jeudi 25 mai 2017

Pourquoi tant de candidats aux élections législatives ?

La liste des candidatures officielles aux prochaines élections législatives vient d'être publiée. Elle contient 7 881 candidats pour les 577 circonscriptions françaises, et 7 354 candidats si on se concentre sur les 555 circonscriptions de métropole.
Comparativement aux élections précédentes, ce nombre de candidats repart à la hausse (voir tableau) après avoir connu un maximum en 2002 et un creux en 2012.
Bien évidemment, la victoire du candidat d'un nouveau parti à la présidentielle ainsi que l'élimination au premier tour des deux grands partis traditionnels français (PS et LR), qui engendrent une redéfinition politique profonde, peuvent expliquer ce regain de candidature. Pour autant, on peut se demander pourquoi y a-t-il autant de candidats en France à chaque élection législative ? Nombres qu'aucune autre démocratie n'atteint et fortement en augmentation depuis la fin des années 80.


élections législatives
nb de candidats
nb de circonscriptions
Candidats par circonscriptions
nb candidats sans dépenses (%)
1988
2 788
555
5,02
-
-
1993
5 139
555
9,26
177
(3,44)
1997
6 214
555
11,20
1 219
(19,62)
2002
8 221
555
14,81
1 758
(21,38)
2007
7 416
555
13,36
2 487
(33,54)
2012
6 158
539
11,42
2 692
(43,72)
2017
7 354
539
13,64


Les circonscriptions sont celles de la métropole et de Corse et à l’exclusion des français de l’étranger pour 2012. Il n‘y a pas de comptes de campagne publiés pour 1988.


La réponse est fort simple, c'est en très grande partie le résultat des modalités du financement public des partis politiques français ! 
Les organisations partisanes françaises sont depuis le début des années 1990 en partie financées par des subventions publiques, dont les modalités de distribution dépendent pour la moitié des résultats obtenus aux élections législatives. Alors qu'une moitié est attribuée en fonction des parlementaires (Sénat et Assemblée Nationale) rattachés chaque année à l'organisation, la seconde moitié dépend des suffrages récoltés par ses candidats lors du premier tour des dernières élections législatives. La condition pour y prétendre est que le parti présente 50 candidats dans 50 circonscriptions différentes (la règle pour les partis des DOM TOM diffère) et qu'il obtienne au moins 1% des suffrages. Le montant est ensuite minoré en fonction du respect de la parité homme-femme parmi ses candidature candidatures. En 2017, la somme partagée entre les partis était d'environ 28,5 millions d'euros.

Il existe donc une très forte incitation financière pour les partis à multiplier les candidatures afin d'accroître leur financement public grâce aux voix collectées. De plus, comme la somme à partager est fixe plus vous recueillez des suffrages et plus vous réduisez ceux des autres partis. On voit bien ce lien dans l'évolution du nombre de candidat dans le temps. Avant la mise en place du dispositif (1988), il y avait en moyenne 5 candidats par circonscription, au fur et à mesure de son instauration, leur nombre augmente jusque quasiment 15 candidats en 2002. En 2003, la loi est modifié avec un durcissement des conditions, résultat : le nombre diminue aux deux élections suivantes.

Ces candidats motivés par l'aspect financier sont rarement actifs durant la campagne électorale : on parle même de "candidats fantôme" puisque parfois leur présence sur la circonscription se résume à un déplacement pour signer et déposer la déclaration de candidature à la préfecture. En effet, ces candidats savent pertinemment que leur chance d'élection est infime et qu'ils ne servent qu'à accroître le financement de leur parti ; ils ne s'investissent alors pas dans la campagne électorale ; ce qui se traduit par des niveaux de dépense électorale nuls. On observe ainsi (tableau) que la part des candidats sans dépense électorale parmi l'ensemble ne cesse d'augmenter et représentait 44% des candidats en 2012.

Par ailleurs, cet élément financier fait entièrement partie des négociations d'investiture entre partis au sein d'une même coalition : à quel parti le candidat commun sera-t-il financièrement rattaché, et comment estimer et compenser la perte financière pour l'autre parti(e) ? En conséquence, les candidatures et investitures communes s'accompagnent toujours d'un volet financier prenant la forme de transferts monétaires entre les contractants.
Cela peut expliquer pourquoi certaines ententes peuvent capoter. Par exemple, la dimension financière a très certainement pesé dans le choix de Debout la France de rompre l'entente nouée entre les deux tours de l'élection présidentielle avec le FN qui comprenait un volet sur les législatives. De même, les difficultés de parvenir à un accord entre le PCF et la France insoumise a nécessairement une dimension financière.

Abel François

mercredi 10 mai 2017

Reports, abstentions et l'avenir de la compétition politique en France

L’élection présidentielle est terminée. Plutôt que d’y mettre fin, elle semble ouvrir une période d’effervescence et de restructuration du système partisan français. On l’a dit et répétée : la victoire d’Emmanuel Macron met fin au règne des deux « blocs » qui ont dominé la vie de la 5e République quasiment depuis ses débuts. On annonce la mort du Parti socialiste, le leader désigné des Républicains met en garde les membres de son parti à propos de tentatives de rapprochement avec le nouveau président. Enfin, la déception dans l'entourage de Marine Le Pen, malgré un résultat historique, a culminé avec le retrait de la vie politique de sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen.

