Depuis 1979, huit élections européennes se sont succédées. Au départ, l’extrême droite avait récolté bien peu. Le « Parti des forces nouvelles », tombé depuis dans l’oubli, prenait alors 1,35% des voix. Aujourd’hui, le Front national avoisine les 25%. Au détriment de qui s’est faite cette percée ?
Quand on observe les choses de près, électeur par électeur, il
apparaît qu’en 2012, le second parti préféré des sympathisants UMP était le FN,
et le second parti préféré des frontistes, était l’UMP. Dans
les enquêtes il n’y a donc pas de doute : la compétition se joue principalement
au sein de la droite*.
Seulement, lorsqu’on prend de la distance, les choses ne
semblent pas tout à fait être aussi claires. Prenons trois grands blocs :
les partis de gauche, ceux de la droite modérée et ceux d’extrême droite. La
figure ici-bas compare l’évolution des pourcentages des votes de la droite
modérée et de l’extrême droite aux élections européennes. Il y a bien une sorte
de concurrence : dans six cas sur huit, l’augmentation de l’un correspond
à la baisse de l’autre. Néanmoins, l’ampleur des gains de l’un reste assez
différente de l’ampleur des pertes de l’autre.
Comparons maintenant le chemin parcouru par l’extrême droite
avec celui de la gauche. Ici également,
dans six élections sur huit, quand l’un perd, l’autre gagne. Mais de plus, on
peut observer que les gains (en termes de pourcentage) de l’un ressemblent
beaucoup aux pertes de l’autre. En fait, en regardant les résultats sur le long
terme, l’extrême droite semble être plus en compétition avec la gauche qu’avec
la droite.
Un outil moins intuitif et plus mathématique permet de s’en
convaincre. L’écart-type de l’évolution de la somme des scores des deux blocs
permet de mesurer la compétition entre ces blocs. Si l’écart-type est de 0, alors
les voix qu’un bloc gagne, sont perdues par l’autre. Cela signifie que la
compétition entre ces deux blocs est parfaite. En revanche, plus l’écart-type
est grand, moins l’on peut dire que les voix perdues de l’un iront à l’autre. Donc,
de grands écart-types indiquent une concurrence faible.
Or, l’écart type obtenu par la somme des voix de la gauche
et de la droite modérée est de 7,1. Celui obtenu par la somme de la droite modérée
et l’extrême droite est de 4,8. Et finalement, l’écart-type obtenu après avoir
additionné les scores de la gauche et de l’extrême droite est de 2,4, soit deux
fois plus faible que le précédent. Autrement dit, en termes de concurrence
électorale, ce sont la gauche et l’extrême droite qui se partagent un pourcentage
de voix relativement stable.
Quelle est la raison ? L’hypothèse la plus intuitive
est que ce sont les mêmes électeurs qui hésitent entre la gauche et l’extrême
droite. Bien sûr, des électeurs de ce type existent. Mais, comme je l’ai dit
plus haut, aucune enquête sérieuse ne confirme une hésitation massive entre ces
deux blocs. Une deuxième possibilité est que lorsque les électeurs de gauche
décident de s’abstenir, les frontistes votent, et vice-versa. Il est vrai que l’abstention étant forte aux
élections européennes, un phénomène de ce genre n’est pas impossible. Enfin, il
est possible qu’il y ait des périodes de droitisation, où tous les électeurs
tendent à voter un peu plus à droite que d’habitude. Les électeurs de gauche,
votent au centre, et ceux de droite à l’extrême droite. La thèse de la
droitisation est tentante. Mais elle est la moins
convaincante. Voici pourquoi.
Premièrement, tout porte à croire que les succès de
l’extrême droite arrivent dans les périodes où les citoyens veulent des
politiques « de gauche ». En effet, les élections où les partis de
gauche ont eu le pourcentage le plus élevé sont celles juste avant une grande
défaite, 1979 et 2009. Pendant ces mêmes périodes, la gauche gagne les
élections présidentielles et législatives, respectivement en 1981 et 2012. Les
succès de l’extrême droite suivent donc des grands succès de la gauche.
Par ailleurs, ce qui caractérise ces deux gouvernements de
gauche – celui du début des années ’80 et celui actuel - est d’avoir pratiqué
une redistribution bien inférieure à celle annoncée à cause des équilibres
économiques internationaux, notamment le système monétaire européen. Ces
gouvernements se sont trouvés face au dilemme caractéristique de la gauche
européenne : la difficile conciliation entre l’internationalisation et la
redistribution. Faute d’avoir réussi à concilier ces deux impératifs
« socialistes », les électeurs en demande de redistribution – qu’ils
soient de gauche ou de droite – se tournent vers les partis qui rejettent
l’internationalisation (ou vers l'abstention).
Cette dynamique n’est pas nouvelle. Le plus grand succès
électoral de la gauche (sociaux-démocrates et communistes) pendant l’Allemagne
de Weimar fût enregistré en 1928. Juste avant la montée du national-socialisme.
Et tant que la gauche ne trouve pas comment concilier internationalisation et
redistribution, il y a des chances de continuer à observer des phénomènes
semblables.
* Voir par exemple J. Gerstlé et R.Magni-Berton (2014) 2012: La campagne présidentielle. Observer les médias, les électeurs,
les candidats. Paris. Ed. Pepper-L’harmattan.
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Xavier Bertrand et Nora Berra ont tenu en 2013 et en 2014 des propos qui vont dans le sens de votre analyse. Seulement, celle-ci omet des résultats électoraux qui vont dans le sens contraire : je vous invite à consulter cet article des Décodeurs du Monde.
RépondreSupprimerhttp://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/09/22/le-fn-fait-il-de-meilleurs-scores-quand-la-gauche-est-au-pouvoir_4492211_4355770.html
Bonjour Kevin, j'ai répondu eux textes des Décodeurs dans un nouveau billet du 2 octobre
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