lundi 29 septembre 2014

N. Sarkozy mieux perçu que ses rivaux à l'UMP

La compétition pour représenter la droite (et le centre peut-être) à l’élection présidentielle est lancée avec la candidature pour la présidence de l’UMP de N. Sarkozy alors que A. Juppé a annoncé sa candidature à la primaire de l’UMP pour l’élection présidentielle de 2017 et que F. Fillon ne fait plus, depuis longtemps, mystère de sa propre candidature à cette même primaire et a commencé à présenter ses propositions. Comme les études menées en France ou à l’étranger, sur les élections présidentielles ou les élections primaires, ont, de manière répétée, souligné l’importance des images des candidats, il est légitime d’étudier celles de ces trois candidats majeurs de l’UMP aussi bien parmi ceux susceptibles de les investir comme candidat en cas de primaire que parmi leurs électeurs potentiels à la présidence de la République.

Alors que la France, à la différence des autres grandes démocraties occidentales, ne disposait pas jusqu’à récemment d’indicateurs pour étudier avec rigueur les évolutions électorales, le Baromètre des dynamiques électorales, mis en place par des chercheurs de Sciences Po Bordeaux, Grenoble et Paris, permet aujourd’hui d’étudier les traits associés aux différents leaders politiques.

Conduite en juin 2014, cette première vague révèle que les images des trois candidats majeurs de l’UMP ne sont pas stabilisées de manière homogène. Ainsi, la proportion de répondants sans opinion n’est que de 7 % en moyenne pour N. Sarkozy alors qu’elle représente plus du double pour F. Fillon (18,5 %) et près du triple pour A. Juppé (22 %). Près d’un répondant sur 5 n’est pas en mesure d’apprécier les différents traits associés à F. Fillon et A. Juppé, ce qui constitue indubitablement un handicap alors que N. Sarkozy bénéficie encore de sa stature d’ancien président de la République. Pour espérer emporter la primaire d’abord et l’élection présidentielle ensuite, F. Fillon et A. Juppé sont confrontés au défi de remédier à ce déficit de connaissance et/ou à cette indifférence. Néanmoins, celles-ci recèlent également une opportunité d’informer – dans la double acception du terme, transmettre des informations et donner une forme - à leur avantage ce segment de l’électorat.

Saisir une telle opportunité apparaît particulièrement indispensable puisque tant A. Juppé que F. Fillon sont globalement moins positivement perçus que N. Sarkozy à la date de l’enquête. Pour en juger, la Figure 1 présente la proportion de répondants pour lesquelles les phrases suivantes s’appliquent « très ou assez bien » à chacun des candidats selon les répondants. Quand l’étoffe présidentielle est reconnue à N. Sarkozy par 52 % des répondants, seulement 35 % d’entre eux en créditent A. Juppé, et 25 % F. Fillon ; parmi les sympathisants du MODEM, de l’UDI et de l’UMP (Figure 2), l’ancien Président de la république atteint 87 %, contre 69 % pour A. Juppé et 53 % pour F. Fillon. Une configuration analogue s’observe pour chaque trait de personnalité en rapport avec les qualités de leadership : alors que pour 54 % des répondants, N. Sarkozy est capable de défendre les intérêts de la France, cette proportion tombe respectivement à 15 et 26 points pour A. Juppé et F. Fillon. Sur le terrain de l’efficacité, N. Sarkozy bénéficie toujours d’un avantage (42% d’opinions positives) en l’absence d’inventaire souhaité par quelques cadres de l’UMP. Si N. Sarkozy devance également ses rivaux en termes de volonté de changement et de proximité idéologique, il est cependant devancé par A. Juppé en particulier en termes d’honnêteté et suscite nettement plus d’inquiétude que ce dernier. Parmi les sympathisants du centre et de la droite, l’avantage de l’ancien président sur ses deux concurrents se maintient sur l’ensemble de ces dimensions. Toutefois, parmi ceux-ci, la sympathie, l’empathie et la fiabilité sont créditées à un niveau similaire pour A. Juppé et N. Sarkozy.

Graphique 1. Proportion de répondants pour lesquelles les phrases suivantes s’appliquent très ou assez bien à chacune des personnalités.




Source : Enquête TNS Sofres – Baromètre des priorités politiques et des dynamiques électorales, juin 2014.

