mardi 11 mars 2014

Municipales 2014 : une estimation du score du Front national

Depuis le 6 mars 2014, nous connaissons le nombre de listes présentées ou soutenues par le Front National (FN) et officiellement déposées auprès des préfectures. Dans les communes de plus de 1000 habitants, le Front National aura finalement 596 listes, niveau inédit à ce jour. Avec près de 450 listes présentées dans les communes de plus de 9000 habitants, le parti de Marine Le Pen a peu ou prou retrouvé ses capacités organisationnelles de 1995, malgré la contrainte de la parité dans la composition des listes. Pour mémoire, des listes FN étaient présentes dans 303 communes de plus de 9000 habitants en 1989, dans 456 en 1995, mais dans seulement183 et 106 villes, respectivement en 2001 et en 2008 (auxquelles on peut ajouter, respectivement, 114 et 5 villes où le FN n’avait pas de candidat mais où se présentaient des listes d’extrême-droite).

Une telle présence peut-elle affecter le rapport de force droite/gauche lors de ces élections municipales dont les enjeux sont à la fois locaux et nationaux ? Le FN a réalisé sa meilleure performance électorale en 1995, avec 13,1% des voix pour ses listes dans les communes de plus de 9000 habitants, score qui lui permit de se qualifier  pour le second tour dans plus de 290 villes et d’obtenir près de 1000 conseillers municipaux. Le FN s’apprête-t-il à rééditer sa performance de 1995 ?

Les enquêtes d’opinion sur les intentions de vote, pour intéressantes qu’elles soient, ont de réelles difficultés pour appréhender le vote FN du fait d’un niveau de sous-déclaration chronique de la part des électeurs du FN. En outre, ces enquêtes ne portent en général que sur une dizaine de villes, qui ne sont pas toujours représentatives de la tendance nationale, et qui ne permettent donc pas de généralisation sur le niveau relatif du FN.

Afin de remédier à ces difficultés, une voie alternative, fondée sur la modélisation des résultats électoraux passés, a été testée avec succès par des chercheurs pour estimer les scores nationaux du FN depuis 1984[i] ou celui de Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle 2012[ii]. Néanmoins, à ce jour, une telle perspective n’a été mise en œuvre ni à l’échelon désagrégé du vote par commune, ni pour les scores du FN aux élections municipales. Ainsi, afin d’estimer l’ampleur du vote frontiste lors du premier tour des élections municipales de mars 2014, nous proposons ici de construire un modèle statistique simple visant à identifier les variables explicatives du vote FN au niveau municipal depuis 1998 (quelle que soit l’élection, élections législatives exceptées). Ce choix méthodologique mérite quelques explications.

Le score du FN aux prochaines élections municipales doit être appréhendé comme une combinaison de facteurs locaux et nationaux. Si le maire sortant est certes évalué sur son bilan, sa notoriété, et son programme futur, il reste que les électeurs peuvent profiter du calendrier électoral pour signaler leur mécontentement ou leur satisfaction vis-à-vis de l’action nationale du gouvernement mais aussi vis-à-vis des partis d’opposition. Dans cette perspective, il est donc important de prendre en compte la popularité du Front national connue avant l’échéance municipale. En outre, la dynamique électorale du FN dans chacune des villes étudiées constitue également une variable déterminante pour simuler le score futur du FN. A Paris, le score moyen du FN fut de 6,6 % entre 1998 et 2012 alors qu’il fut de 25,5% à Carpentras. Les résultats volatiles du FN entre 1995 et 2008 (cf. tableau 1) au plan municipal s’inscrivent dans une dynamique plus complexe lorsque l’on tient compte du score du FN aux élections nationales, régionales ou européennes dans chaque ville. Par exemple, à Dreux, où le FN a eu un score moyen de 14% entre 1998 et 2012, les scores du FN se sont échelonnés entre 4,3% aux municipales de 2008 et 31,7% aux élections régionales de 1998.

