait particulièrement insisté sur l’enjeu du crime. Il est d’ailleurs
fort de café que ce soit la vice-présidente de l’association des Amis de Nicolas
Sarkozy qui ait adressé à la gauche une telle critique.
En revanche, une partie de
l’affirmation est correcte : le FN tend à percer plus sous la gauche que
sous la droite. C’est ce que je vais montrer maintenant.
Prenons d’abord les
législatives. Depuis 1981, le FN augmente son score en moyenne de 3 points de
pourcentage après une majorité de gauche, alors que l’augmentation est de 1
point après une majorité de droite. A noter que parmi les gouvernements de
gauche, seul celui de cohabitation de Lionel Jospin a été suivi d’une baisse du
vote FN en 2002 (eh oui, aux législatives, il a baissé). Or, si l’on exclut du
calcul les gouvernements qui étaient en cohabitation, la tendance moyenne des
scores du FN après un gouvernement/président de droite est très légèrement à la
baisse, alors qu’après un gouvernement/président de gauche, le FN gagne en
moyenne 6 points de pourcentage.
Maintenant, prenons les
présidentielles. Lorsque François Mitterrand prend la présidence en 1981, le FN
n’arrive même pas à 1% des voix. Lorsque Mitterrand quitte le pouvoir en 1995,
le FN est à 15%. En 2012, à la fin de la période des présidences de droite Chirac
et Sarkozy, le FN est à 18%. Il a donc
augmenté encore, mais relativement peu par rapport à la première période socialiste.
Maintenant, il faudra attendre l’élection de 2017 pour voir ce qui se passera
après une nouvelle présidence socialiste. Pour le moment, les sondages prédisent un score du FN qui avoisinerait les 25%.
L’analyse des élections
européennes confirme également cette tendance, comme je l’ai montré dans mon
billet de juin. En moyenne, lorsque ces élections ont lieu sous un gouvernement
de droite, le score du FN ne bouge pas par rapport à l’élection précédente. En
revanche, le FN gagne 6 points en moyenne lorsque la gauche gouverne.
Bien sûr,
toutes ces analyses se fondent sur un nombre faible d’élections. Mais même avec
cela, il est possible de voir des faits qui reviennent avec régularité. Le problème de l’article de Matthieu Jublin est qu’il mélange
les élections ; or, une présidentielle ne « vaut » pas une
européenne, parce que les enjeux sont différents et la participation n’est pas
la même. En analysant par type d’élection et en portant l’attention sur les
moyennes, plutôt que sur les fluctuations, un lien empirique entre gouvernement
socialiste et montée du FN apparaît clairement.
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