Avant les élections fédérales du 24 septembre 2017, l'Allemagne semblait à l'abri de la plupart des difficulté rencontré par ses voisins. On l’a souvent répété : la plupart des
gouvernements au pouvoir au début de la crise économique et financière de 2008 ont
été battus aux élections suivantes. Angela Merkel a survécu. Son parti, l’Union
chrétienne-démocrate (CDU), a même obtenu de meilleurs résultats aux élections
fédérales de 2013 qu’à celles de 2009. Ce résultat a contribué au mythe d’une
exception allemande : un pays qui n’est pas soumis aux mêmes aléas politico-économiques, qui est mieux gouverné que ses voisins, et où les citoyens soutiennent le gouvernement en place.
L’Allemagne se distingue également par la
faiblesse historique du vote d’extrême-droite. Alors que des partis de ce
courant sont fortement implantés dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest
(et de l’Est), et parfois même au gouvernement, ils n’avaient jamais
réussi à percer au niveau fédéral en Allemagne, devant se contenter de quelques
résultats honorables dans les Länder.
L’élection du 24 septembre 2017 semble sonner
le glas de l’exception allemande. L’Alternative
für Deutschland, parti populiste et anti-immigration, fait une entrée fracassante au
Bundestag, alors que le CDU perd près de 70 sièges par rapport à 2013. Pire,
les deux partis traditionnels de gouvernement, le CDU et les social-démocrates
du SPD, représentent à peine plus de 50 pour cent des votes. Pour rappel, ces
deux partis ont régulièrement atteint 80 pour cent des suffrages, et même plus de 90
en 1976, comme le montre le panneau gauche du graphique ci-dessous.
Parallèlement la participation (panneau droit) a également quelque peu diminué depuis cette date. Elle reste très
solide, certes, mais, avec 76 pour cent, on est loin des taux de plus de 90 pour
cent des années soixante-dix.
L’Allemagne rejoint ainsi un monde politique
déjà bien connu presque partout ailleurs, un monde politique rythmé par des
surenchères populistes, une volatilité accrue et une confiance déclinante en
les capacités et les qualités de ceux qui nous gouvernent.
Dans ce monde politique, il devient de plus en plus
difficile de trouver des majorités. Parfois, comme en France, le système
électoral fabrique des majorités là où il n’y en pas, mais cela semble juste
retarder le moment où il faudra faire face au problème de la gouvernabilité
déclinante. Gouverner devient de plus en plus difficile, dans un contexte où la
vindicte populaire contre le gouvernement se déchaîne à peine quelques mois
après son élection. Le risque -réel- est d’assister à un nombre croissant de
« surprises » électorales comme le Brexit ou l’élection de Donald
Trump. Le risque est aussi de se trouver dans l’impossibilité croissante de
trouver des accords dans les instances européennes ou de trouver un terrain
d’entente sur des sujets aussi cruciaux que la gestion des flux migratoires ou
la lutte contre le réchauffement climatique.
Pour l’Allemagne, la période – souvent longue –
de négociation de coalition s’annonce plus difficile que jamais. Une « grande
coalition », entre SPD et CDU atteindrait une majorité absolue, mais
Martin Schulz, le chef de file des sociaux-démocrates, a annoncé que son parti
ne participerait pas au gouvernement. Cette élection a confirmé que les grandes
coalitions ont – presque - toujours été défavorables au SPD. La seule
alternative viable semble être une « coalition jamaïcaine », avec les
libéraux du FDP et les Verts. Inimaginable en France, ce type de coalition ne
semble plus relever de l’impossible, mais ne sera pas facile à gérer au jour le
jour.
Quelque soit la coalition trouvée, il sera
plus difficile de gouverner et la fragilité des résultats risque d’avoir un
impact sur le style de gouvernement et même sur le contenu des politiques adoptées. Angela Merkel a de fortes chances de se voir contestée au sein de son parti, ce qui était déjà le
cas lors des deux dernières années à l’occasion de plusieurs élections
régionales. C’est surtout la politique migratoire qui sera dans la ligne de mire
du groupe parlementaire de l’AFD, bien sûr, mais sans doute aussi des
partenaires de l’Union sociale-chrétienne bavaroise et d'une partie des membres du parti de
la chancelière. Le projet européen dans son ensemble risque de pâtir de cette
contestation interne. Un leadership allemand est en effet de moins en moins
probable dans ces conditions.
L’élection allemande du 24 septembre montre
qu’aucun pays n’est plus à l’écart de ces évolutions. Nos systèmes politiques
sont à bout de souffle, le contrat social sur lequel ils sont bâtis semble de
plus en plus contesté. Il ne suffit pas ou plus de marteler que ce sont les fondements de notre démocratie qu’il faut respecter. Le rapport entre
représentants et représentés doit être refondé. Il faut inventer la démocratie
de demain, des nouvelles manières d’impliquer les citoyens et de répondre à leurs
attentes, leurs déceptions et leurs craintes. Il n’y a pas de fatalité, pourtant :
en Islande ou en Irlande il a fallu repenser le système politique suite à des
crises économiques qui ont ébranlé les fondements de la société politique. Mais
il n’y a pas non plus de solution facile : ce qui marche en Irlande ne
marche pas forcément en France ou en Allemagne. Le chemin est difficile et semé
d’embûches. Mais ce n’est qu’au prix d’une réforme en profondeur que nos
systèmes politiques resteront gouvernables.
Emiliano Grossman
Emiliano Grossman