jeudi 15 juin 2017

Les électeurs français récompensent-ils les députés qui ont bien travaillé à l’Assemblée ?

Alors que le second tour à venir des élections législatives a de forte chance de conduire à un fort renouvellement de l'Assemblée Nationale, on peut se demander si pour les rares députés sortants qui seront réélus, leurs activités au sein du Parlement durant la précédente législature auront peser dans les choix des électeurs ?

En effet, la règle démocratique veut que les représentants, les élus, soient « disciplinés » dans leurs décisions par le fait qu’ils doivent, à intervalle régulier, retourner devant les électeurs pour remettre en jeu le mandat qu’ils ont reçu d’eux. Cette question centrale dans la science politique a fait l’objet de beaucoup d’attention, en particulier parce qu’elle nécessite une bonne information de la part des électeurs et parce que les choix électoraux doivent être inspirés par les éléments d’action publique des sortants. 
Ce lien hypothétique entre l’action publique et les choix électoraux dépend, de plus, des modes de scrutin ou encore des pouvoirs dévolus aux représentants. Or le système législatif français se caractérise par, au moins, trois choses : un mode de scrutin uninominal renforçant le lien entre le représentant et sa circonscription ; un parlement au pouvoir notoirement réduit par rapport à l’exécutif ; et enfin un calendrier électoral qui depuis 2002 a transformé l’élection législative en élection de confirmation de l’élection présidentielle qui la précède. Le premier élément favoriserait alors les mécanismes de sanction/récompense des électeurs français vis-à-vis de leur député, le deuxième l’affaiblirait car le travail parlementaire est peu valorisé globalement dans le système politique français, et enfin, le dernier affaiblirait également les motivations chez les électeurs de sanction/récompense du travail des élus car l’enjeu de l’élection serait ailleurs.
La question est alors de savoir si, compte tenu de ce contexte, les électeurs français sont sensibles, lors des élections législatives, aux activités qu’ont pu mener leurs députés.

Notre récent travail indique clairement que la réponse est oui ! Les électeurs sont sensibles aux activités de leur député au sein de l’Assemblée Nationale : ils récompensent les députés travailleurs, en tout cas, certaines de leurs activités.

Pour parvenir à ce résultat, nous étudions les effets de différents indicateurs de l’activité des députés en poste à la fin de la 12ème législature sur leur probabilité d’être candidat à un nouveau mandat, les suffrages qu’ils récoltent au premier tour et leur probabilité finale d’être réélus lors des élections législatives de 2007. Les mesures de l’activité parlementaire couvrent toutes les facettes de l’action d’un député : l’écriture de la loi, les questions écrites et orales au pouvoir exécutif, la production de rapports (législatifs ou d’information), la commission parlementaire d’appartenance, et la gestion des commissions, des groupes de travail ou des groupes d’amitié.
Une fois pris en compte  les autres facteurs les plus susceptibles d’expliquer ces situations, nous observons les relations statistiquement significatives détaillées dans le tableau qui suit

Activités influençant …
La probabilité d’être candidat à l’élection législative
Les suffrages obtenus au premier tour de l’élection législative
La probabilité de réélection
Représentation de la circonscription
Aucune relation significative
Nb de questions orales
Nb de questions écrites (-)
Aucune relation significative
Production de la loi
Nb de lois proposées
Nb de proposition de lois co-signées
Nb de rapports législatifs (-)
Nb de lois proposées




Au moins, une proposition de loi a abouti



Nb de rapports législatifs
Au moins, une proposition de loi a abouti
Contrôle de l’exécutif
Nb de rapports d’information
Nb de rapports d’information
Nb de rapports d’information
Gestion du travail parlementaire
Aucune relation significative
Gestion de groupes de travail de l’AN (-)
Gestion de groupes d’amitié


Gestion de groupes d’amitié
Les effets sont toujours positifs sauf ceux suivis par (-) ; ne sont présentées que les relations statistiquement significatives.

Les éléments les plus notables sont les suivants. Rédiger des propositions de loi augmente les suffrages collectés au premier tour par leur auteur et, si au moins l’une de ses propositions de lois aboutit, le député sortant perçoit plus de suffrages et sa probabilité de réélection est plus élevée. Le nombre de questions orales posées - activité qui entraîne un passage télévisé puisque les questions au gouvernement sont retransmises sur France 3 - a une incidence positive sur les suffrages obtenus, alors que les questions écrites, plus nombreuses et plus faciles, ont une influence négative sur les résultats électoraux du premier tour. De même, la gestion (présidence ou secrétariat) des groupes d’amitié a un effet positif sur la fortune électorale du candidat sortant.
Le graphique suivant donne l'ampleur des principaux effets sur les suffrages récoltés au premier tour. Ainsi une augmentation de 1% des questions orales induit une augmentation de 0.03% des suffrages du député sortant qui se représente
De la même manière la représentation des principaux effets sur la probabilité de réélection est donnée par le graphique qui suit. Le fait pour un député de parvenir à faire adopter une loi qu'il avait proposé accroît sa probabilité de réélection de 0,003%.

Ces résultats montrent qu’en dépit des caractéristiques du système politique français, les électeurs dans leur choix de reconduire ou pas leur député sortant prennent en compte l’intensité de leur activité parlementaire, exerçant ainsi une pression démocratique. Il reste à savoir si, au côté des électeurs, les partis eux-mêmes sont également sensibles dans leur soutien ou la promotion de leurs élus à l’investissement de ces derniers dans le travail parlementaire.



Abel FRANÇOIS et Julien NAVARRO

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