vendredi 20 mars 2015

La fin d’un scrutin de notables locaux ? Les nouvelles élections départementales et le poids des élus sortants

Comme ce fut le cas pour la campagne des élections municipales de 2014, la campagne des élections départementales de 2015 a été dominée par la question des résultats du Front national. Grâce à une couverture sans précédent du territoire français, le parti d’extrême droite devrait assez nettement renforcer ses positions dans les conseils généraux, voire être majoritaire dans certaines assemblées. Plusieurs départements sont ciblés, l’Aisne, le Var et le Vaucluse notamment.
Traditionnellement, l’élection des conseillers généraux n’est pourtant pas la plus favorable aux partis qui ne disposent pas d’un solide réseau d’élus locaux. Les anciennes élections cantonales étaient des élections de notables locaux, marquées par un taux de réélection extrêmement élevé des conseillers généraux sortants. Le nouveau mode de scrutin et le redécoupage de la carte des cantons introduits pour les nouvelles élections départementales pourraient-elles changer la donne et faciliter la montée en puissance du Front national  ?


Les anciennes élections cantonales, des élections de notables

Les dernières élections cantonales ont eu lieu en mars 2011. Elles concernaient l’ensemble des 1938 cantons de la série A et deux cantons de la série B dans lesquels une partielle était organisée. En termes de suffrages exprimés, la droite gouvernementale a été victime d’un puissant « vote sanction », dans la lignée des résultats des municipales de 2008, des européennes de 2009 et des régionales de 2010. Avec seulement 22,5 % des voix au premier tour de scrutin, les candidats de la majorité au pouvoir ont enregistré leur plus mauvais score dans cette série de cantons, reculant de 3,3 points par rapport à leur niveau de 2004, niveau qui constituait déjà un record de faiblesse.
Cependant, ces élections ont été marquées par une remarquable résistance des conseillers généraux sortants de droite qui se représentaient : 85 % d’entre eux ont retrouvé leur siège à l’issue du scrutin (tableau 1)1. Par leurs conditions d’organisation, les élections cantonales étaient des élections taillées sur mesure pour les notables locaux . Le taux de réélection des conseillers généraux sortants était très élevé (87 % tous partis confondus lors des cantonales de 2011), et traduisait l’importance décisive de l’implantation des candidats.


Tableau 1
La réélection des sortants aux élections cantonales de 2011 en France métropolitaine


Sortants candidats
Sortants réélus
Taux de réélection
Gauche
948
841
88,7 %
Front de Gauche
96
87
90,6 %
Parti Socialiste
667
599
89,8 %
Parti Radical de Gauche
49
41
83,7 %
Europe Ecologie Les Verts
10
7
70,0 %
Divers gauche
126
107
84,9 %
Droite
601
512
85,2 %
UMP + Nouveau Centre
410
349
85,1 %
Divers droite
190
162
85,3 %
Extrême droite
1
1
100 %
Autres
24
18
75,0 %
MoDem
9
7
77,8 %
Ecologistes divers
2
1
50,0 %
Divers
13
10
76,9 %
Ensemble
1573
1371
87,2 %
NB : Ces données ont été initialement présentées dans Florent Gougou, Simon Labouret, « The 2011 French Cantonal Elections: The Last Voter Sanction before the Presidential Poll », French Politics, 9 (4), 2011.

En tenant compte des conseillers généraux sortants qui ne se représentaient pas, les chiffres restent tout aussi impressionnants. Lors des élections cantonales de 2011, le conseiller général sortant a été réélu dans 70,7 % des cantons (1371/1940) et battu dans seulement 10,4 % des cantons (202/1940), les sortants qui avaient décidé de passer la main représentant 18,9 % des cas (367/1940).


Les élections départementales, des élections d’un nouveau type

Initialement condamnées par la reforme de l’organisation territoriale de la France et la suppression programmée des conseils généraux, les élections cantonales ont finalement été remplacées par des élections départementales. Avec au passage un nouveau mode de scrutin, un nouveau découpage de la carte des cantons, et un nouveau calendrier électoral.
Ces trois éléments sont de nature à modifier le poids des conseillers généraux sortants, et à altérer la capacité de résistance des partis établis. Le nouveau mode de scrutin binominal paritaire, associé à la division de moitié du nombre de cantons, implique une diminution très importante du nombre d’élus sortants de sexe masculin qui vont se représenter. Quant à la réforme du calendrier électoral, avec le renouvellement complet des conseils généraux en lieu et place d’un renouvellement par moitié tous les 3 ans, elle est susceptible d’accroître la nationalisation du scrutin et d’affaiblir les facteurs locaux .


Les conseillers généraux sortants aux élections départementales de 2015

Le premier tour des élections départementales concerne les 2054 cantons de France métropolitaine, de Guadeloupe, de La Réunion et de Mayotte. Il met aux prises 9097 binômes, soit 18194 candidats. Parmi ces 18194 candidats, on ne dénombre « que » 2189 sortants : 1229 de gauche, 944 de droite, et 16 inclassables (sans étiquette, régionalistes, écologistes divers).
Compte tenu du redécoupage des cantons, certains cantons voient plusieurs sortants s’affronter. Au final, seuls 1668 cantons auront au moins un binôme de candidats avec un conseiller général sortant, mais la proportion est similaire à celle mesurée pour les élections cantonales de 2011 : dans 81 % des compétitions, un sortant sera en lice. De ce point de vue, les élections départementales ne semblent pas fondamentalement différentes des élections cantonales. Cependant, cette stabilité cache une évolution considérable dans la proportion de femmes parmi les sortants qui se représentent, qui progresse de manière spectaculaire entre les cantonales de 2011 et les départementales de 2015 : en 2011, sur les 1573 sortants qui se représentaient, on ne dénombrait que 198 femmes, soit 12,6 % du nombre total de sortants. En 2015, cette proportion monte à 21,7% (474 femmes sur les 2189 élus sortants qui se représentent). En 2011, le taux de réélection des conseillères sortantes a été de 83,8 % (166/198), alors qu’il s’est élevé à 87,6 % pour les conseillers sortants (1205/1375).


Perspectives

La capacité des conseillères et des conseillers généraux sortants à se faire réélire lors des prochaines élections départementales sera un élément crucial dans l’analyse du scrutin. Si les départementales ressemblent aux cantonales et sont aussi favorables aux élus sortants, elles constitueront un obstacle à la percée du Front national. Si elles s’imposent en revanche comme un scrutin d’un type nouveau, plus exposé aux forces nationales et moins sensible aux facteurs locaux, elles pourraient accélérer les recompositions à l’œuvre dans le paysage politique français.


Florent Gougou




1 On peut penser qu’une partie des sièges les moins sûrs a basculé lors des élections cantonales de 2004, déjà très défavorables à la droite modérée. Cependant, le recul significatif des candidats de l’UMP et de ses alliés au premier tour en termes de suffrages exprimés aurait pu se traduire par de nouvelles pertes importantes en sièges au second tour, ce qui n’a pas été le cas.


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