vendredi 28 mars 2014

Le bilan du premier tour des élections municipales dans la France urbaine : les signes avant-coureurs d’une sanction de grande ampleur ?

Cette note propose un bilan du premier tour des élections municipales de 2014 en termes de mairies détenues dans les 242 villes de plus de 30 000 habitants de France métropolitaine[1]. Le nombre de villes prises en compte peut paraître faible : après tout, les élections municipales concernent plus de 36 000 communes. Toutefois, avec un total de 11,5 millions d’inscrits sur les listes électorales, ces 242 villes représentent environ 25 % du corps électoral français. Et si l’analyse est de fait limitée à la France urbaine, elle concerne les villes les plus connectées au système de partis national, c’est-à-dire celles où l’on retrouve l’offre électorale la plus proche de celle qui caractérise les élections d’enjeu national (la présidentielle et les législatives).


La situation avant le premier tour

Dans les villes de plus de 30 000 habitants, les municipales de 2008 s’étaient soldées par une nette victoire de la gauche, exprimant un fort vote sanction contre la droite au pouvoir. La dynamique avait quasi exclusivement bénéficié au Parti socialiste (PS), qui avait atteint son plus haut niveau historique : à l’issue de ces élections, le PS était à la tête de 70 % des mairies de plus de 30 000 habitants détenues par la gauche, contre 52 % à l’issue des municipales de 1983, 58 % après les municipales de 1989, 55 % après les municipales de 1995 et 62 % après les municipales de 2001. Sa poussée avait été encore plus impressionnante dans les très grandes villes : il se retrouvait à la tête de 24 des 36 villes de plus de 100 000 habitants.
A la veille du premier tour des élections municipales de 2014, la gauche avait ainsi beaucoup plus à perdre que la droite : 137 mairies (dont 96 pour le seul PS) contre 105 à la droite (dont 69 pour l’UMP) dans les villes de plus de 30 000 habitants. Compte tenu de l’impopularité de l’exécutif, toutes les conditions étaient réunies pour une défaite similaire à celle de 1983.


Le bilan d’ensemble du premier tour

A l’issue du premier tour des municipales de 2014, des signes avant-coureurs d’une sanction de grande ampleur sont déjà perceptibles. En premier lieu, les flux de mairies dans les villes pourvues dès le premier tour sont tous allés de la gauche vers la droite, et plus précisément du Parti socialiste vers la droite : dans les villes de plus de 30 000 habitants, le PS a déjà cédé Châlons-sur-Saône, Poissy, Clamart et L’Haÿ-les-Roses à l’UMP, ainsi que Niort à l’UDI.

Tableau 1
Bilan du premier tour des élections municipales de 2014 en France métropolitaine
Nombre de mairies dans les 242 villes de plus de 30.000 habitants


Sortantes
Conservées
Perdues
Gagnées
Ballottage
Évolution
FASE
3
2
0
0
1
=
PCF
23
4
0
0
19
=
PCF DISS
1
0
0
0
1
=
PG
1
0
0
0
1
=
PS
96
7
5
0
84
- 5
PRG
2
0
0
0
2
=
EELV
2
0
0
0
2
=
DVG
9
2
0
0
7
=
MoDem
3
2
0
0
1
=
UDI
20
11
0
1
9
+ 1
UMP
69
38
0
4
31
+ 4
UMP DISS
1
0
0
0
1
=
DVD
12
5
0
0
7
=
Gauche
137
15
5
0
117
- 5
Droite
105
56
0
5
49
+ 5
NB : Les mairies sont classées selon l’étiquette du maire sortant et de la tête de liste vainqueur. Le nombre d’habitants de chaque ville est fixé par le Ministère de l’Intérieur sur la base des dernières données de recensement authentifiées. Avant les élections municipales de 2014, la France compte 242 villes de plus de 30.000 habitants (« population municipale sans double compte »).

Second signe avant-coureur d’un mouvement d’ampleur vers la droite (tableau 1) : le taux de reconduction des mairies sortantes dès le premier tour. Dimanche dernier, la droite a déjà pu conserver 53 % de ses mairies sortantes (56/105), contre seulement 11 % à gauche (15/137). Résultat, sur les 166 villes de plus de 30 000 habitants qui restent en jeu, 117 sont détenues par la gauche, et seulement 49 par la droite. A la veille du second tour, la gauche est plus que jamais particulièrement exposée.


Une mise en perspective historique

Ce taux de reconduction de la gauche et de la droite dès le premier tour de scrutin dans les villes de plus de 30 000 habitants peut être mis en perspective historique (tableau 2). Et une nouvelle fois, tous les signaux semblent au rouge pour la gauche : un différentiel aussi élevé entre les taux de reconduction (écart entre le taux de reconduction de la gauche et le taux de reconduction de la droite) n’avait jamais été enregistré depuis 1983. Les cas les plus proches, en 1983 et 2001, s’étaient soldés par une nette défaite finale de la gauche.


