Un enjeu central des
élections européennes du 25 mai est certainement celui du score des
partis protestataires. En France, les sondages prédisent un franc
succès du FN, qui deviendrait le second parti français au Parlement
européen, loin devant le PS. Mais qu'en est-il ailleurs? Jusqu'à
présent, les succès de l'extrême-droite sur le plan européen sont
restés limités, malgré le statut d'élection de second ordre. En
outre, les partis en question restent divisés et cela ne risque pas
de changer dans un futur proche.
Une extrême-droite
très diverse
Malgré le contexte de
crise économique, les dernières élections européennes en 2009
n’avaient pas confirmé l’attente d’une sanction des partis au
pouvoir : elles avaient marqué la défaite des sociaux-démocrates,
mais elles avaient aussi maintenu le PPE comme groupe majoritaire au
Parlement européen. Les pertes des partis au pouvoir (par rapport au
précédent scrutin national) étaient restées plus limitées en
2009 qu'auparavant. Élevées en Hongrie, en Bulgarie, au
Royaume-Uni, en Irlande et au Portugal, elles étaient restées
faibles en Espagne et en Italie, tandis que les partis qui
gouvernaient la Finlande et la Pologne parvenaient même à
progresser légèrement. Certaines organisations eurosceptiques
amélioraient leur score, sans réaliser de véritable percée non
plus.
Qui plus est, les partis
protestataires ont du mal à se mettre d'accord, à parler d'une
voix. Après les élections de 2009, les partis d'extrême-droite
s'étaient retrouvés dans deux groupes parlementaires différents:
le groupe Europe
Libertés Democratie,
qui comprenait le FN, et l'Alliance
européenne des mouvements nationaux,
trop petite pour former un groupe parlementaire. Ensemble, ces
groupes auraient obtenu 57 sièges, c'est-à-dire moins de 8%, mais une union s'était avérée impossible. La
raison est simple: ils viennent de traditions politiques très
différentes et ont des positions souvent fortement contradictoires.
Nous avons regardé de
plus près les positions des 13 partis qualifiés d'extrême-droite
par les experts du Chapell
Hill Expert Survey (CHES)
et ayant obtenu plus de 5 pour cent des votes au niveau national. Le
CHES enregistre à l'occasion de chaque élection européenne les
positions de tous les partis représentés sur une quinzaine de
dimensions1.
Le graphique 1 illustre les distances de ces partis sur les
principales dimensions. Il est demandé aux experts de classer chaque
parti sur chaque dimension sur une échelle de 1 à 10. Plus on
s'approche de 10, plus la position est conservatrice – par exemple
favorable à l'assimilation culturelle des étrangers (plutôt que
toute forme de multiculturalisme), à la réduction des dépenses
publiques ou encore à la prise en compte de principes religieux dans
la conduite politique du pays.
Nous présentons ici
deux mesures différentes permettant de se faire une idée de la
proximité des partis d’extrême droite sur ces différentes
dimensions: min/max calcule simplement la distance entre les deux
positions les plus extrêmes sur cette échelle de 1 à 10 parmi les
13 partis ; l'écart-type calcule la distance moyenne entre les
partis sur ces questions.
La mesure min/max montre
que toute velléité d'unifier l'ensemble des partis d'extrême-droite
semble vouée à l'échec étant donné la diversité considérable
de leurs positions sur un grand nombre d’enjeux. Sur toutes les
dimensions il existe des différences fortes entre certains partis.
Les profondes divergences de vues relatives à la questions de la
décentralisation (« régions ») illustrent clairement
cette hétérogénéité : dans nombre de pays de l'Est,
l'opposition est totale sur ce point. C'est vrai également pour UKIP
au Royaume-Uni. La situation est similaire pour ce qui concerne la place de la
religion ou la déréglementation. Il existe ainsi des partis plus
classiquement conservateurs dans ce groupe, à côté de partis
anti-mondialisation, qui peuvent être assez progressistes sur
certains points. A ce titre le PVV de Geert Wilders, allié de Marine
Le Pen, est original. Il se distingue par des positions assez
libérales sur le plan des mœurs et, par exemple, ne s’oppose pas
au mariage homosexuel.
