mercredi 4 juin 2014

Européennes : on a récompensé les absentéistes

Les élections européennes de dimanche dernier ont été interprétées quasi-unanimement, en France comme ailleurs, comme la victoire de partis populistes eurosceptiques. Comme l’a relevé le fondateur de UKIP, le parti eurosceptique britannique, Alain Sked, il y a une certaine contradiction à remporter un succès lors de l’élection d’une institution dont on met en cause l’existence même. Pour suivre le raisonnement de Sked, qui a quitté UKIP en 1999, il serait alors normal de ne pas siéger au Parlement européen et de reverser son salaire au National Health Service (l’équivalent de notre sécu). Et pourtant, il y a peu de chances que les 23 députés UKIP fraîchement élus suivent son conseil : ils risquent fort de ne pas siéger, mais ils se garderont bien de reverser leurs salaires.
Qu’en est-il ailleurs en Europe ? Qu’en est-il en France ? Et, plus important, est-ce que les électeurs sanctionnent l’absentéisme européen ? La réponse est malheureusement prévisible. En France et en Europe, on tend à récompenser les absents, plutôt que ceux qui prennent leur mandat électoral européen au sérieux.
Depuis des années, le site www.votewatch.eu enregistre toutes les activités des députés européens. Ceux-ci se sont régulièrement plaints des sites faisant ce type d’enregistrement. Il est vrai que la quantité d’amendements déposés n’est guère un bon indicateur de la qualité du travail réalisé, comme on l’apprend de l’Assemblée nationale en France. Les chiffres sont néanmoins parlants. Votewatch enregistre six types d’activités : les rapports parlementaires rédigés, les opinions écrites, les amendements, les questions parlementaires, les signatures de déclarations et de motions de résolutions. Ces activités sont accessibles à tous les députés européens, contrairement, par exemple, à celle de rapporteur sur une proposition de directive, qui est nommé par la commission parlementaire responsable, rôle qui échoit en général à un membre des grands partis centristes. Pour toutes les activités retenues ici, les députés n’ont pas besoin d’obtenir un quelconque soutien de leurs pairs. Cependant, toutes ces activités ne représentent pas le même effort : la rédaction d’un rapport, d’une opinion ou d’un amendement représente un effort plus important, bien sûr, qu’une question ou une signature. Néanmoins, pour faciliter la lecture, nous avons simplement additionné les activités par député pour obtenir des moyennes par groupe parlementaire et parti.
Le graphique ci-dessous présente l’activité moyenne par député appartenant à chaque parti ou groupe (en ordonnée), comparée à l'évolution du nombre de sièges entre les élections de 2009 et celles de 2014 (en abscisse). A gauche, on voit le bilan des partis français, à droite celui des partis européens.
L’information sur la France est assez parlante. Les députés français ne brillent pas par leur activisme dans l’hémicycle européen, mais les trois députés FN sortants n’ont, pour ainsi dire, pratiquement rien fait pendant leur mandat. Ce n’est manifestement pas ce qui a motivé le vote des Français, confirmant, une fois de plus, le statut d’élection de second ordre des élections européennes. Le FN a gagné 21 sièges par rapport aux élections de 2009.
Sauf pour les « libéraux » (en l’occurrence, les 6 députés sortants du Modem), les députés Français se situent nettement en-dessous de la moyenne européenne en termes d’activité. Or tous les autres partis ont perdu des sièges par rapport à 2009. UDI-Modem n’existait pas en 2009, même s’ils semblent gagner un siège, le Nouveau Centre avait trois députés en 2009. Ensemble Modem et NC comptaient 9 siège, c’est-à-dire deux de moins que ce que la liste commune vient d’obtenir.
Et pourtant, en regardant le graphique à droite, les députés du groupe d’extrême-droite « Europe Liberté et Démocratie » (ELD) sont les plus actifs, d’après les données « votewatch », suivis par les libéraux de l'ALDE. Le FN, lui, était « non inscrit » (NI) au cours de cette période, c’est-à-dire le groupe qui gagne le plus de sièges, en attendant la possible création d’un nouveau groupe d’extrême droite à l’initiative du FN. Les non inscrits font partie des groupes les moins actifs et sont les plus grands gagnants par rapport à 2009, notamment grâce aux scores du FN et du Mouvement 5 Etoiles italien.
De manière générale, les groupes européens n’ont pas non plus été compensés pour leur activisme au Parlement. Le Parti socialiste européen (PSE) s’en sort plutôt bien, avec un léger gain de sièges malgré un activisme moyen relativement faible de ses députés.
En somme, et en France et en Europe, ça ne paie pas vraiment de prendre son mandat électif au sérieux et de représenter les intérêts de ses électeurs dans l’enceinte européenne.
Il est fort probable que les choses ne se passent pas très différemment, au niveau national. Le lien aux députés y est sans doute plus fort qu'au niveau européen, où les électeurs ne connaissent pas vraiment leurs députés. Mais même au niveau national, c'est tout de même la politique nationale qui détermine, pour l'essentiel, les résultats électoraux, plutôt que le travail réalisé par le député au Parlement1.

Emiliano Grossman

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1 L'excellent site www.nosdeputes.fr de l'association Regards citoyens permet d'avoir une idée du travail des députés français.

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