Tableau 2
Le bilan des élections municipales en nombre de mairies détenues dans les villes de plus de 30 000 habitants


Nombre de mairies sortantes
Taux de reconduction au tour 1
Bilan de la gauche au tour 1
Bilan final de la gauche

Gauche
Droite
Autres
Gauche
Droite
Ecart
Gains
Pertes
Solde
Gains
Pertes
Solde
M1983
149
71
0
52 %
85 %
- 33
0
16
- 16
1
30
- 29
M1989
117
106
2
63 %
39 %
+ 24
3
4
- 1
20
10
+ 10
M1995
127
99
0
27 %
24 %
+ 3
0
1
- 1
16
22
- 6
M2001
123
109
0
30 %
46 %
- 16
0
3
- 3
10
30
- 20
M2008
103
121
11
54 %
38 %
+ 16
5
0
+ 5
34
3
+ 31
M2014
137
105
0
11 %
53 %
- 42
0
5
- 5



NB : Les mairies sont classées selon l’étiquette du maire sortant et de la tête de liste vainqueur. Le nombre d’habitants de chaque ville est fixé par le Ministère de l’Intérieur sur la base des dernières données de recensement authentifiées (« population municipale sans double compte »).
Les bilans établis pour la gauche et la droite excluent les doubles comptes, c’est-à-dire les villes qui ont changé de sensibilité politique tout en restant dans le même camp. De la sorte, le total des gains et des pertes est un solde net sur les autres camps.







[1]          Les données portant sur les précédentes élections municipales reprises dans cette note peuvent être trouvées dans Gougou Florent, « The 2008 French Municipal Elections: The Opening and the Sanction », French Politics, 6 (4), 395-406.
Print Friendly Version of this pagePrint Get a PDF version of this webpagePDF

jeudi 27 mars 2014

Les résultats du Front National au premier tour des élections municipales de 2014 : un retour en 1995

Cette note met en perspective la performance du Front National (FN) lors du premier tour des élections municipales de 2014 en France métropolitaine, en comparant l’implantation, les résultats et la capacité de maintien du parti d’extrême droite avec les élections municipales depuis 1989. Malgré la conquête de la commune d’Hénin-Beaumont et les scores très élevés enregistrés dans le Sud-Est notamment, les élections municipales de 2014 ne marquent pas une poussée historique du FN. En revanche, elles confirment son retour à ses plus hauts niveaux, prolongeant le mouvement enclenché depuis les élections régionales de 2010.


Une couverture du territoire qui renoue avec les scrutins de 1989 et 1995

Marine Le Pen avait fixé comme objectif d’étape au développement de son parti de présenter des listes dans un nombre élevé de communes. De ce point de vue, les élections municipales de 2014 sont une réussite. Sur les 9 663 communes de plus de 1 000 habitants, et d’après les données transmises par le Ministère de l’Intérieur1, le FN a présenté 583 listes, un record pour le parti : ce nombre dépasse d’une centaine d’unités le précédent record de 490 listes FN présentes au premier tour des élections municipales de 1995 (à l’époque sur les villes de plus de 3 500 habitants).
Si on s’intéresse à la présence du parti dans les villes de plus de 30 000 habitants, celles dont la vie politique est la plus connectée au système de partis national, l’image est différente. Le FN a déposé des listes dans 160 communes sur 242, comme l’indique le tableau 1. C’est certes un saut significatif par rapport au premier tour des élections municipales en 2008, où le parti n’avait présenté des listes que dans 43 communes sur 235, mais cela n’égale pas la couverture affichée lors du premier tour des municipales de 1995, où il était présent dans plus de 180 communes (sur 225). En revanche, comme lors des élections de 1995, le FN est présent dans la quasi-totalité des villes de plus de 100 000 habitants : seules Montreuil, Saint-Denis (Seine Saint-Denis) et Argenteuil (Val d’Oise) manquent à l’appel. La couverture territoriale du FN lors de ces élections municipales est donc particulièrement élevée. Dans ce contexte, le fait qu’il obtienne ses meilleurs scores moyens, dans les communes dans lesquelles il est présent, est le signe d’une forte vitalité électorale.

Tableau 1
Le score du FN au premier tour des municipales dans les villes où il présente une liste


Villes de plus de 30.000 habitants
Villes de plus de 100.000 habitants

Ensemble
Présence
Score (%)
Ensemble
Présence
Score (%)
M1989
220
147
10,0
36
33
9,8
M1995
225
184
12,8
35
35
12,0
M2001
226
89
6,9
35
27
5,9
M2008
235
43
5,4
35
14
4,9
M2014
242
160
13,6
39
36
12,3
NB : La colonne « présence » indique le nombre de villes dans lesquelles le FN est représenté. Paris, Lyon et Marseille sont traitées commune une unité, même si le FN y présente systématiquement 20, 9 et 8 listes (soit autant que d’arrondissements ou secteurs).