La seconde mesure,
l'écart-type, montre que sur certains sujets cette diversité des
positions ne se limite pas qu'à un ou deux partis. Les organisations
partisanes situées à l’extrême droite sont loin d’être
unanimes sur la place de la religion ou encore la déréglementation.
Un accord relatif existe, certes, sur certains enjeux : beaucoup
des partis d’extrême-droite se retrouvent sur l'opposition à la
décentralisation (« région »), les droits des
minorités, la petite place réservée à l'environnement, l'ordre
public, l'opposition aux politiques redistributives et à
l’augmentation des dépenses publiques. Et pourtant, sur chacun de
ces enjeux, on retrouve des cas de partis fortement déviants.
A l'opposé, les partis
de l'Alliance européenne des mouvements nationaux représentent un
groupe à part, peu susceptibles de s'unir au FN, au PVV ou Vlaams
Belange. Ainsi, le Jobbik hongrois ('HUNG') a affiché régulièrement
des positions antisémites qui semblent peu compatibles avec les
ambitions gouvernementales affichées par des partis comme le FN ou
le PVV. Ces partis se distinguent aussi sur les questions de
libéralisme économique : les partis polonais, hongrois ou
slovaques sont nettement moins en faveur de la déréglementation ou
de la réduction des dépenses publiques que les partis d'Europe de
l'Ouest. L’émergence d'une grande internationale d'extrême-droite
ne semble donc pas à l'ordre du jour à ce stade.
Les perspectives :
un FN fort mais une extrême-droite européenne stable
Les sondages disponibles
suggèrent que la situation sera différente en 2014. En France, au
moins, plusieurs sondages donnent le FN en deuxième place, juste
derrière l’UMP et bien en tête du PS. Les projections lui
prédisent 22 sièges sur les 74 qui reviennent à la France.
Cependant, ces projections sont moins favorables pour les partis
d’extrême droite d'autres pays. UKIP devrait, certes, faire une
percée notable au Royaume-Uni avec 23 sièges sur 73 selon les
estimations,
mais la plupart des autres grands pays n'auront pas de partis
d'extrême-droite représentés et cette représentation sera
probablement assez faible dans les pays de taille moyenne où ces
partis ont des chances d’avoir des élus, comme la Grèce ou la
Belgique.
Et, encore une fois, les
partis partent en ordre dispersé. Les efforts du FN, notamment, pour
construire un groupe comprenant le FPÖ autrichien, le PVV
néerlandais, la Lega nord italienne et les « Finns »
(Finlandais) n'ont pas abouti. De ce fait, le groupe Europe, Libertés
et Démocratie peut espérer une quarantaine de sièges, auxquels
s'ajoutent un certain nombre de sièges de « non-inscrits »,
comprenant les sièges du FN et du PVV. Le groupe des non-inscrits
voit ses effectifs gonfler, notamment à la faveur de l'arrivée de
nouveaux acteurs, comme le Mouvement 5
Etoiles de
l'ancien humoriste Beppe Grillo en Italie et le mouvement Union,
Progrès et Démocratie
en Espagne, soutenu par des intellectuels comme Fernando Savater ou
Mario Vargas Llosa.
Le Parlement européen
continuera, pour l’essentiel, d'être gouverné par l'alliance au
centre entre Parti populaire européen, Parti socialiste européen et
libéraux. Les efforts des candidats des deux principaux partis pour
rendre la campagne plus visible se sont avérés vains dans la
plupart des cas. Et ce n'est sans doute pas des partis protestataires
que viendra la publicité tant recherchée.
Emiliano Grossman
_____________________________________
1 Le
Chapel Hill Expert Survey (ou CHES) soumet à chaque élection un
questionnaire à plusieurs observateurs politiques dans chaque pays
membre de l'Union. On leur demande de classer les positions des
partis de leur point de vue. Les données sont librement accessibles
sur http://chesdata.eu/.
2 La
technique utilisée est celle du “positionnement
multidimensionnel” (ou MDS, multidimensional scaling). Cette
procédure consiste à établir un tableau des distances entre tous
les acteurs et sur toutes les dimensions. Ces distances sont ensuite
utilisées pour calculer les coordonnées dans un espace
bi-dimensionnel qui respecte autant que possible les distances dans
toutes les dimensions.
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