Nicolas Sarkozy aurait déclaré pendant l'été à un visiteur
dans son lieu de villégiature qu'il ne reviendrait pas sur la loi sur le mariage pour tous.
Après l'intensité et la violence de la bataille législative et médiatique
autour de la Loi Taubira, cela équivaut sans doute à un revirement un peu surprenant.
Certes, Sarkozy n'a jamais été en première ligne sur ce dossier, mais il avait
bien déclaré son opposition à cette loi et il avait reçu et félicité Frigide Barjot, égérie
de la "Manif pour tous", du succès de la manifestation du 13 janvier
2013. On ne l'avait plus trop entendu sur cet enjeu, cependant, à la suite des
manifestations plus violentes qui avaient suivi au mois d'avril et il aurait
même ouvertement pris ses distances avec le mouvement. Nonobstant, comment
expliquer un ton aussi conciliant sur l'enjeu qui semble avoir cristallisé – plus
que tout autre – l'opposition gauche-droite au cours de l'année 2013?
Pour faire vite, on pourrait dire que gouvernement et
opposition, ce n'est pas pareil : c'est tellement évident que cela semble banal
de s'y attarder. En France, on sait qu'un parti d'opposition trouvera toute
proposition du gouvernement faible, contestable, dommageable pour la France etc.,
même si cette proposition recoupe en grande partie des positions du parti
d'opposition en question. Cela fait partie, sans doute, du jeu politique,
exacerbé en France par des institutions particulièrement clivantes (voir aussi
ce billet).
Et pourtant, les électeurs de droite et de gauche ont de
plus en plus l'impression que les principaux choix politiques, notamment en
matière de politique économique se ressemblent. Et ils n'y se trompent pas! Les
gouvernements qui se sont succédé depuis Mai 2012 n'ont pas fondamentalement
remis en cause la ligne politique mise en place par leurs prédécesseurs en
matière de politique économique. La politique pour sortir de la crise consiste
à réduire les dépenses pour ramener le budget à l'équilibre dans un horizon
plus ou moins proche. Les différences sont de degré - à quelle vitesse y
arriver, quelles dépenses sacrifier - plutôt que de nature. Nombre de ces choix
politiques sont d’ailleurs déterminés au niveau européen, à travers le Pacte de
stabilité et de croissance ou l’indépendance de la Banque centrale européenne.
Rappelons que cette « européanisation » des politiques économiques
françaises a été voulue et approuvée par tous les gouvernements français de
droite et de gauche depuis trente ans…
Paradoxalement, alors que les choix en matière de politique
économique se sont indéniablement rapprochés, on a l'impression que gauche et
droite sont plus irréconciliables que jamais. D'où vient cette impression
d'opposition radicale qu'on a notamment pu ressentir au moment des
mobilisations autour du mariage pour tous? La principale explication doit sans
doute être cherchée dans les considérations politiques de court terme. Et s'il
est évident que les hommes et femmes politiques sont contraints par les
élections à parfois perdre de vue le bien commun, les coûts à moyen terme de ce
court-termisme pourraient s'avérer colossaux.
A défaut de choix de politique économique vraiment
différents, la compétition politique se déplace vers d'autres enjeux. Les
"sujets de société" ou les questions "éthiques" sont
devenus des sujets de choix. Les débats sur la régulation de l'avortement ont
été au centre des débats politiques en Espagne tout au long de l'année en cours ;
les débats sur le clonage, les OGM, la GPA et autres ont régulièrement surgi
dans d'autres pays voisins au cours des dernières années. La France n'est donc
ni seule ni différente.
Et ce déplacement des enjeux se fait avec d'autant plus de
verve et d'entrain que les positions politiques entre les principaux opposants
se sont rapprochés par ailleurs. En effet, comme il faut toujours gagner des
élections, il faut faire oublier la convergence des positions sur certains
points cruciaux en exagérant les différences sur d'autres points. C'est sans
doute un des paradoxes de notre temps: alors que beaucoup de décisions sont
prises en dehors du cadre national, nous n'élisons que nos gouvernements
nationaux. Pas d'élection pour l'OMC, le FMI ou tant d'autres fora où des
décisions qui nous affectent sont prises, sans même parler des décisions de
grandes entreprises multinationales ou de puissances étrangères. La classe
politique en est consciente mais emploie tous les moyens à sa disposition pour
convaincre les électeurs qu'elle compte toujours. Le détournement systématique des
élections européennes en élections nationales bis illustre bien ce paradoxe.
Le problème est que certaines exagérations ont des coûts
au-delà de l'horizon de court terme qui les a inspirés. Les mobilisations
contre le mariage gay ont fait surgir au milieu de l'arène politique une
ribambelle de personnages et d'organisations jusque-là confinés aux marges de
cette arène. Et même si Monsieur Sarkozy peut déclarer désormais "le
mariage gay, je m'en fous", ces personnages n'ont nullement l'intention
d'abandonner ces places chèrement acquises et de retourner dans la marginalité
politique. En effet, plusieurs mobilisations depuis comme la "journée de
retrait de l'école", le "jour de colère" ou encore la
mobilisation contre "l'abécédaire de l'égalité" et autres campagnes
contre la nouvelle ministre de l’éducation montrent que ces organisations ont
trouvé leur public et qu'elles entendent peser sur les débats publics. L'effet
clivant de la mobilisation contre le mariage gay semble ainsi perdurer bien
au-delà de la Loi Taubira.
L'objectif de court terme, qui était de diviser autant que
possible, de polariser pour affaiblir le gouvernement en place, pourrait se
retourner contre la droite "institutionnelle", désormais talonnée par
le FN, bien plus proche des organisations autour de la Manif pour tous et de
leurs discours.
L'esprit de rassemblement qui caractérise celui qui entend
reconquérir une majorité électorale au niveau national est très différent de
l'opposant qui veut faire échouer le pouvoir en place. Mais plus on exagère le
rôle d'opposant, plus il deviendra difficile de jouer ensuite les rassembleurs.
L'avenir montrera si les effets de moyen terme sont aussi
importants que nous disons. Mais il risque d'y avoir d'autres enjeux et
exagérations similaires – à gauche ou à droite. La structure de la compétition
politique en France ne permet pas d'espérer autre chose et la montée en
puissance de partis aux positions de plus en plus radicales semble inéluctable.
Seule une réorganisation de la structure de la compétition
politique pourrait y remédier. Mais toute initiative en la matière devrait être
précédée d'une prise de conscience de la part des principaux concernés et d'une
sincère volonté de changement. Ensuite seulement, on pourra réfléchir à la
manière d'éviter ou, au moins, de limiter des dérives aussi clivantes et
polarisantes dans le débat politique.
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