Des scores qui égalent le record de 1995

Avec un score moyen de 14,6 % des suffrages exprimés pour les 583 listes présentes dans les communes de plus de 1 000 habitants, le Front National a obtenu un score significatif, qui a focalisé l’attention de la plupart des observateurs au soir du premier tour.
Il n’est pas possible de comparer strictement ce score national avec les élections précédentes en raison de la modification de la loi électorale pour les villes de 1 000 à 3 500 habitants. En revanche, il est possible de le faire pour les villes de plus de 30 000 habitants. Et dans ces villes, le FN se redresse très nettement par rapport aux élections de 2001 et 2008, retrouvant son niveau du premier tour des élections municipales de 1995, comme l’indique le tableau 1 : les listes du FN recueillent en moyenne 13,6 % des exprimés, soit une très légère progression par rapport aux 12,8% de 1995. Sur cette base, difficile de parler d’une percée historique, ou d’un « FN triomphal », comme l’affirmait la une du Monde du 25 mars 2014. La dynamique est d’ailleurs moins forte si l’on se concentre uniquement sur les plus grandes villes, les villes de plus de 100 000 habitants, avec un score moyen de 12,3% (contre 12% en 1995). Il n’en reste pas moins que le FN obtient des résultats moyens nettement supérieurs à ceux de 2001 et 2008, confirmant au passage que sa capacité à présenter des listes constitue un indicateur de sa vitalité électorale.
Au final, 138 listes présentées par le FN dans les villes de plus de 30 000 habitants (ou dans leurs arrondissements/secteurs) ont franchi la barre des 10% nécessaires pour se maintenir au second tour. Mais dans 32 d’entre elles, le scrutin s’est joué dès le premier tour2, de sorte que 106 listes FN pourront effectivement se maintenir au second tour.

Une capacité de se maintenir retrouvée

Cette capacité de se maintenir, qu’il y ait ou pas un second tour, peut être comparée avec les élections précédentes. En 2014, le FN dépasse donc la barre des 10% des suffrages exprimés dans 138 communes (ou arrondissements/secteurs de Paris, Lyon et Marseille) de plus de 30 000 habitants sur les 194 dans lesquelles il était présent, soit dans 71,1% des cas. Ces chiffres sont légèrement plus hauts que ceux de 1995, comme l’indique le tableau 2, mais il n’y a rien de fulgurant : à l’époque, le parti dépassait 10% des suffrages dans 142 communes de plus de 30 000 habitants dans lesquelles il avait présenté des listes, soit 65% des cas. Dans les villes de plus de 100 000 habitants, le FN ne dépasse le seuil de 10% des suffrages que dans 55,7% des cas, ce qui représente cette fois un recul par rapport à son record de 1995. Ce résultat confirme que le FN ne se redresse pas autant dans les villes de plus de 100 000 habitants que dans l’ensemble des villes de plus de 30 000 habitants.

Tableau 2
La capacité du FN à se maintenir au second tour des élections municipales


Villes de plus de 30.000 habitants
Villes de plus de 100.000 habitants

Score > 10 %
Pourcentage
Score > 10 %
Pourcentage
M1989
81/181
44,8
27/67
40,3
M1995
142/218
65,1
41/69
59,4
M2001
28/123
22,8
4/61
6,6
M2008
10/77
13,0
4/48
8,3
M2014
138/194
71,1
39/70
55,7
NB : Chaque arrondissement ou secteur de Paris (20), Lyon (9) et Marseille (8) est traité comme une seule unité.


Bilan avant le second tour

Au final, le premier tour des élections municipales de 2014 confirme le redressement du FN entamé au cours du précédent quinquennat, suite à son effondrement lors des élections de 2007. Tout comme le premier tour de l’élection présidentielle de 2012 a marqué son retour à son sommet historique, obtenu en 2002, le premier tour des municipales marque son retour à son plus haut niveau, obtenu en 1995. Il reste à analyser plus en détail les transformations de sa géographie électorale, avec la confirmation de son ancrage dans le Sud-Est du pays, son renforcement dans le Nord-Est, et son redressement limité dans les grandes métropoles.

___________________________

1 Le décompte des listes FN pour les élections de 2014 se fait sur la foi des étiquettes du Ministère de l’Intérieur. Cela explique l’absence de quelques listes FN, étiquetées différemment par les services du Ministère et permet de comprendre pourquoi le nombre de 583 est légèrement différent de celui annoncé par Marine Le Pen (597).

2 La liste de ces villes est la suivante : Agen, Alès, Antibes, Arras, Bourg-en-Bresse, Cagnes-sur-Mer, Caluire-et-Cuire, Cambrai, Chalon-sur-Saône, Compiègne, Epinal, Haguenau, Le Cannet, Le Havre, Les Mureaux, Liévin, Lyon 6, Marcq-en-Barœul, Marignane, Marseille 4, Meaux, Meyzieu, Montélimar, Orléans, Sainte-Geneviève-des-Bois, Saint-Quentin, Saint-Raphaël, Suresnes, Toulon, Troyes, Versailles, Wattrelos.
Print Friendly Version of this pagePrint Get a PDF version of this webpagePDF