Un modèle explicatif du vote FN
Dans la mesure où notre objectif est de simuler le vote aux élections municipales, nous prenons en compte 56 villes où le Front National et/ou des dissidents FN ont présenté des listes aux élections municipales en 1995, 2001 et 2008. A partir des scores du FN aux élections municipales, présidentielles, régionales et européennes entre 1998 et 2012, notre modèle statistique vise à identifier le poids relatif des diverses variables prédictives du vote FN.

Nous faisons l’hypothèse que :
-          Plus les scores du FN à la précédente élection ainsi qu’à la précédente élection du même type, dans chaque ville, étaient élevés, plus le score du FN à l’élection suivante est élevé;
-          Plus la popularité nationale du FN augmente, plus le score du FN augmente ;
-          Plus le taux de criminalité croît, plus le score du FN augmente ;
-          Lorsque le FN est divisé, le score du FN diminue ;
-          Le type d’élection affecte le score du FN.

Par conséquent, nous avons estimé en données de panel le score du FN pour ces 56 villes à partir de la relation suivante :
FN = f(Election précédente, Election nationale, Popularité du FN, variation taux de criminalité, cohésion du FN, effets fixes et temporels).

Estimé à partir des 616 (56 villes X 11 élections) résultats électoraux du FN, nous sommes en mesure de donner un poids statistiquement significatif à chacune de ces variables et ainsi de simuler le score du FN au premier tour des municipales de mars 2014. Une précision méthodologique s’impose. Un modèle de prévision doit s’appuyer sur un modèle statistique parcimonieux et robuste, qui doit être réplicable par toute autre personne, à partir de variables explicatives connues avant le scrutin. Notre modèle est basé uniquement sur des variables connues avant le scrutin, comme, par exemple, la popularité du FN, mesurée dans le baromètre TNS – Sofres Figaro-Magazine[iii], en décembre de l’année qui précède les élections municipales, présidentielles et régionales et en mars de l’année des élections européennes. Il explique une large proportion de la variance des scores du FN (R2=0,7). Comme le met en évidence le tableau 1, les scores moyens du FN, estimés par notre modèle, lors des différents scrutins dans les 56 villes de notre échantillon sont très proches des résultats moyens réels. L’écart le plus important entre estimation et réalité (2,59%) est observé pour l’élection présidentielle de 2007. Pour les élections municipales de 2001 et 2008, la différence entre score estimé et observé est faible, respectivement 0,37 et 0,24. Lorsque l’on omet les résultats de 2001 (ou de 2008) dans le modèle pour les estimer, l’estimation est satisfaisante avec un écart de 0,1 (1,15 pour 2008). En somme, le modèle semble fiable pour estimer les variations des résultats du FN depuis 1998 dans notre échantillon, élections municipales incluses. Il peut donc être mobilisé pour estimer les élections municipales 2014.

Tableau 1. Performance du modèle
Type d'élection
Année
score estimé
score réel
différence
régionale
1998
22,17
22,53
-0,36
européenne
1999
13,75
13,52
0,23
municipale
2001
14,58
14,21
0,37
présidentielle
2002
23,27
23,12
0,15
régionale
2004
21,14
20,66
0,48
européenne
2004
12,36
13,10
-0,74
présidentielle
2007
14,32
11,73
2,59
municipale
2008
8,38
8,14
0,24
européenne
2009
9,79
9,47
0,32
régionale
2010
16,94
16,16
0,78
présidentielle
2012
18,22
18,98
-0,76
municipales
2014
22,87

Source : Données Ministère Intérieur, EDEN (CEVIPOF), auteurs.

A partir des variables connues en décembre 2013, le modèle fournit une prévision moyenne des résultats du FN pour ces 56 villes de 22,8 % avec une marge d’erreur d’estimation de plus ou moins 0,45%.