Au final, que ce soit parmi l’ensemble des répondants de notre échantillon ou les sympathisants de la droite et du centre-droit, N. Sarkozy bénéficie d’une image globalement plus positive que ses deux rivaux en particulier sur les traits relatifs au leadership. Cependant deux points faibles apparaissent : l’anxiété suscitée par sa personnalité demeure et la remise en cause de son honnêteté émerge, avant même sa mise en examen début juillet 2014, sous l’effet des nombreuses procédures judiciaires dans lesquelles il a été partie prenante depuis son départ de l’Élysée. Dans ce contexte, il est compréhensible et probablement vital pour les deux concurrents de N. Sarkozy d’accélérer afin de combler leur handicap. L’un des enjeux des prochains mois est bien évidemment d’observer comment évoluera l’appréciation des traits de personnalité des différents candidats et si ceux-ci développent des stratégies pour conquérir la majorité des voix de l’électorat UMP ou pour d’ores-et-déjà convaincre plus largement l’ensemble des Français.

Graphique 2. Proportion de sympathisants du MoDem, de l’UDI et de l’UMP pour lesquelles les phrases suivantes s’appliquent très ou assez bien à chacune des personnalités.



Source : Enquête TNS Sofres – Baromètre des priorités politiques et des dynamiques électorales, juin 2014.


Sylvain Bouard, Martial Foucault et Eric Kerrouche


  Print Friendly Version of this pagePrint Get a PDF version of this webpagePDF

mardi 23 septembre 2014

Les effets attendus sur la participation de la dissociation des élections régionales et départementales de 2015


Le pouvoir exécutif français a récemment décidé de dissocier les prochaines élections régionales des élections cantonales. Cela signifie que ces deux élections n’auront pas lieu le même jour. La décision peut s’expliquer, d’une part, par des raisons juridiques, faire accepter les changements de date par le conseil constitutionnel, et d’autres part par des considérations électorales, il peut s’agir d’une tentative de limiter une « nationalisation » d’élections locales souvent défavorable au pouvoir en place. Pour autant, on peut s’interroger sur l’incidence de cette décision quant à la participation électorale.

L’effet attendu de l’organisation de scrutins simultanés sur la participation électoral est assez simple : du fait d’une économie d’échelle, les électeurs se déplacent non plus pour un seul scrutin mais pour deux, cela réduit le coût du vote, c’est-à-dire le coût de la participation. Au final on s’attend donc à ce que les scrutins simultanés favorisent la participation.
Pour tester cette idée, nous disposons dans le cas français d’une expérience grandeur nature. En effet, les élections régionales et départementales sont organisées certaines années simultanément dans la moitié des cantons français. Dit autrement, tous les cantons votent aux élections régionales et une moitié seulement vote en plus le même jour pour les élections cantonales.
La distinction des cantons n’est pas liée avec des considérations politiques, puisqu’il s’agit de répartir le département en deux ensembles équivalents en termes de population. On peut alors considérer cela comme une expérience aléatoire, comme si on avait décidé de donner un traitement médical à un groupe de cantons choisis au hasard (le groupe traité) et pas à un autre (le groupe témoin). Ainsi, un électeur dans un canton urbain d’un département est appelé à voter deux fois, alors que son voisin de quelques rues est appelé à voter uniquement à l’élection régionale.
En comparant les deux groupes de canton, on peut alors voir l’effet de l’ajout d’un scrutin le jour du vote, en l’occurrence le scrutin départemental, sur la participation à l’élection régionale.


Ainsi, la figure ci-dessus compare au niveau régional la participation à l’élection régionale de 2004 dans les cantons votant uniquement à l’élection régionale (one ballot) et dans ceux votant le même jour à l’élection régionale et à l’élection cantonale (two ballots). On voit bien que la participation (moyenne ou médiane) est plus élevée pour les cantons ayant deux élections le même jour. Calculée au niveau des départements, la différence de participation entre les deux groupes de cantons s’établit entre 0 point et 12 points de pourcentage. C’est-à-dire qu’ajouter un scrutin au premier se traduit par une augmentation de la participation pouvant aller jusqu’à 12 points.