Le contexte politique présente ainsi un degré de fluidité et d'instabilité qu'on ne lui avait pas connu de longue date en France, même s'il est vrai que les changements de noms et la création de nouveaux partis y est bien plus courante que chez la plupart de nos voisins. Le comportement de vote lors des prochaines élections législatives jouera, bien sûr, un rôle central dans la refonte partisane qui s'annonce.

On a assisté à des débats interminables sur l'absence de consigne de vote claire de la part du candidat de la France insoumise, ainsi que sur le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan à Marine Le Pen entre les deux tours. Les autres candidats majeurs ont appelé plus ou moins clairement à voter pour Emmanuel Macron au second tour.

Le graphique ci-dessous est réalisé à partir du sondage Ifop/Fiducial, administré au cours de la journée du 7 mai auprès d'un échantillon de 2 470 personnes par questionnaire en ligne. Il permet de répondre à un certain nombre de questions liées au résultat du second tour de l'élection présidentielle.


Ce qu'on peut dire à ce stade

L'essentiel des gains de voix de Marine Le Pen vient de la droite. Près d'un quart des électeurs de François Fillon, c'est-à-dire environ 6 pour cent des électeurs du premier tour (soit 1,7 millions d'électeurs), se sont reportés sur Marine Le Pen. Cela représente plus de la moitié des gains de l'entre-deux-tours. Il faudra sans doute mieux étudier la porosité croissante entre l'électorat de droite et celui d'extrême-droite, mais les mobilisations contre le mariage pour tous pourraient être à l'origine d'un rapprochement durable sur certaines dimensions culturelles.


A cela s'ajoutent les reports de voix des électeurs de Nicolas Dupont-Aignan, qui sont de l'ordre de 46 pour cent selon le sondage Ifop, c'est-à-dire environ 2 pour cent des voix exprimées au premier tour et un peu moins de 700 000 voix.

Ensemble, les reports de voix des électeurs Fillon et de Dupont-Aignan représenteraient, ainsi, près de 80 pour cent des gains de la candidate d'extrême-droite entre les deux tours.

Les reports de voix depuis la gauche vers Marine Le Pen restent faibles, au total. Toujours selon le sondage de l'Ifop, 14 pour cent des électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour se sont reportés sur Marine Le Pen au second tour, c'est-à-dire près d'un million de voix. S'ajoute à cela quelque 4 pour cents des électeurs de Benoît Hamon qui se seraient reportés sur Marine Le Pen, c'est-à-dire moins de 100 000 électeurs.

L'ensemble de ces reports représentent plus que les gains effectifs, mais sans accès aux données brutes, il est difficile d'en dire plus. Il reste que ce sondage est convergent avec d'autres sondages réalisés le jour du second tour et que les ordres de grandeurs semblent similaires.

Pour ce qui est des abstentions, c'est les électeurs de Mélenchon qui ont le plus choisi cette voie - près d'un tiers, suivis de ceux de Fillon (26 %). Les reports en faveur d'Emmanuel Macron ont été similaires chez les électeurs de François Fillon (51 %) et Jean-Luc Mélenchon (54 %) et massifs parmi ceux de Benoît Hamon (79 %).


Des questions en suspens

Les vraies restructurations, à gauche notamment, semblent s'être faites avant le premier tour de l'élection présidentielle. A ce titre, il serait important de comprendre comment les électeurs de François Hollande en 2012 se sont répartis en 2017. Le plus probable est qu'ils se soient partagés, pour l'essentiel, entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, dès le premier tour.

Pour ce qui est de l'extrême droite, elle continue à bien porter son nom. L'essentiel de ses gains vient d'électeurs de droite, mais, là aussi, des données de panel ou des enquêtes post-électorales, devraient permettre d'y voir plus clair. A ce titre, il est intéressant de constater que le programme économique plutôt libéral d'Emmanuel Macron ne permet pas de compenser pour ses positions culturelles plus progressistes aux yeux d'une grande partie de l'électorat de droite. Il faudra aussi mieux comprendre les mouvements entre extrême-gauche et extrême-droite. Si ces flux semblent être loin d'expliquer l'essentiel des restructurations en cours, il faudra néanmoins les étudier dans le détail. La politique des deux axes continue de transformer l'électorat français, l'axe gauche-droite est de plus concurrencé par d'autres dimensions de la compétition politique et cette élection va sans doute confirmer cette tendance.

Par ailleurs, il sera intéressant de comprendre, dans quelle mesure les jugements sur le bilan économique du quinquennat de François Hollande ont été déterminants dans la décision de vote. Habituellement très importante, cette dimension semble être moins décisive dans un contexte d'échecs répétés, à gauche et à droite, à redresser l'économie, à combattre le chômage ou à diminuer la dette.

Enfin, comme à chaque élection, le rôle des médias a été pointé du doigt par les candidats et nombre d'observateurs. Le "buzz" autour d'Emmanuel Macron serait à l'origine de la montée en puissance fulgurante du candidat, inconnu du public il y a encore deux ou trois ans. Si, comme à chaque élection, ce type d'argument est sans doute à relativiser, il y a là sans doute matière à une étude plus sérieuse.

Emiliano Grossman