L’estimation de notre modèle pour les élections municipales 2014 place la performance électorale du Front National à un niveau historiquement très élevé dans les villes de notre échantillon, en particulier pour des élections municipales. En 1995, le score moyen du FN dans les villes de notre échantillon était de 17,17%. Si une telle tendance devait se confirmer, voire être dépassée dans deux semaines, dans l’ensemble des villes où le FN présente ou soutient une liste, il permettrait au parti de Marine Le Pen de se maintenir au second tour dans un grand nombre de villes et, par conséquent, de peser fortement sur l’issue de la compétition électorale municipale mais également de remporter plusieurs élections municipales et d’obtenir un nombre inédit de conseillers municipaux. En toile de fond, un grand nombre de conseillers municipaux FN élus à cette élection pourrait donner au parti quelques chances de peser dans la bataille des élections sénatoriales de l’automne 2014.

Sylvain Brouard et Martial Foucault 




[i] Jocelyn Evans & Gilles Ivaldi, 2008, ‘Forecasting the Extreme Right Vote in France (1984-2007)’, French Politics, 6(2) : 137-151.
[ii] Voir notamment, Jocelyn Evans & Gilles Ivaldi, 2012, “Forecasting the extreme-right vote at the 2012 presidential election: Evaluating our model”, French Politics, 10(4) : 378-382.
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4 commentaires:

  1. J'ai un peu de mal à voir quelles sont finalement les variables utilisées dans ce modèle statistiques. Si l'on se base sur FN = f(Election précédente, Election nationale, Popularité du FN, variation taux de criminalité, cohésion du FN, effets fixes et temporels), que représentent les "effets fixes et temporels" ? Et surtout comment sont-il estimés ?

    Il me semble qu'une des variables entrant en jeu (mais je ne sais pas si elle fait partie ou non des éffets fixes et temporels") est le rejet global des autres candidatures candidatures, voire du système même de l'élection. C'est l'argument récurent du FN qu'il est en compétition avec un seul autre candidat : l'UMPS.

    Cela n'expliquerait-il pas la faiblesse du modèle statistiques pour la présidentielle de 2007 ? En effet, on avait grossièrement pour cette élection en face du FN, l'UMP de Sarkozy dont le programme (déjà appliqué depuis 5 ans comme ministre de l'intérieur ou de l'économie) n'était pas rejeté dans la perspective du front national (Le Pen s'enorgeuillant que les propositions de Sarkozy n'étaient qu'une pâle immitation des siennes), et le PS de Royal tentant de se démarquer de la droite dure sarkozyenne. À l'inverse, lors de la présidentielle de 2002, le FN pouvait s'opposer facilement et en bloc à l'UMPS de ChiracJospin issu d'une cohabitation de 5 ans où le PS avouait qu'il ne présentait plus de programme socialiste et où la droite dure de l'UMP avait été tenue à l'écart depuis le fiasco balladurien de 1995.

    Bref, le fait que nous sommes actuellement dans une configuration où le PS démontre de plus en plus qu'il n'est qu'une droite complexée et où l'UMP se délite, tend à me faire penser qu'un rejet global et des deux alternatives principales (qui de ce fait sont assimilées à un ennemi commun à rejeter) est important à prendre en compte. Mais avec une prévision de 22,8 % peut-être est-ce déjà le cas ?

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  2. toutes ces statistiques devraient à mon sens s'appuyer ou compléter la nature culturelle du FN . C'est à dire : historiquement , quels sont les idées défendues et la volonté politique du FN ?. Sont-ils racistes, fascistes, antisémites ? Quel rapport avec le flux migratoire dû à la mondialisation et l'appauvrissement des populations ? Le constat seul qui consiste à crier ou loup (ou pas) ne suffit plus . Quand on parle du FN chacun aura sa vision mais il est vrai que le stéréotype c'est " ce sont des fachos" . Malheureusement tout cela ne suffit plus pour se faire une opinion claire et objective si tant est que c'est le but recherché .

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  3. pourriez vous m'indiquer le sondage election municipale 2014 sur salon de provence merci bcp

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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