Mais est-ce toujours le cas ? C’est-à-dire, est-ce que l’augmentation du nombre de scrutins simultanés accroît toujours la participation électorale ? La réponse est clairement non. Si les premiers scrutins rajoutés augmentent la participation, cet accroissement de participation est de plus en plus faible et doit même disparaître et se retourner au fur et à mesure de l’augmentation des élections simultanées. Au-delà d’un certain nombre de scrutin, qui reste à déterminer, les électeurs peuvent être découragés à participer du fait de problèmes d’organisation. Les électeurs font alors la queue plus longtemps dans les bureaux de vote car ils restent plus longtemps dans l’isoloir. C’est par exemple le cas aux USA dans certains « counties » quand, lors des élections présidentielles, les électeurs doivent également s’exprimer sur le choix de sénateurs, de représentants au congrès, de représentants aux assemblées des états, de sheriffs, d’attorney général, de juges locaux et fédéraux, d’élus du « county », de référendums locaux, de modifications constitutionnelles, etc. Au final, plus de 20 ou 30 scrutins peuvent être organisés le même jour. Du coup, cela décourage la participation électorale car le temps consacré à l’action de vote augmentant, le coût de la participation augmente également.

Si le nombre optimal de scrutins simultanés, c’est-à-dire celui qui permet d’avoir, toute chose égale par ailleurs, le taux de participation le plus élevé n’est pas encore connu, il est évident qu’il ne se situe pas entre un et deux scrutins simultanés comme en France. La conclusion est dès lors plutôt évidente : on s’attend à ce que la dissociation des élections départementales et régionales en 2015 nécessairement accroisse l’abstention par rapport à une organisation le même jour des deux scrutins.


Cette note s’appuie sur un texte scientifique écrit avec C.Fauvelle-Aymar en cours de publication. Une première version du texte peut être téléchargée ici.

  Print Friendly Version of this pagePrint Get a PDF version of this webpagePDF


mardi 16 septembre 2014

Sarkozy, le mariage gay et... la polarisation politique

Nicolas Sarkozy aurait déclaré pendant l'été à un visiteur dans son lieu de villégiature qu'il ne reviendrait pas sur la loi sur le mariage pour tous. Après l'intensité et la violence de la bataille législative et médiatique autour de la Loi Taubira, cela équivaut sans doute à un revirement un peu surprenant. Certes, Sarkozy n'a jamais été en première ligne sur ce dossier, mais il avait bien déclaré son opposition à cette loi et il avait reçu et félicité Frigide Barjot, égérie de la "Manif pour tous", du succès de la manifestation du 13 janvier 2013. On ne l'avait plus trop entendu sur cet enjeu, cependant, à la suite des manifestations plus violentes qui avaient suivi au mois d'avril et il aurait même ouvertement pris ses distances avec le mouvement. Nonobstant, comment expliquer un ton aussi conciliant sur l'enjeu qui semble avoir cristallisé – plus que tout autre – l'opposition gauche-droite au cours de l'année 2013? 

Pour faire vite, on pourrait dire que gouvernement et opposition, ce n'est pas pareil : c'est tellement évident que cela semble banal de s'y attarder. En France, on sait qu'un parti d'opposition trouvera toute proposition du gouvernement faible, contestable, dommageable pour la France etc., même si cette proposition recoupe en grande partie des positions du parti d'opposition en question. Cela fait partie, sans doute, du jeu politique, exacerbé en France par des institutions particulièrement clivantes (voir aussi ce billet).  

Et pourtant, les électeurs de droite et de gauche ont de plus en plus l'impression que les principaux choix politiques, notamment en matière de politique économique se ressemblent. Et ils n'y se trompent pas! Les gouvernements qui se sont succédé depuis Mai 2012 n'ont pas fondamentalement remis en cause la ligne politique mise en place par leurs prédécesseurs en matière de politique économique. La politique pour sortir de la crise consiste à réduire les dépenses pour ramener le budget à l'équilibre dans un horizon plus ou moins proche. Les différences sont de degré - à quelle vitesse y arriver, quelles dépenses sacrifier - plutôt que de nature. Nombre de ces choix politiques sont d’ailleurs déterminés au niveau européen, à travers le Pacte de stabilité et de croissance ou l’indépendance de la Banque centrale européenne. Rappelons que cette « européanisation » des politiques économiques françaises a été voulue et approuvée par tous les gouvernements français de droite et de gauche depuis trente ans…

Paradoxalement, alors que les choix en matière de politique économique se sont indéniablement rapprochés, on a l'impression que gauche et droite sont plus irréconciliables que jamais. D'où vient cette impression d'opposition radicale qu'on a notamment pu ressentir au moment des mobilisations autour du mariage pour tous? La principale explication doit sans doute être cherchée dans les considérations politiques de court terme. Et s'il est évident que les hommes et femmes politiques sont contraints par les élections à parfois perdre de vue le bien commun, les coûts à moyen terme de ce court-termisme pourraient s'avérer colossaux. 

