mardi 13 mai 2014

Les européennes : vers une percée de l'extrême-droite?


Un enjeu central des élections européennes du 25 mai est certainement celui du score des partis protestataires. En France, les sondages prédisent un franc succès du FN, qui deviendrait le second parti français au Parlement européen, loin devant le PS. Mais qu'en est-il ailleurs? Jusqu'à présent, les succès de l'extrême-droite sur le plan européen sont restés limités, malgré le statut d'élection de second ordre. En outre, les partis en question restent divisés et cela ne risque pas de changer dans un futur proche.


Une extrême-droite très diverse

Malgré le contexte de crise économique, les dernières élections européennes en 2009 n’avaient pas confirmé l’attente d’une sanction des partis au pouvoir : elles avaient marqué la défaite des sociaux-démocrates, mais elles avaient aussi maintenu le PPE comme groupe majoritaire au Parlement européen. Les pertes des partis au pouvoir (par rapport au précédent scrutin national) étaient restées plus limitées en 2009 qu'auparavant. Élevées en Hongrie, en Bulgarie, au Royaume-Uni, en Irlande et au Portugal, elles étaient restées faibles en Espagne et en Italie, tandis que les partis qui gouvernaient la Finlande et la Pologne parvenaient même à progresser légèrement. Certaines organisations eurosceptiques amélioraient leur score, sans réaliser de véritable percée non plus.

Qui plus est, les partis protestataires ont du mal à se mettre d'accord, à parler d'une voix. Après les élections de 2009, les partis d'extrême-droite s'étaient retrouvés dans deux groupes parlementaires différents: le groupe Europe Libertés Democratie, qui comprenait le FN, et l'Alliance européenne des mouvements nationaux, trop petite pour former un groupe parlementaire. Ensemble, ces groupes auraient obtenu 57 sièges, c'est-à-dire moins de 8%, mais une union s'était avérée impossible. La raison est simple: ils viennent de traditions politiques très différentes et ont des positions souvent fortement contradictoires.

Nous avons regardé de plus près les positions des 13 partis qualifiés d'extrême-droite par les experts du Chapell Hill Expert Survey (CHES) et ayant obtenu plus de 5 pour cent des votes au niveau national. Le CHES enregistre à l'occasion de chaque élection européenne les positions de tous les partis représentés sur une quinzaine de dimensions1. Le graphique 1 illustre les distances de ces partis sur les principales dimensions. Il est demandé aux experts de classer chaque parti sur chaque dimension sur une échelle de 1 à 10. Plus on s'approche de 10, plus la position est conservatrice – par exemple favorable à l'assimilation culturelle des étrangers (plutôt que toute forme de multiculturalisme), à la réduction des dépenses publiques ou encore à la prise en compte de principes religieux dans la conduite politique du pays.

Nous présentons ici deux mesures différentes permettant de se faire une idée de la proximité des partis d’extrême droite sur ces différentes dimensions: min/max calcule simplement la distance entre les deux positions les plus extrêmes sur cette échelle de 1 à 10 parmi les 13 partis ; l'écart-type calcule la distance moyenne entre les partis sur ces questions.




La mesure min/max montre que toute velléité d'unifier l'ensemble des partis d'extrême-droite semble vouée à l'échec étant donné la diversité considérable de leurs positions sur un grand nombre d’enjeux. Sur toutes les dimensions il existe des différences fortes entre certains partis. Les profondes divergences de vues relatives à la questions de la décentralisation (« régions ») illustrent clairement cette hétérogénéité : dans nombre de pays de l'Est, l'opposition est totale sur ce point. C'est vrai également pour UKIP au Royaume-Uni. La situation est similaire pour ce qui concerne la place de la religion ou la déréglementation. Il existe ainsi des partis plus classiquement conservateurs dans ce groupe, à côté de partis anti-mondialisation, qui peuvent être assez progressistes sur certains points. A ce titre le PVV de Geert Wilders, allié de Marine Le Pen, est original. Il se distingue par des positions assez libérales sur le plan des mœurs et, par exemple, ne s’oppose pas au mariage homosexuel.

La seconde mesure, l'écart-type, montre que sur certains sujets cette diversité des positions ne se limite pas qu'à un ou deux partis. Les organisations partisanes situées à l’extrême droite sont loin d’être unanimes sur la place de la religion ou encore la déréglementation. Un accord relatif existe, certes, sur certains enjeux : beaucoup des partis d’extrême-droite se retrouvent sur l'opposition à la décentralisation (« région »), les droits des minorités, la petite place réservée à l'environnement, l'ordre public, l'opposition aux politiques redistributives et à l’augmentation des dépenses publiques. Et pourtant, sur chacun de ces enjeux, on retrouve des cas de partis fortement déviants.