A défaut de choix de politique économique vraiment différents, la compétition politique se déplace vers d'autres enjeux. Les "sujets de société" ou les questions "éthiques" sont devenus des sujets de choix. Les débats sur la régulation de l'avortement ont été au centre des débats politiques en Espagne tout au long de l'année en cours ; les débats sur le clonage, les OGM, la GPA et autres ont régulièrement surgi dans d'autres pays voisins au cours des dernières années. La France n'est donc ni seule ni différente.

Et ce déplacement des enjeux se fait avec d'autant plus de verve et d'entrain que les positions politiques entre les principaux opposants se sont rapprochés par ailleurs. En effet, comme il faut toujours gagner des élections, il faut faire oublier la convergence des positions sur certains points cruciaux en exagérant les différences sur d'autres points. C'est sans doute un des paradoxes de notre temps: alors que beaucoup de décisions sont prises en dehors du cadre national, nous n'élisons que nos gouvernements nationaux. Pas d'élection pour l'OMC, le FMI ou tant d'autres fora où des décisions qui nous affectent sont prises, sans même parler des décisions de grandes entreprises multinationales ou de puissances étrangères. La classe politique en est consciente mais emploie tous les moyens à sa disposition pour convaincre les électeurs qu'elle compte toujours. Le détournement systématique des élections européennes en élections nationales bis illustre bien ce paradoxe.

Le problème est que certaines exagérations ont des coûts au-delà de l'horizon de court terme qui les a inspirés. Les mobilisations contre le mariage gay ont fait surgir au milieu de l'arène politique une ribambelle de personnages et d'organisations jusque-là confinés aux marges de cette arène. Et même si Monsieur Sarkozy peut déclarer désormais "le mariage gay, je m'en fous", ces personnages n'ont nullement l'intention d'abandonner ces places chèrement acquises et de retourner dans la marginalité politique. En effet, plusieurs mobilisations depuis comme la "journée de retrait de l'école", le "jour de colère" ou encore la mobilisation contre "l'abécédaire de l'égalité" et autres campagnes contre la nouvelle ministre de l’éducation montrent que ces organisations ont trouvé leur public et qu'elles entendent peser sur les débats publics. L'effet clivant de la mobilisation contre le mariage gay semble ainsi perdurer bien au-delà de la Loi Taubira. 

L'objectif de court terme, qui était de diviser autant que possible, de polariser pour affaiblir le gouvernement en place, pourrait se retourner contre la droite "institutionnelle", désormais talonnée par le FN, bien plus proche des organisations autour de la Manif pour tous et de leurs discours.
L'esprit de rassemblement qui caractérise celui qui entend reconquérir une majorité électorale au niveau national est très différent de l'opposant qui veut faire échouer le pouvoir en place. Mais plus on exagère le rôle d'opposant, plus il deviendra difficile de jouer ensuite les rassembleurs.
L'avenir montrera si les effets de moyen terme sont aussi importants que nous disons. Mais il risque d'y avoir d'autres enjeux et exagérations similaires – à gauche ou à droite. La structure de la compétition politique en France ne permet pas d'espérer autre chose et la montée en puissance de partis aux positions de plus en plus radicales semble inéluctable.
Seule une réorganisation de la structure de la compétition politique pourrait y remédier. Mais toute initiative en la matière devrait être précédée d'une prise de conscience de la part des principaux concernés et d'une sincère volonté de changement. Ensuite seulement, on pourra réfléchir à la manière d'éviter ou, au moins, de limiter des dérives aussi clivantes et polarisantes dans le débat politique.

Emiliano Grossman


  Print Friendly Version of this pagePrint Get a PDF version of this webpagePDF