Le graphique 2 résume l'ensemble de ces différences en les ramenant à un espace bidimensionnel2. Pour faciliter la lecture, nous avons projeté les noms des pays d'origine, plutôt que les noms de partis, dont la plupart ne sont pas très connus en dehors de leur pays. Le graphique montre que les distances restent importantes y compris entre partis officiellement proches comme le FN et le PVV néerlandais ('NL'). Le FN semble ainsi bien plus proche du Vlaams Belang belge ('BE'), du FPÖ autrichien ('AUS') ou du Parti du peuple danois ('DK'). Et pourtant, les négociations pour former un nouveau groupe parlementaire avec certains de ces partis n'ont pas abouti. Les couleurs indiquent l'appartenance au groupe Europe, Libertés et Démocraties (en rouge), à l'Alliance européenne des mouvements nationaux (en bleu) ou l'absence d'appartenance à tout groupe (en noir).



A l'opposé, les partis de l'Alliance européenne des mouvements nationaux représentent un groupe à part, peu susceptibles de s'unir au FN, au PVV ou Vlaams Belange. Ainsi, le Jobbik hongrois ('HUNG') a affiché régulièrement des positions antisémites qui semblent peu compatibles avec les ambitions gouvernementales affichées par des partis comme le FN ou le PVV. Ces partis se distinguent aussi sur les questions de libéralisme économique : les partis polonais, hongrois ou slovaques sont nettement moins en faveur de la déréglementation ou de la réduction des dépenses publiques que les partis d'Europe de l'Ouest. L’émergence d'une grande internationale d'extrême-droite ne semble donc pas à l'ordre du jour à ce stade.

Les perspectives : un FN fort mais une extrême-droite européenne stable

Les sondages disponibles suggèrent que la situation sera différente en 2014. En France, au moins, plusieurs sondages donnent le FN en deuxième place, juste derrière l’UMP et bien en tête du PS. Les projections lui prédisent 22 sièges sur les 74 qui reviennent à la France. Cependant, ces projections sont moins favorables pour les partis d’extrême droite d'autres pays. UKIP devrait, certes, faire une percée notable au Royaume-Uni avec 23 sièges sur 73 selon les estimations, mais la plupart des autres grands pays n'auront pas de partis d'extrême-droite représentés et cette représentation sera probablement assez faible dans les pays de taille moyenne où ces partis ont des chances d’avoir des élus, comme la Grèce ou la Belgique.

Et, encore une fois, les partis partent en ordre dispersé. Les efforts du FN, notamment, pour construire un groupe comprenant le FPÖ autrichien, le PVV néerlandais, la Lega nord italienne et les « Finns » (Finlandais) n'ont pas abouti. De ce fait, le groupe Europe, Libertés et Démocratie peut espérer une quarantaine de sièges, auxquels s'ajoutent un certain nombre de sièges de « non-inscrits », comprenant les sièges du FN et du PVV. Le groupe des non-inscrits voit ses effectifs gonfler, notamment à la faveur de l'arrivée de nouveaux acteurs, comme le Mouvement 5 Etoiles de l'ancien humoriste Beppe Grillo en Italie et le mouvement Union, Progrès et Démocratie en Espagne, soutenu par des intellectuels comme Fernando Savater ou Mario Vargas Llosa.

Au total, l'extrême-droite devrait voir ses effectifs augmenter légèrement, d’environ une dizaine de sièges. Mais l'absence d'un groupe parlementaire unifié et les clivages profonds qui divisent ces différents partis limiteront leur efficacité. On peut imaginer des alliances de circonstance avec certains des quarante députés conservateurs eurosceptiques du groupe des Conservateurs et réformistes européens sur certaines questions, voire avec certains partis eurosceptiques de gauche. Mais dans l'ensemble, les partis d'extrême-droite ne devraient pas parvenir à influencer les politiques européennes dans l’arène parlementaire.

Le Parlement européen continuera, pour l’essentiel, d'être gouverné par l'alliance au centre entre Parti populaire européen, Parti socialiste européen et libéraux. Les efforts des candidats des deux principaux partis pour rendre la campagne plus visible se sont avérés vains dans la plupart des cas. Et ce n'est sans doute pas des partis protestataires que viendra la publicité tant recherchée.


Emiliano Grossman


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1 Le Chapel Hill Expert Survey (ou CHES) soumet à chaque élection un questionnaire à plusieurs observateurs politiques dans chaque pays membre de l'Union. On leur demande de classer les positions des partis de leur point de vue. Les données sont librement accessibles sur http://chesdata.eu/.


2 La technique utilisée est celle du “positionnement multidimensionnel” (ou MDS, multidimensional scaling). Cette procédure consiste à établir un tableau des distances entre tous les acteurs et sur toutes les dimensions. Ces distances sont ensuite utilisées pour calculer les coordonnées dans un espace bi-dimensionnel qui respecte autant que possible les distances dans toutes les dimensions.   

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